Chapitre 5 - Alice

14 minutes de lecture

An 500 après le Grand Désastre, 2e mois du printemps, collines de Minosth, Terres de l’Ouest.



Doucement bercée par le bruissement du vent dans l’herbe et par le crépitement des flammes, je m’éveillai vers l’aube pour assister à la chasse des étoiles par les premières lueurs du soleil. J’étais emmitouflée dans une couverture, mon sac en toile calé sous la nuque en guise d’oreiller.

Avec un bâillement, je me redressai et jetai un coup d’œil vers le campement. Achalmy était assis dans l’herbe, en train de tisonner le feu. Il avait des cernes sous les yeux.

Quand il remarqua que j’étais débout, il m’adressa un hochement de tête puis retourna à sa contemplation des flammes. Frissonnante, je m’enroulai dans ma couverture puis me levai pour aller le rejoindre.

— Bonjour, Achalmy. Tu as bien dormi ? demandai-je en m’asseyant en face de lui.

— Bof, lâcha mon ami avec un haussement d’épaules.

Son visage fermé et son regard fixe m’apprirent qu’il n’avait guère envie de s’étendre sur le sujet. Peut-être était-il agité par l’absence de son ancien maître, par l’idée de retourner dans ses Terres natales ou même par le simple fait d’accompagner une princesse sans rien demander en retour.

Hésitante, je l’observai un instant puis rassemblai mon courage.

— Al… Pour quelle raison acceptes-tu de voyager en ma compagnie ? Pourquoi te donnes-tu tout ce mal pour une inconnue ? (Comme il me dévisageait en silence, je soupirai puis repris :) Si je te rémunérais en échange de ta protection, je comprendrais que tu te fiches de mon identité.

— Est-ce vraiment important de savoir pourquoi je suis avec toi ? Ne peux-tu pas te contenter de ma présence ?

Gênée, je baissai les yeux sur mes pieds emmitouflés de chaussettes, mais libérés de mes grosses chaussures de marche.

— Je ne voudrais pas te mentir, Achalmy. Nous nous sommes rapprochés au cours des deux dernières semaines, mais… J’en sais si peu sur toi. (Devant son regard qui s’assombrissait, je me penchai en avant.) Non, attends, je sais ce que tu vas me dire… Que tu m’en as révélé déjà beaucoup et que je devrais aussi t’en dire plus sur moi.

— En effet, princesse, je pense exactement ça, acquiesça mon allié d’un ton grinçant.

Tout en récupérant un bol pour mon petit-déjeuner, j’allai m’asseoir auprès de mon compagnon. Même à plusieurs dizaines de centimètres de lui, je le sentis se raidir.

Installée ainsi, je pus admirer le ciel qui pâlissait et se teintait de couleurs fruitées.

— Cela n’a pas encore été officialisé, mais je suis fiancée à Dastan Samay.

Comme il ne répondait pas, j’ajoutai :

— Le frère de l’Impératrice.

— Oh. D’accord.

D’abord vexée, je fis la moue. Comme le silence s’allongeait, je ramenai mes genoux contre ma poitrine et marmonnai :

— C’est tout ce que ça te fait ?

— Comment devrais-je réagir, votre altesse ? s’étonna Achalmy en me regardant. Ce n’est pas monnaie courante, chez ton peuple, d’avoir des mariages arrangés ?

Cette fois, ce fut à mon tour de me sentir attaquée sur mes origines et ma patrie.

— C’est arrivé, c’est vrai, mais pas pour chaque génération ! Mon père a épousé ma mère car ils s’aimaient. Son père avant lui aussi. Mon arrière-grand-mère est connue pour avoir brisé ses fiançailles pour épouser un fermier. Et… je voulais à mon tour passer un anneau au doigt de l’homme que j’aurais choisi, terminai-je d’un air fataliste.

Il y eut un long silence d’une bonne minute pendant laquelle j’admirai le soleil s’élever au-dessus de l’horizon.

— Alice… reprit Al d’un air hésitant, ne me dis pas que c’est la raison pour laquelle tu as fui.

Je m’empourprai puis sentis une colère ardente monter en moi.

— C’est une des raisons pour lesquelles je suis partie du château. (Face à son regard torve, j’élevai le ton.) Ne me juge pas sans même prendre la peine de comprendre ! Comment réagirais-tu, toi, si on te forçait à épouser une femme que tu n’aimes et ne connais pas ? Si on te disait de mentir, de faire comme si votre union était la plus belle chose de notre temps ? De devoir partager sa couche et lui faire des enfants pour assurer une descendance ? (Ma voix se brisa.) Cet homme qui vit aux manières du Sud va demander ma main. Je ne veux pas qu’il me regarde, je ne veux pas qu’il me passe un anneau au doigt, je ne veux pas qu’il me touche, je…

— Alice, me coupa Al d’un ton doux, calme-toi.

Trop tard : j’étais partie dans ce sujet qui m’angoissait et me mettait en fureur.

— Je ne veux pas me calmer, Achalmy ! Mon père a arrangé cette union avec l’Impératrice sans même me consulter. Ma mère s’est contentée de hocher la tête lorsqu’il nous l’a annoncé. Et Ash me regardait avec pitié. Ils me dégoûtent tous. Tous !

Il ne répondit rien.

Le souffle court et le cœur battant de rancœur, je me levai et allai m’asseoir plus loin.

Même la vision magnifique du soleil levant ne suffit pas à regorger mon cœur d’espoir.


En fin de journée, nous émergeâmes des collines de Minosth. Al et moi n’avions pas échangé beaucoup de mots depuis le matin et je savais que j’en étais responsable. Mon allié étant de nature taciturne, nos rares conversations débutaient souvent grâce à moi. Pour l’heure, je n’avais aucune envie de discuter. Juste de partir le plus loin possible de ma famille qui… ne ressemblait pas à une famille, et oublier les responsabilités qui m’étaient imposées.

Curieuse, j’avais essayé de repérer les changements qui signalaient que nous entrions dans de nouvelles Terres. Un mélange d’excitation, de crainte et de fascination avait envahi ma poitrine tandis que, doucement, nous descendions les dernières collines. Peut-être l’air était-il plus frais.

Ou, peut-être, avais-je tant envie de constater des différences entre les Terres du Nord et les miennes que j’en inventais.


Nous atterrîmes dans une vallée rocailleuse où quelques groupes de sapins étaient disséminés. À l’approche d’une légère cavité agrémentée d’un bosquet pas encore tout à fait enfeuillé, Al décida de monter le camp.

Tandis qu’il allumait un feu et commençait à cuisiner le dîner, je m’en allai remplir ma gourde dans un ruisseau qui passait au plus bas de la cavité. Je savais qu’Al aurait pu me la remplir d’un claquement de doigt en récupérant la vapeur de l’air, mais j’étais encore vexée par ses propos. Je voulais lui prouver que, comme lui, j’étais capable de me débrouiller seule. J’étais peut-être une princesse en fuite. Mais une princesse qui pouvait s’en sortir.

C’était vrai, peut-être que connaître l’histoire d’Oneiris, le nom des étoiles, ou encore celui des vallées et fleuves, n’était pas utile à la survie en milieu hostile, mais je refusais de me laisser impressionner par quelqu’un comme Al. Mon enfance n’avait pas seulement consisté en de douces années à vivre de la sueur des autres. Mon père m’avait appris à manier une lame, au cas où je serais attaquée. Il m’avait présentée aux gardes ; on m’avait appris à lustrer le métal, à graisser le cuir. De ma mère, je tenais des rudiments de couture, d’équitation, de diplomatie. Fille ou garçon, le futur souverain se devait être le digne représentant des Nobles et de son peuple : Élémentaliste accompli, combattant d’un niveau correct, sa langue diplomate devait égaler son esprit affuté et ses mains agiles. Pour des domaines plus spécifiques, des précepteurs, des historiens-géographes, des philosophes, des guérisseurs et des botanistes m’avaient donné des leçons au cours des années précédentes. De plus, des spécialistes m’avaient enseigné la langue des Terres au-delà des Mers, appelées Mor Avi dans leur langage originel, ainsi que des dialectes sudistes.

Faire un feu, poser des collets, dépecer, n’étaient pas des tâches qu’on enseignait à une princesse. Al me les avait montrées. Je lui en étais reconnaissante, mais j’aurais aussi aimé qu’il admît que je n’étais pas une fille gâtée et incapable.

Mon compagnon de route arborait des cicatrices dont il pouvait rougir de fierté. Vierge de toutes traces, j’avais néanmoins connu mon taux de coupures, bosses et bleus lors de l’apprentissage des éléments. Fier de ses capacités comme il était, j’aurais bien aimé voir Achalmy devoir se dépêtrer de vents capricieux et d’éclairs fougueux. L’eau qu’il faisait danser était douce, la glace obéissait placidement et la vapeur tournait aisément en différents états. Que dire des bourrasques froides et violentes ? De la foudre qui s’abattait impunément ?


Mon amertume se dissipa un peu lorsque j’aperçus un bol rempli de patates chaudes et d’un morceau de viande sur une assiette en bois. Al était déjà en train de manger, assis à même le sol devant les flammes. J’avais envie de le remercier de m’avoir préparé le dîner et de le réprimander pour son impolitesse.

Mon éducation prit le dessus.

— Merci pour le repas, marmonnai-je en m’asseyant sur mon ancienne cape de voyage qui me servait à présent de plaid.

— Je pouvais remplir ta gourde, tu sais, se contenta-t-il de répondre avec un demi-sourire.

Il avait un don particulier pour être insupportable.

Alors que je grignotais un bout de pomme de terre encore trop chaud, il reprit d’une voix un peu étouffée :

— Tes fiançailles avec le frère de l’Impératrice du Sud est l’une des raisons pour lesquelles tu as fui de chez toi. (Ses yeux rencontrèrent les miens et y restèrent plantés tandis qu’il continuait de parler.) Quelles sont les autres ?

— La dégradation de mes relations avec les membres de ma famille. Les murmures conspirateurs des Nobles lorsqu’on les invite à la cour. Le regard méprisant des comtes lorsqu’ils me voient, jeune femme frêle, ou celui condescendant des duchesses qui, parfois, se demandent comment on peut confier le pouvoir à une femme.

— Pourquoi les femmes ne seraient-elles pas aptes à diriger ? s’étonna mon compagnon.

— Là n’est pas la question, répliquai-je d’un ton amer. Ce que je voudrais savoir, c’est pourquoi nos comtes commencent à se demander de telles choses. Je ne serais pas la première reine des Terres de l’Ouest. Mon arrière-grand-mère paternelle a été reine. C’est vrai, elle a eu un fils puis un petit-fils, mon père, qui ont amené presque un siècle de gouvernance masculine. C’est à se demander si les Occidentaux n’ont pas oublié les grandes dirigeantes qu’ils ont eues.

— Étrange, en effet, soupira Achalmy avant de mordre dans sa viande.

— Al… est-ce que tu penses que je serais une mauvaise reine ? m’enquis-je en le toisant timidement.

Alors qu’il mâchait, je vis un sourire s’épanouir sur ses lèvres.

— En tout cas, tu fais une très mauvaise princesse.

Je m’empourprai puis serrai les dents.

— Je n’aurais pas dû te demander.

Avec nonchalance, il agita la main puis avala bruyamment son bout de viande.

— Dans mon esprit, une princesse est une jeune fille sage, qui obéit et fait tout pour faire plaisir à ses parents. Avant que tu ne t’indignes, j’ai la même image pour un prince. (Il planta ses yeux d’acier sur mon visage, me donnant l’impression d’être percée par une épée.) Par contre, ce que je m’imagine d’une reine… Forte, vaillante, qui écoute et sait se faire écouter puis… qui n’hésite pas à faire part de ce qu’elle pense et à agir selon ses valeurs.

Il ouvrit la bouche pour ajouter quelque chose puis se ravisa en se détournant brusquement.

— Je vois, finis-je par lâcher. Merci. J’essaierai d’être une reine comme tu l’imagines.

— Alors tu ne renonces pas à ton trône ?

— Bien sûr que non ! m’exclamai-je en écarquillant les yeux. Même si je me rends bien compte que mes parents préféreraient voir Ash comme souverain.

— Ton petit frère ? Qu’est-ce qu’il a de si formidable ?

— Je n’en sais rien, répondis-je en me renfrognant. Il est plus obéissant que moi, je suppose. Il est plus grand et plus musclé que moi. Il est…

— Pas grand-chose de plus que toi, en vérité, non ? me coupa Al d’un air amusé.

Je rougis puis soupirai.

— Il ne contrôle que le vent, en plus, comme ma mère. Mon père est certain qu’il apprendra un jour à faire appel à la foudre, mais… Il a déjà quatorze ans et ses yeux argentés le sont depuis sa naissance.

— Des yeux argentés ? souffla mon allié en fronçant les sourcils. C’est la marque des Nobles utilisant uniquement le vent, non ? Comme les yeux d’un bleu très vif le sont pour ceux qui contrôlent seulement les éclairs.

— C’est ça, approuvai-je en hochant la tête. Il n’y a jamais eu de reine ou roi ne maîtrisant qu’un seul élément. Ce serait une tare pour le représentant des Nobles. Néanmoins, mes parents s’entêtent à penser qu’Ash réussira un jour.

— Qu’est-ce qui, chez toi, les pousse à craindre ton ascension au trône, Alice ? s’enquit Al d’un ton intrigué.

— Que veux-tu que j’en sache ? grommelai-je en ramenant mes genoux contre ma poitrine. Peut-être que mes idées ne leur plaisent pas. Peut-être est-ce ma personnalité. Ma carrure. Ou toute ma personne. (Je me sentis soudain fatiguée et fébrile.) Mais je ne souhaiterais à personne de devoir vivre auprès d’une famille qui ne l’aime pas et la mésestime.

Il n’y avait pas de mots pour exprimer la condescendance de mon père, son manque d’intérêt pour moi depuis la décision de mes fiançailles ; pour l’indifférence cruelle de ma mère, sa volonté de m’éviter le plus souvent possible, alors que je l’avais tant aimée enfant ; pour les moqueries puériles de mon frère.

— Je comprends, souffla d’une voix douce mon allié, un peu mieux pourquoi tu es partie.

Je cherchai une crispation dans ses traits qui trahirait un mensonge, l’ombre d’un pli sur ses lèvres neutres qui dévoilerait un sourire retenu. Mais rien. Rien que de la franchise.

— Merci, répondis-je alors.

Je récupérai mon bol de pommes de terre et grimaçai : elles étaient à présent froides.


Je croisai pour la première fois depuis notre arrivée dans les Terres du Nord un groupe de natifs le lendemain en fin d’après-midi. Revêtus aussi chaudement qu’Achalmy, de fourrures, de cuir et de laine, ils formaient une bande hétéroclite de femmes accompagnées d’enfants de moins de dix ans, d’hommes d’âge mûr échangeant des embrassades bourrues avec des plus jeunes et d’une vieille dame qui se tenait dignement malgré un dos bossu.

Ils étaient accompagnés de quelques chiens, d’un âne et de deux chèvres, le premier portant de gros sacs en toile épaisse et les dernières des cloches qui carillonnaient au moindre petit bond.

M’efforçant de ne pas trop les dévisager, Al et moi approchâmes le groupe. Nous nous toisâmes en silence. Alors qu’un début d’inquiétude montait en moi, Al posa clairement la main sur son sabre puis inclina la tête. Aussitôt, tous ceux qui portaient des armes – les hommes, la vieille dame, quelques femmes et trois enfants – touchèrent à leur tour les manches de leurs équipements pour exécuter le même salut.

— Bien le bonjour, Chasseur ! lança énergiquement un homme au même accent tranchant qu’Al.

— Bonjour à tous, répondit mon ami avec politesse. Vous emmenez vos jeunes accomplir leur Rituel ?

— Exact ! répondit avec enthousiasme l’un des plus jeunes avec un large sourire. Vous vous y rendez aussi ?

— Oui.

Hommes et femmes échangèrent un regard. Il n’y eut pas un mot prononcé à voix haute ; rien que des coups d’œil, des froncements de sourcils, des sourires, quelques gestes. Puis la vieille dame s’avança.

— Si vous le souhaitez, vous et votre compagne pouvez nous accompagner sur la route.

D’abord angoissée à cette idée, ma crainte se dissipa doucement tandis que les femmes et hommes nous souriaient chaleureusement et que les enfants s’excitaient à l’idée d’avoir de nouveaux amis.

J’allais leur répondre que leur offre était la bienvenue lorsqu’Al annonça poliment :

— Je crains de devoir décliner la proposition. (Il me jeta un coup d’œil par-dessus son épaule et fronça les sourcils en voyant ma mine déconfite.) Mon amie doit aller voir son cousin dans un village proche. Nous irons au campement après.

Je ne comprenais pas ses intentions. Pourquoi ne voulait-il pas accompagner ce groupe de gens ? Ils avaient l’air accueillant et généreux. Soudain, le nombre impressionnant d’armes qu’ils portaient me remémora l’éclat des lames des bandits qui nous avaient attaqués il y a quelques jours. Pourtant ces gens me semblaient honnêtes et amicaux. Pas comme les brutes avides que l’on avait affrontées.

— Oh, dommage, lâcha une femme d’une vingtaine d’année au ventre rond d’un enfant à venir.

— Nous espérons vous revoir au campement, ajouta l’homme qui nous avait salués.

— L’espoir est partagé, déclara Achalmy d’un ton posé.

En quelques secondes, leur groupe s’ébroua puis reprit la route. Les enfants se remirent à courir et à rire tandis que la femme enceinte s’approchait de la vieille dame pour échanger des propos.

J’attendis qu’ils soient hors de vue pour demander à mon allié :

— Pourquoi ne nous les accompagnons pas ?

Désemparé, il me dévisagea puis grimaça de consternation.

— Sérieusement, Alice ? Ils auraient compris en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire que tu n’étais pas d’ici.

À nouveau, je fus surprise de sa logique. Ce n’était qu’une question de rôle à jouer, au final. Simplement un souci de déguisement.

— J’aurais pu expliquer que je suis une voyageuse.

— Il aurait fallu construire toute une histoire pour cacher ton identité. Tes origines, ta famille, ton métier, les raisons pour lesquelles on se connaît et celles qui t’ont poussée à franchir les collines de Minosth. Tu te sentais d’inventer tout ça en quelques minutes ?

Non.

— Peut-être pas en quelques minutes, mais…

— Alice, me coupa mon allié d’un air las. Sois honnête.

Agacée, je me renfrognai puis repris la marche d’un pas bourru.

— Et, en parlant d’honnêteté, en voilà : est-ce que je peux savoir exactement pourquoi tu as décidé de m’aider ?

Son absence de réponse ne fit qu’augmenter ma frustration.

— Achalmy ! tonnai-je en me tournant vers lui. Réponds-moi.

Comme surpris que j’élevasse la voix et m’en prisse à lui, il s’arrêta.

Finalement, il fronça le nez et se remit à marcher.

— Tu veux de la franchise ? Je m’ennuie. Je m’ennuie depuis des années. Depuis que j’ai terminé mon apprentissage auprès de Zane. Je ne suis pas comme lui. Je n’ai pas envie d’enseigner. Je n’ai pas non plus l’ambition de devenir le meilleur comme certains Maîtres d’Armes. Je ne sais pas quoi faire. Pas encore, en tout cas.

Méditant ses propos, je le suivis sur le chemin boueux puis me portai à sa hauteur. Une certaine déception alourdissait mes jambes.

— Alors je ne suis qu’un passe-temps, pour toi ?

Pensif, il me toisa un instant puis haussa les épaules.

— Tu devrais être autre chose ?

Son indifférence fut comme un coup de poing à la poitrine. Un passe-temps. Un fichu passe-temps !

Avec brusquerie, j’agrippai sa manche pour le forcer à s’arrêter. Les traits crispés par le mécontentement, il s’apprêta à parler, mais je le devançai :

— Pour moi, Al, tu n’es pas juste une bonne étoile tombée au moment opportun. Tu n’es pas seulement mon chaperon, comme l’a laissé sous-entendre le comte Wessex Bastelborn, tu n’es même pas qu’un Chasseur qui m’aide à fuir temporairement ma famille. Tu… (ma voix s’adoucit quand je me rendis compte de la véhémence avec laquelle j’avais lancé mes propos) … tu es mon ami.

Interdit, il me toisa avec raideur. Je crus distinguer une légère coloration rose sur ses pommettes anguleuses.

À mon grand désarroi, il ne me retourna pas le compliment. Avec le sentiment d’être une idéaliste sotte et effrontée, il me laissa en plan au milieu du chemin.

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