Les vents erraient depuis le commencement des temps.

Ils vagabondaient de par le monde, jamais au même endroit bien longtemps car, si un jour un vent s'arrêtait, il s'éteindrait pour toujours.

Le Vent du Nord était de tous le vent le plus impétueux et le plus fier. Il était aussi d'un naturel bagarreur et détestait plus que tout la chaleur. Alors, quand qu'il croisait un de ses frères du Sud, il essayait de le geler.

Cela lui attira une mauvaise réputation et, bientôt, tous les Vents du Sud se mirent à l'éviter.

Les Vents de l'Ouest et de l'Est, pacifiques, ne se mêlèrent pas de la querelle, préférant rester neutres.

Les attaques du Vent du Nord contre les Vents du Sud étaient de plus en plus fréquentes, si bien que ces derniers commencèrent à lui rendre la pareille. D’autant que les Vents qu'il gelait devenaient froids à leur tour, perdant la tiédeur à laquelle ils tenaient tant.

Le Vent du Nord, lui, n'en avait évidemment cure, et continuait à souffler le froid partout où il allait.

Or une nuit, alors qu'il soufflait plus fort et plus froid que d'habitude, quelque chose tomba du ciel. Une chose légère et aussi froide que lui. Une chose magnifique, blanche et si fragile, si fragile que sa simple chute l'avait éparpillée en millier de petits flocons.

Le Vent du Nord aima cette belle qui tombait du ciel dès le premier instant. Aussi, pour lui éviter de toucher le sol et de fondre, il l'enveloppa de ses puissants bras de vent et l'emmena très loin au Nord, là où le froid était éternel. Là-bas il la laissa à regret, ne pouvant s'attarder sous peine de s'éteindre à jamais.

La Neige, dans le pays tout au Nord du monde, attendait le retour de son sauveur, qu'elle aussi avait aimé dès le premier instant.

Malheureusement le Vent du Nord passait toujours en coup de vent. Elle savait bien que s'il s'arrêtait, il disparaitrait, mais elle aurait tant aimé qu'il l'emmène autour du monde dans ses bras puissants, dans ses bras de vent...

Hélas, le Vent du Nord avait trop peur. Peur de l'éparpiller sans pouvoir la rassembler à nouveau, peur de n'être pas tout le temps assez fort ni assez froid pour repousser la douceur des Vents du Sud rancuniers qui feraient fondre à coup sûr sa chère Neige entre ses bras...

Les années passèrent. Le Vent du Nord essayait de revenir le plus souvent possible et la Neige l'attendait, encore et encore.

Puis, elle décida que, quoi qu'il lui en coûte, elle voulait passer plus de temps auprès de son amant, plus qu'une petite poignée de minutes, volée à chacun de ses passages.

Ainsi, de toutes ses forces, elle appela le Vent de l'Ouest.

Mais le Vent de l'Ouest refusa de venir.

- Ce qui est au Nord doit rester au Nord, affirma-il.

Alors elle appela le Vent de l'Est.

Mais le Vent de l'Est lui aussi refusa de venir.

- Les affaires du Vent du Nord ne sont pas mes affaires, dit-il

En désespoir de cause, elle appela les Vents du Sud.

Aucun d’entre eux répondit à son appel. Sauf un.

Le plus doux et le plus calme des Vents du Sud l'entendit et vint à elle. Il remonta vers le Nord, avançant discrètement à souffle de brise, évitant le Vent du Nord qui l'aurait glacé s'il l'avait vu si près de son royaume.

Le Vent du Sud s'enfonça loin au Nord. Sa douceur se mua en fraîcheur puis sa fraîcheur devint glaciale. Mais, quelque part au fond de lui, brûlait encore la tiédeur d'un Vent du Sud.

Il aurait pu vouloir venger ses frères geler en faisant fondre la belle Neige, cependant ce Vent du Sud était bien trop gentil pour tuer une innocente.

Il se présenta donc devant la Neige, curieux de savoir ce qu'elle lui voulait et prêt à l’aider au besoin.

- Vent du Sud, je t'en prie ! dit la Neige, emmène-moi loin d'ici, là où l'hiver est encore rigoureux mais en déclin et fais-moi tomber du ciel !

Le Vent du Sud, touché par sa détresse, accepta.

Il enveloppa son cœur tiède de l'air gelé du Nord et emporta la Neige très loin, mais pas jusqu'aux terres où l'hiver était trop doux, pour ne pas que sa précieuse voyageuse fonde.

Tandis qu'il s'éloignait du Nord, de glacial il redevient frais et, de peur de ne pas être assez froid, il n'osa aller plus loin au Sud et s'envola vers l'Est. Pendant son voyage, il fit passer un message au Vent de l’Est, qui s’empressa d’aller le conter au Vent de l’Ouest. Tous deux se mirent enfin à la recherche du Vent du Nord.

Pendant ce temps, le Vent du Sud trouva un pays encore prisonnier d'un hiver rigoureux et il laissa la Neige tomber.

Le Vent du Nord, alerté par les Vents de l'Est et de l'Ouest, revint en bourrasques et, une seconde fois, enlaça la Neige et l'emporta avec lui.

Le temps d'une étreinte, le temps d'un voyage, les voilà réunis et si heureux, que le Vent du Nord oublie un petit peu la terreur qu'il avait eu en voyant sa chère Neige tomber si loin du Nord.

Dans son froid pays, une seconde fois, le cœur lourd, il l'abandonna.

Puis il chercha le responsable à l’évasion de son aimée. Il retourna voir les Vents de l’Est et de l’Ouest.

- Qui a enlevé ma Neige et l’a fait tomber ? demanda-t-il férocement, prêt à se changer en une tempête de glace. Parlez !

- Nous sommes les Vents de l’Est et de l’Ouest, lui répondirent ses frères. Nous ne pouvons mentir. C’est un Vent du Sud qui a enlevé ta Neige, mais il ne l’a pas fait par méchanceté, il voulait juste l’aider…

Hélas, le Vent du Nord n’écouta pas la fin des paroles de ses frères. Il fila vers le Sud, songeant qu’à tout moment l’infâme Vent du Sud aurait pu faire fondre son aimée.

« Et si je n’étais pas arrivé à temps, si les Vents de l’Est et de l’Ouest ne m’avaient pas prévenu, la Neige serait tombée au sol et peut-être n’aurai-je pas réussi à la faire s’envoler à nouveau… alors l’hiver serait passé et ma Neige aurait fondu… Maudit Vent du Sud, tu me le paieras ! »

C'est alors que lui vint une idée.

- Si je gèle tous les Vents du Sud, la chaleur disparaîtra du monde et ma Neige et moi pourront voyager sans souci... Et plus aucun Vent ne pourra braver le froid du Nord, les Vents de l’Est et de l’Ouest, en plus d’être pacifiques, ne sont pas assez chauds pour supporter les grands froids !

Il atteignit enfin le Sud, où il gela tous les Vents qu'il rencontra. Puis, pensant avoir tué la chaleur et gelé tous les Vents du Sud, il repartit errer aux quatre coins du monde, toujours en passant et repassant par le Nord pour entrevoir sa chère Neige.

Toutefois, le Vent du Sud qui avait arraché la Neige au Nord n’avait pas été gelé. Il s’était caché, c’était fait tout petit et avait vu le Vent du Nord geler ses frères du Sud. Ses pauvres frères qui désormais, frais comme une bise d’hiver, pleuraient à froides larmes leurs tiédeurs perdues.

Quelques années plus tard, la Neige, ignorant que le Vent du Nord avait gelé les Vents du Sud pour elle, rappela le Vent du Sud.

Le Vent du Sud l’entendit et répondit à son appel, comme la première fois.

Malgré la menace du Vent du Nord, il revint pour l’emporter et la faire tomber à des lieues du royaume du Nord.

Et le Vent du Nord, encore une fois alerté par les Vents de l'Est et de l'Ouest, la rattrapa et la ramena au Nord.

- Misérable ! s’écria-t-il en repartant du Nord. J’ai donc loupé un Vent du Sud ! Mais cette fois, cette fois il ne m’échappera !

Pourtant il eut beau écumer le monde de long en large en travers, nulle trace de son ennemi...

Et, des années plus tard, la Neige rappela son fidèle ami du Sud...

Néanmoins cette fois, le Vent du Nord fut plus rapide. Le Vent du Sud n’eut même pas le temps d’emporter la Neige hors des frontières du Nord.

Le Vent du Nord entra alors dans une colère noire. L’air autour de lui devint brûlant tant il était froid.

Il se jeta sur le Vent du Sud.

La Neige s'interposa, désirant protéger son fidèle ami.

Le Vent du Nord ne put s'arrêter à temps.

Il était tellement en colère que sa froideur était extrême.

La Neige, si douce, si légère, si volatile devint dure, lourde et immobile.

La Neige s'était changée en glace.

Horrifié, le Vent du Nord hurla et son royaume entier trembla sous ses bourrasques.

Puis, désespéré, le Vent du Nord pleura à petites brises et jamais il n'avait été si faible, si doux.

Le dernier Vent du Sud s'approcha, lui aussi attristé.

Finalement, pour sauver celle qu'il considérait depuis le temps comme son amie, il sacrifia son cœur tiède, son cœur de Vent du Sud. Il enveloppa la Neige de sa tiédeur, aspira au plus profond de lui le surplus de froid.

La Neige redevint douce, légère et volatile entre ses bras.

Le Vent du Nord embrassa son aimée, plus heureux qu'il ne l'avait jamais été. Enfin, il se retourna vers le Vent du Sud, désormais froid jusque dans son cœur, et ne sut trop que dire, mal à l'aise. Il l'avait haï sans le connaître et même gelé ses frères...

Comment pouvait-il se faire pardonner ?

- Vent du Sud, tu as sauvé mon amour... alors que j'ai tué la chaleur du monde, alors que j'ai gelé tes amis... Je ne te demanderai pas pardon, car rien ne pourra excuser ma conduite passée. Mais, toi et les anciens Vents du Sud, vous êtes les bienvenus dans mon royaume. Ensemble nous serons les Vents du Nord. Je vous apprendrai la beauté du froid. Et puis, qui sait ? Peut-être trouverons-nous un moyen de réchauffer les cœurs que j'ai si bêtement gelés...

On dit que les Vents du Sud retrouvèrent leurs cœurs tièdes. Comment ? Cela demeure un mystère.

On dit aussi que le Vent qui a sauvé la Neige devint le meilleur ami du Vent du Nord et que, malgré le froid, il demeure dans le royaume tout au Nord, qu'il a appris à aimer au fil de ses visites à la Neige.

Les autres Vents du Sud, redevenus tièdes, pardonnèrent au Vent du Nord, qui devint plus humble. Ils promirent même de l’aider si, d’aventure, il n’était pas assez fort pour empêcher la Neige de tomber.

La Neige, justement, n'ayant plus rien à craindre de quelques représailles des Vents du Sud, partit pour un très très très long voyage autour du monde entre les bras puissants et froids du Vent du Nord. Jamais plus ils ne se quittèrent.

Et tu sais quoi ? On raconte du reste que leur voyagea dure encore…