Un trajet maîtrisé

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L’association organisatrice de la journée d’échanges étant bénévole, ils ont évidemment opté pour l’option la plus économique. Si Antoine ne savait pas ce qu’était un Ouigo, il a vite compris : pas de prise de courant, pas de wagon bar, et trois places de chaque côté de l’allée centrale. Une personne est donc au milieu de deux inconnus, et ce, sans accoudoir. Une brève définition de l’enfer, pendant 3h30 de trajet en l’occurrence.

Bonne patte, notre biologiste se dirige vers sa place, anxieux. Il ne peut retenir un viril petit cri de soulagement quand il voit qu’il a une place contre la vitre, à droite d’un individu quelconque. Avec ses écouteurs sur une playlist « chill » et son gros roman de Philip Roth sur son Kindle, le trajet pourrait se dérouler sans anicroche. Seule ombre au tableau, les gargouillements de son ventre qui crient la détresse de ne pouvoir commander au wagon-bar inexistant une formule P’tit déj à 8,90€ (café ou thé, jus d’orange 100% pur jus, 3 pancakes et confiture au choix). Alors qu'il commençait à se plonger dans son roman, installé aussi confortablement que possible, il entend :

- Est-ce que vous voulez le lire ?

Un homme, son voisin immédiat (dépourvu d’accoudoir), qu’il ne connaît pas, s’adresse à Antoine. L’angoisse totale. Il retire lentement et à contrecœur ses écouteurs et demande, même s’il avait déjà parfaitement entendu :

- Pardon ?

- L’Équipe, précisa son voisin, tenant le quotidien sur les pages football. Je l’ai bientôt fini, vous le voulez ?

Là, se dit Antoine, il faut être intransigeant. Il est hors de question d’afficher une quelconque fébrilité lors de la réaction, analyse-t-il. Il n’y a que deux chemins possible. Soit il est ferme, franchement impoli, rapide et sûr de lui, et refuse catégoriquement. Soit il laisse dans un léger trémolo de sa voix la possibilité d’une ouverture à la discussion, et là c’est probablement la fin de son trajet paisible.

Échanger des banalités à moins de 15 centimètres de distance avec un footeux, probablement marseillais, est au-dessus de ses forces. Solide sur ses appuis, Antoine articule nettement :

- Ah, non merci.

Il remet rapidement ses écouteurs, pivote de 5 à 10 degrés vers sa vitre et remonte son Kindle un peu trop haut devant son visage, de manière à fermer un maximum son champs de vision. Assez fier de n’avoir pas flanché, Antoine reprend sa lecture.

Que ce soit dit : Antoine va à Marseille pour soigner son karma. Il se dit de gauche mais ne se précipite pas pour aider son prochain. Quelques dons à des assos pour se donner bonne conscience, puisque ça demande finalement très peu d’effort : Quelques clics pour un virement récurrent de 30€ par mois, et ça permet à Antoine de ne plus y penser.

Mais quand même. La vraie entraide. La transmission. Essayer de rendre un peu aux autres moins bien lotis une partie de la chance dont il a bénéficié à la naissance. Antoine aimerait cocher cette case dans sa to do de charge mentale citoyenne, pour évacuer un peu de culpabilité.

Il fait donc cet aller-retour à Marseille. Et cet atelier lui permet de parler de ce qu’il connaît avec ces jeunes en difficultés, décrocheurs scolaires, que la municipalité, par différents programmes, aide à trouver une voie. Soit.

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