Revenue de la chambre où elle avait laissé l'imbécile, elle aidait à présent à débarasser la table. Vraiment... Quelles besognes ingrates devrait-elle encore accomplir ? Rien que de respirer le même air que tous ces abrutis, Maria se sentait profondément outrée. La manière désobligeante qu'ils avaient de toujours s'amuser d'un rien, un sourire débile au coin des lèvres. Leur capacité étonnante à toujours se rendre plus désagréables chaque seconde qui passe... Rien ne la retiendrait une fois toute cette mascarade terminée.

Sa mission désormais à moitié remplie, il ne lui restait plus qu'à dénicher celle qu'elle était venue chercher. À bien y réfléchir, l'ancien détenteur était mort il y a de cela quelques années seulement. Elle pourrait peut-être essayer d'amener la discussion sur les enfants, dans l'optique de soutirer les informations qui lui manquent. Et si ça ne fonctionnait pas... Dans ce cas, dans ce cas alors elle procéderait à sa manière.

La jeune femme se saisit d'une assiette. Captivée par l'objet de ses propres pensées, elle ne contrôla pas sa main, se refermant avec force sur la pauvre céramique qui éclata presque instantanément.

"Oh mon Dieu ! Maria ! Tu n'es pas blessée ? s'écria Amir.

• Je...

Je... non, tout va bien."

Sa main droite saignait.

"Je suis vraiment désolé, je ne pensais pas que nos assiettes étaient si fragiles. J'aurais dû en acheter de nouvelles pour les remplacer et éviter ce genre d'incident. Ta main te fait mal ? Je peux te soigner, je suis doct...

• Je vous ai dit... Tout. Va. bien.

• D... D'accord.

Je vais aller chercher le balai et nettoyer tout ça !"

Maria reprit son expression habituelle. Avec un sourire, elle répondit:

"Laissez, je vais m'en occuper.

• Vous êtes sûre ? Vous saignez, dit Aurélie.

• Oui, il n'y a absolument aucun problème. Comme c'est entièrement de ma faute, cela va de soit qu'il m'incombe de nettoyer."

En une phrase, un malheureux petit évènement, Maria avait perdu en crédibilité. Ces immondes créatures la poussaient à bout. Elle n'en pouvait plus de toutes ces contrariétés. Elle n'allait pas laisser son mécontentement empiéter sur son succès. Seulement elle ne pouvait cacher plus longtemps son dégoût pour tous ces sacs à niaiseries futiles. Il fallait qu'elle en finisse vite. Mais pour l'instant, elle devait se comporter plus "normalement", ne pas éveiller les soupçons.

Cet Amir... elle pouvait confirmer qu'il n'était pas la clé. L'angoisse qu'elle avait sentie émaner de lui. Il avait seulement suffi à Maria d'hausser légèrement le ton pour l'effrayer. Il n'était définitivement pas la personne qu'elle recherchait.

On lui tendit le balai.

Oui, c’était seulement de sa faute si elle devait se ridiculiser. Elle avait mieux à faire que de perdre le contrôle sur sa haine envers les autres. Il fallait qu’elle se calme et accepte encore pour quelques instants de jouer le rôle de la pauvre cruche qui casse de la porcelaine chez ceux qui l’accueillent.

”C’est moi qui suis désolé. Je n’ai pas fait assez attention et ai cassé une de vos assiettes. Dire que c’est comme ça que je vous remercie pour votre hospitalité ! J’ai terriblement honte.

• Ne t’inquiète pas, ce n’est rien. L’important reste que tu ne te sois pas fait mal, répondit Amir.

• J’insiste tout de même pour vous dédommager. Ne serait-ce que pour le repas.

• Non, vraiment, ce n’est pas la peine. Nous faisons ça de bonté de coeur.

• Nous n’allions pas vous laisser dehors dans le froid ! ajouta Aurélie. Je suis sûr que vous auriez fait la même chose.”

Cela, j’en doute, très chère.

”Et puis vous n’êtes pas une totale inconnue, continua Amir.

• Oui, vous avez sûrement raison.”

Ou sûrement pas.

Dans le salon, les enfants s’amusaient à se pourchasser autour de la table basse. En les regardant faire, Maria commençait à s’en rendre compte: c’est forcément l’un d’entre eux. Il ne peut en être autrement. Il fallait juste qu’elle trouve lequel. À mesure que les débris de porcelaine quittaient le sol pour la pelle à balai, la jeune femme prenait son temps pour mesurer leur potentiel à chacun.

Voyant qu’elle les observait, Aurélie demanda:

”Ils sont mignons, n’est-ce pas ?”

Exactement la perche dont elle avait besoin.

”Oui, je les trouve amusants.

• Mais fainéants aussi. Ils pourraient aider quand même ! Fit-elle, adoptant une moue désapprobatrice. Les enfants, vous pourriez aider !

• Oui Maman, on finit juste notre partie de chat ! s’écrièrent-ils.

• Haha, oui je vois. Les enfants… Ils sont vraiment plein de ressources.

• Effectivement. Ces chenapans trouvent toujours une manière d’échapper au travail !” se plaignit-elle faussement.

Elle se mit à rire.

”Vraiment, ils m’en font voir de toutes les couleurs !

• Quel âge ont-ils ? questionna Maria.

• Oh. Eh bien en fait, ce sont des triplés. Ils ont tous les trois onze ans. Vous voyez celui avec deux grains de beauté sous l’oeil droit ? Lui, c’est Alexandre. Ensuite pour le second ce n’est pas simple à voir, mais il a des dents de la chance. C’est Thomas. Quant à celui qui les poursuit, c’est Timéo. Vous savez, c’est très rare d’avoir des triplés. De base nous ne voulions pas tant d’enfants, mais nous sommes finalement bien contents. Ils s’entendent tous complètement à merveille ! Je peux vous raconter comment s’est passée leur naissance, si vous voulez ! Alors… C’était le 5 mai 1988. Si je me souviens bien, il pleuvait énormément ce jour-là. J’ai commencé à avoir de sérieuses contractions…"

Et bla et bla et bla…

Onze ans, donc ? Cela concordait parfaitement avec son hypothèse.

Elle jeta un dernier regard vers eux. Ce n’était qu’une question de temps avant qu’elle ne fasse surgir la véritable identité de la clé.