La leçon

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Je les laissai à leur dispute. Je comprenais pourquoi ma grand-mère avait agi ainsi, et je savais que Papy parviendrait à faire entendre raison à tous. Si mamie aurait agi autrement, cela aurait eu ses bons côtés, mais je me serais questionné sur ce qui aurait motivé un agissement si contraire à ses habitudes

Au demeurant, j'étais trop triste : j'avais été si proche de ma grand-mère...

Alors, je me promenais entre les pierres tombales, lisant les inscriptions à voix haute, et me rappelant tous ces moments passés avec elle. Ma grand-mère avait toujours été d'une douceur et d'une patience inégalées. Je savais qu'elle continuerait à vivre à mes côtés, dans mes pensées...

- Pierre Daveluy, 1892-1905. Alberte Tremblay, 1898-1926. Nicolas Deshaies, 190... NICOLAS ! Mais c'est impossible !

Sur cette pierre tombale figurait le nom de mon ami d'enfance, mais pas seulement son nom: sa photo aussi ! Mais c'était impossible ! Nous étions en 1997, et sous son nom figuraient les dates 1877-1888 !!!

Je tombai à genoux devant la pierre tombale, Je ne pouvais pas comprendre... Ce devait être le grand-père de Nico, c'était la seule explication plausible !

- Nico ! Que fais-tu là ? Qu'est-ce que tout cela signifie ? m'entendis-je prononcer d'une voix lointaine

- Salut Joey...

Je me relevai d'un bond, et il était là, derrière moi. Mon meilleur ami, mon ami d'enfance. Qu'il était petit ! Il était pourtant plus grand que moi... Il devait l'être... Nico était toujours le même, le même qui m'avait quitté 9 ans plus tôt pour la ville de Québec... Mais moi, j'étais rendu à 20 ans... !

- Nico, je ne comprends pas... Explique-moi !

- Je suis content de te revoir...

- Que s'est-il passé, Nicolas... Qu'est-il en train de se passer ?

- Je suis désolé pour la peine que je t'ai causé lorsque je t'ai dit devoir partir, le fait est que, je ne pouvais pas t'expliquer ce que, de toutes façons, tu n'aurais jamais crû...

- Comment peux-tu être mort en 1888, alors que nous avons grandi ensemble ?

- Ne t'es-tu jamais questionné sur le fait que tu étais le seul à me voir ?

- Je n'étais pas le seul à te voir ! Ma mère nous bordait tous les deux à chaque fois que tu venais coucher chez nous, jusqu'à nos 9 ans !... Mon père a déjà soigné la blessure que tu t'étais fait au genou !

Le visage de Nicolas, qui semblait si heureux de me revoir, même si pourtant il gardait une bonne distance entre nous deux, prit tout à coup une expression triste

- Ils faisaient semblant de me voir. Pour eux, j'étais ton ami imaginaire, celui que tu avais inventé parce que tu te sentais trop seul

- Mais c'est impossible ! " m'écriai-je... "Impossible ! Tu es parti à Québec, du jour au lendemain ! Tu m'as laissé tout seul !... Tu n'étais pas imaginaire !... Je pouvais te toucher ! Nous faisions de la balançoire ensemble, petits ! Ta balançoire bougeait autant que la mienne ! Tu étais réel !"

- Alors comment expliques-tu que je n'aie pas vieilli tout comme toi ? Comment expliques-tu ma pierre tombale ?

Je me remis doucement à genoux, pour être plus à sa hauteur, et je me mis à regarder sans voir, cherchant des réponses.

- Je ne comprends pas. Rien n'est compréhensible... Que s'est-il passé ?

- Je suis né en 1877. J'ai des souvenirs très précis de ma vie, quand j'étais vivant. Je me rappelle que j'avais 2 frères et une soeur beaucoup plus âgés que moi, tout comme toi. Je me souviens que je me sentais moi aussi très seul. Je passais beaucoup de temps avec mon grand-père dans son établi, et avec le vieux Thimothy, le vieux sage du village. Les autres enfants se moquaient de moi, ils me traitaient de couard. Tim et Papy m'écoutaient toujours avec dilligence et bienveillance. Ils m'invitaient tous les deux à ne pas me soucier de ce que les autres disaient...

Nicolas prit un temps pour s'arrêter, pensif. Je demeurai silencieux, ne souhaitant pas déranger ses pensées.

- Mais même si je tentais de suivre leurs conseils, la vie à l'école était pénible, quasiment invivable. et un jour, Joseph, Marcel et Georges étaient en train de ridiculiser Louis, l'autre souffre-douleur de l'école. Ils le mettaient au défi de descendre la "côte-du-diable" derrière l'école en luge. Louis refusait bien sûr, et les autres se moquèrent davantage encore de lui...

- ...Et toi, tu as relevé le défi...

- Les autres allaient me respecter après cela, pour avoir bravé l'interdiction de l'école, et avoir fait preuve d'autant de bravoure... Ce n'était pas tant que je voulais gagner leur respect, que j'avais un besoin impératif qu'on cesse de me rabrouer... Une fois assis dans la luge, j'hésitai pendant un moment. Les autres m'encourageaient, et pour la première fois, j'avais l'impression de faire partie de la gang... Je demandai à Georges, le plus fort de tous, de me pousser, ce qu'il fit. Les autres étaient fébriles et m'encourageaient tandis que je dévalais la pente, jusqu'à ce qu'ils me crient de freiner, ce que je tentai de faire... Mais la pente était trop abrupte, et je la dévalais trop vite... En somme, je fus incapable de m'arrêter avant de tomber dans l'eau. Par la suite, je n'ai plus aucun souvenir...

- Est-ce toi qui a fait tomber cette grosse branche tandis que je dévalais la "côte-du-diable" ?

- Oui... Tu avais refusé de m'écouter, et tu avais reproduis exactement la même erreur que moi à ton âge... Je ne sais pas comment j'ai fait, mais au final, je suis convaincu qu'avoir fait tomber cette branche de l'arbre était la seule façon de te sauver.

- Cette expérience m'a appris que gagner l'estime des autres à tout prix n'est pas nécessaire si cela doit me faire agir de façon aussi sotte et dangereuse... C'est quelques temps après que tu es parti, et je dois avouer qu'à quelque part, je ne t'ai toujours pas pardonné, que je ne comprends toujours pas ton départ si subi, et que tu ne m'aies plus donné de nouvelles depuis..

- Durant tout ce temps passé avec toi, je ne me rappelais pas que j'étais mort. Ce n'est que lorsque je t'ai vu assis dans cette luge que mes derniers moments me sont revenus en mémoire. Mais tu ne m'écoutais pas, et chaque seconde s'est mise à compter. Je me suis demandé quoi faire, quand tout à coup, j'ai regardé le vieux saule en plein milieu de la pente. Et j'ai songé très fort que je voulais être sur sa branche avec la scie mécanique de ton grand-père. Et de façon inexplicable, je me suis retrouvé en 2 temps 3 mouvements sur cette branche, exactement là où je voulais, avec la scie mécanique entre les mains... J'ai coupé la branche, sachant que j'allais tomber avec, mais cela n'avait plus d'importance, pas plus que le fait de comprendre: je savais que j'étais mort, et je me suis dit que s'il y avait bien une raison à ma présence dans ta vie, c'était bien pour t'empêcher de commettre la même gaffe que j'avais fait...

- Tu m'as sauvé la vie... Ma mère est venue me chercher en courant et en criant, et elle pleurait tellement quand elle m'a serré dans ses bras ! Personne ne s'est questionné sur comment la branche avait pu tomber exactement au bon moment... Mais moi, je te cherchais partout: je t'avais vu tomber avec la branche, mais tu n'étais plus nulle part !!!

- J'étais tout à côté de toi et de ta mère... Mon grand-père est venu me chercher à ce moment-là, et il m'a dit qu'il était temps de rentrer avec lui, que j'avais accompli ma mission... je lui ai demandé pour te voir une dernière fois, et il a accepté, disant qu'il fallait que je te fasse mes adieux.

- Tu es venu me voir à l'hôpital, en me disant que tu déménageais à Québec avec tes grands-parents.

- Mon grand-père m'a dit qu'il fallait que je te donne une raison plausible à comprendre pour toi sur pourquoi on allait être incapables de se voir à l'avenir...

Je restai pensif un moment, et Nicolas respecta mon silence

- Tu étais si triste, que j'eus aucun mal à croire à ce que tu me disais... Mais pourquoi est-ce que je te vois aujourd'hui ?

- On m'a dit que je pourrais te revoir 2 dernières fois, et j'ai demandé à te voir tout de suite pour ne pas te laisser derrière sans explications, et la seconde fois, j'ai demandé à ce que cela soit quand mon meilleur ami aurait le plus besoin de moi...

- Ma grand-mère vient de mourir...

- Je suis là pour te dire qu'elle va bien, qu'elle ne souffre plus et qu'elle a hâte de te revoir...

- Puis-je la voir une dernière fois ?

- Non, cela est interdit

- Alors pourquoi puis-te voir, toi ?

- Un concours fantastique de circonstances... Nous avons été l'un pour l'autre l'ami que l'autre avait besoin, et la tragédie que j'ai vécu ne devait pas se reproduire... J'ajouterais que les enfants voient et croient en des choses que les adultes ont oublié ou en lesquelles ils ne croient plus

- Je ne te reverrai plus après, n'est-ce pas ?

- Je t'attends de l'autre côté... t'inquiète pas ! Je suis là aussi pour te dire une dernière chose

- Quoi ?

- Tu as une vie merveilleuse qui t'attend, tu ne dois plus vivre dans le passé, ni te questionner autant sur la vie après la mort: la vie après la mort est la poursuite de ce que tu auras entrepris dans ta vie présente, ni plus ni moins.

- Nico ?

- Oui, Joey ?

- Tu seras toujours mon meilleur ami !

- Et toi le mien !

"Prends bien soin de toi" me dit-il avec à la fois avec les larmes aux yeux et son grand sourire jusqu'aux oreilles, tandis que son image disparaissait

- Joseph ! Joseph ! Ou es-tu ?

Mon grand-père venait à ma rencontre

- Ici, Papy !

- Oh mais je vois que tu as trouvé la tombe de mon arrière-grand-oncle !

- Ton Arrière-grand-oncle !?!

- Oui ! Une triste histoire, que mon grand-père m'a raconté quand j'étais petit... Son "oncle" est décédé alors qu'il avait 8 ans. Ils n'avaient que 3 ans de différence. Mon grand-père avait 5 ans quand cela s'était produit, et 55 ans plus tard, il en parlait encore avec les yeux pleins d'eau. Les frères et soeurs de Nico s'en sont beaucoup voulu après l'accident... Du coup, ils ont redoublé d'ardeur avec mon grand-père. Ils disaient toujours qu'ils ne voulaient pas reproduire la même erreur...

- Tu sais, Papy, on fait tous des erreurs. Je ne crois pas que ton père et ses frères aient fait exprès, et s'ils auraient pu intervenir, je suis sûr qu'ils l'auraient fait. Il faut lâcher prise et ne pas vivre dans le passé...

- Je croirais entendre ta grand-mère ! Vous êtes d'une telle sagesse ! D'ou vous la tenez, cela, je me le suis toujours demandé...

- Sans doute d'un ange qui nous parle sans qu'on s'en rende compte !

Nico regarda s'éloigner son arrière-arrière-petit-neveu, son meilleur ami, avec son arrière-petit-neveu

- Je crois qu'ils iront bien, à présent

- Je suis si fière de mon petit-fils ! Es-tu sûr que nous pouvons les laisser seuls ?

- Ils ne seront jamais seuls

Nicolas regarda Gilberte avec la même bienveillance qu'il avait toujours témoigné en les autres et en la vie

- Je crois que tu as bien raison, Nico...

Gilberte, Nicolas et son grand-père regardèrent Joey et Thierry s'éloigner en riant...

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