Chapitre 11 : Le script

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Ses lèvres sont douces mais impitoyables, pourtant je ne les combats pas pour autant. Au contraire, je lui rends ce baiser avec ferveur, sentant le parfum de son désir contre moi. Avec un dernier souffle, nous nous séparons, nos yeux perdus dans ceux de l’autre.

Wow, cela fait bien longtemps que je n’avais pas échangé cette marque d’affection, ça me ferait presque bizarre de retrouver un tel contact. Le pire, c’est que ce n’était même pas réel. Ce sont Magnus et Harvey qui s’embrassaient à l’instant, non Jordan et Harry Styles ! Penser le contraire serait beaucoup trop naïf, même pour moi.

- Well, well…

Je me rappelle enfin que nous ne sommes pas seuls dans la pièce, en me tournant, je découvre les six visages qui nous épient avec l’intérêt le plus confus au possible. Certains, dont ceux de Mrs Avery et même de Mrs Welsh, sont rouges cramoisis. Harry lui, éclate de rire, mettant de la distance entre nous pour sortir du personnage. En retrouvant mon air, je lance :

- Ils ne s’embrassent pas dans le script.

- Un peu d’improvisation ne fait jamais de mal, répond Harry. Et puis ils s’embrassent juste après de toute façon.

Je lis les dernières lignes et effectivement, leur premier baiser devait arriver juste après les deux dernières répliques.

- C’était chouette, reprend de nouveau Harry.

Il me lance un clin d’œil, que j’essaie de contenir sans devenir hystérique. Je me contente de cesser mes tremblements dans la plus grande discrétion, ce qui n’est pas tâche facile, mon partenaire en revanche, a l’air plus qu’indifférent à la situation. Après tout, il a embrassé tous les cinq autres potentiels collègues j’imagine. De toute façon, c’est un garçon beaucoup plus décomplexé que moi, un pauvre baiser n’est probablement rien pour lui.

Moi en revanche, bien qu’il ne soit pas réel, je le considère comme le plus enivrant de toute ma vie. Je ne peux m’empêcher de m’imaginer à quel point j’ai de la chance, des milliers de personnes tueraient pour être à ma place. Harry s’était rassis mais il continue de me regarder en gloussant, devant sa bouille amusée et si mignonne, je ne peux m’empêcher de lui sourire comme un imbécile.

- Bien, c’était très convaincant, rétorque le directeur. On peut passer à la suite.

Le reste se passe comme si le baiser n’avait jamais eu lieu, dès lors que l’audition se poursuit, je retrouve mon sérieux, et ce stress intense. La quatrième scène est un moment partagé entre Magnus et sa plus proche amie : nommée Angeline, ce personnage n’avait pas encore trouvé son actrice. Mildred Welsh continue de réciter pour elle, je remarque cependant que depuis ma scène avec Harry, elle a l’air de me considérer davantage. La scène n’a rien de drastique, un échange amical mais troublé par les péripéties qui entourent nos héros.

La dernière est une scène entre Magnus, son frère Luther et le Prince Harvey. Une scène de confrontation et pour cette dernière audition, j’interprète Luther.

- Impossible ! je crie de toute ma gorge.

Je sens le rouge me monter aux joues, rien à voir avec de la gêne cependant, je continue de vociférer contre Mrs Welsh qui lit pour Magnus et contre Harry qui me regarde avec intensité. Notre échange devient très différent du premier, nous nous hurlons dessus, voulant avoir le pouvoir sur l’autre. Je m’approche de lui, le pointant du doigt et lui criant dessus comme je n’avais jamais encore crié.

- Une fraude ! Une imposture ! je continue de manière exubérante.

Mes cheveux me tombent sur le front, je sens mes traits se durcir, prendre la forme d’un visage qui n’est pas le miens. La satisfaction n’est que totale lorsque Luther s’énerve contre Magnus et que je m’attaque à Mrs Welsh, la pauvre commence à rougir.

- Je vous tuerai tous les deux !

Mon dernier cri, semblable plutôt à un grognement cruel, résonne dans la pièce, tandis que mon cœur s’emballe sous le coup d’une colère qui semble réelle. Même Harry, qui jouait un rôle, semble déstabilisé par l’état dans lequel je me trouve. Pour en arriver là, j’avais réveillé de vieux souvenirs, de vielles sensations, des mésaventures, des frustrations amères. La salle est de nouveau plongée dans le silence.

- Go ahead, termine Harry silencieusement.

Je retrouve mes esprits, sentant la rancœur s’évaporer doucement. J’avale lourdement de l’air, un peu sonné par cette crise délirante, alors que le reste du jury me regarde avec intensité.

- Merci, dit simplement Mrs Welsh.

Soudainement l’atmosphère reprend son cours normal, comme s’ils avaient tous été juste déstabilisés.

- On passe à la suite ? demande Francis Lawrence.

- Ma partie préférée, ajoute Harry.

Je commence vraiment à être inquiet, j’avoue avoir oublié à propos du chant. De plus j’allais chanter avec une des plus grandes célébrités de ma génération, j’allais me ridiculiser à coup sûr et si nous allions chanter ensemble, ma voix paraîtra encore plus mauvaise.

Harry me regarde, le visage affublé d’un grand sourire.

- Tu connais quoi comme musiques ?

La seule chose qui me vient à la tête est la même que la dernière fois. Ma connaissance sur la musique en générale est plutôt limitée.

- Je connais quelques… chansons Disney, je balbutie.

- En anglais ?

- Oui quelques-unes. Toi dis-moi plutôt lesquelles tu connais de ce registre.

- Pas beaucoup je dois l’avouer, il rit. Quoi ?

Le reste du jury le regarde avec désapprobation, après tout c’est dans une production Disney qu’il s’investit. Il semble réfléchir.

- Oh je connais bien la chanson dans la Belle et la Bête, quand ils dansent ensemble. Je ne me souviens plus du nom…

- « La Belle et la Bête » , lance Mrs Welsh irritée.

- Ah ok, oui je connais celle-là.

- Jordan vous la connaissez en anglais ?

- Oui je crois.

Un silence s’installe, personne ne voulait accorder une seconde de plus à cette situation un peu gênante. Tous les regards se posent sur nous, sur moi en particulier. Harry Styles n’a rien à prouver niveau chant, même si je l’avoue, je n’ai pas vraiment idée de comment sonne sa voix. Je me répète les premières phrases dans ma tête en étant à peu près sûr qu’il s’agit des bonnes. Je regarde Harry, voir s’il est prêt. D’un mouvement de tête pour décider quand commencer, nos voix s’élèvent à l’unisson.

- « Tales as old as times, true as it can be ! »

Comme des mois auparavant, je regarde le sol, concentré comme jamais pour maintenir un ton de voix neutre, sans vriller dans de fausses notes, je préfère ne pas prendre de risque. Harry, visiblement très à l’aise, me regarde, je sens son regard lourd sur moi. Malgré la concentration, je prends un moment pour écouter sa voix : grave, masculine et douce, très agréable à l’oreille. De nouveau, je ne parviens pas à me faire un avis sur ma propre voix, c’est comme si mes oreilles y étaient hermétiques pour une raison mystérieuse. Je n’arrive même pas à savoir si nous sonnons bien ensemble. Je n’entends qu’Harry et sa voix mélodieuse.

- « Bittersweet and strange, finding you can change ! Learning you were wrong ! »

Heureusement les paroles me reviennent facilement en tête, l’année 2017 m’avait bien appris la chanson lorsque le Live Action de la Belle et la Bête est sorti au cinéma. J’écoutais les chansons en boucle, jamais je n’aurais pensé à ce moment-là que ça me servirait un jour. Encore moins pour des circonstances pareilles !

Pour les dernières paroles, je lève mes yeux du sol pour croiser ceux de mon partenaire. Nous nous sourions, je prie pour ne pas être complètement ridicule.

- « Beauty and the Beast ! »

Nos derniers échos restent suspendus dans l’air tandis que Mrs Avery applaudit rapidement avec un joli sourire sur ses joues. Avec surprise (et soulagement) même Mrs Welsh affiche une petite risette.

- C’était charmant, déclare le directeur.

- Tu te débrouilles bien, surenchérit Harry.

Je suis resté en tout un bon bout de temps dans cette salle d’audition, plus d’une heure, je suis resté sous les yeux curieux d’Harry Styles plus longtemps que je n’aurais cru. Après ces cinq scènes effectuées, il est enfin temps d’en finir. Le jury se borne à me donner quelques détails supplémentaires sans vraiment me rassurer sur quoique ce soit, bien que Mrs Avery m’offrait encore et toujours son expression encourageante. On me demande si j’ai des problèmes médicaux, de nouveau mon adresse mail, mon numéro de téléphone, plusieurs autres dans le cas où ils n’arriveraient pas à me joindre.

- Merci pour votre présence, me dit Francis Lawrence en me serrant la main. Vous aurez des nouvelles d’ici quelques semaines, voire quelques mois. Nous de notre côté nous allons continuer les castings.

Logique, Harry Styles semblait être le seul à avoir été choisi pour l’instant, de toute évidence la production n’avait pas commencé et la pré-production se trouve encore dans un stade précoce… je n’allais pas avoir de nouvelle avant un bon bout de temps. Il va falloir que je me fasse à cette idée, que je sois préparé à mettre un terme à cette aventure hors du commun. Je dois rentrer en France, reprendre le cours de ma vie, la normale, celle qui m’est destinée. Qui sait ce que donnera cette audition ? Personne pour l’instant, pas même moi, et bien sûr il est vrai que l’espoir qui m’anime en cet instant précis pourrait me faire chavirer. En revanche pour mon propre bien, il est vital que je mette tout ça derrière moi, ne plus y penser, anticiper la déception. Je ne peux m’empêcher de penser qu’elle est inévitable, je ne vois pas pourquoi moi et pas quelqu’un d’autre, surtout avec un clair manque d’expérience.

D’un côté j’ai envie de fuir cette salle en courant et d’un autre, je n’ai pas envie de la quitter, cela reviendrait à mettre un terme à cette fabuleuse histoire. Au moins j’aurai quelque chose à raconter.

Après avoir été raccompagné au dehors, j’inspire grandement l’air frais, essayant de digérer tout ce qui s’était passé, me faire à l’idée que j’avais rencontré un célèbre chanteur que beaucoup adulent. Soudain je souris, comprenant enfin la chance que j’avais. Même non concluante, cette épreuve restera toujours un incroyable coup de chance que je n’oublierai jamais.

Le cœur plus léger, j’entame une petite balade et profite du cadre qu’offre la Walt Disney Company. Je l’observe de tous les côtés, la bombardant de photos, souriant enfin à Los Angeles, ce que je n’avais pas encore fait, trop inquiet pour l’audition. Je me retrouve de nouveau dans la peau du touriste assoiffé d’en voir plus. Non, je ne suis pas dans cette petite ville de France, en train de travailler mes fesses sur une chaise, je suis dans la ville la plus lumineuse au monde, il faudrait être fou pour rester l’esprit torturé. L’atmosphère me parait incroyablement douce et accueillante, le soleil est un très beau bonus. A l’arrière de l’immense compagnie, là où peu de personnes prennent le chemin, je remarque une magnifique voiture surveillée par un homme qui se tient debout, l’air impassible.

. Hey, psst.

Je me retourne, interpelé par la voix d’une personne dissimulée dans l’ombre. En m’approchant, je reste tétanisé. C’est comme si je le voyais pour la première fois, bien que je l’ai quitté il y a vingt minutes.

- Funny you’re still here.

Je reprends mes esprits, est-ce que je dois l’approcher ? Est-ce qu’il m’offre vraiment une conversation ? Que fait-il ici ?

- Tu as bien géré je trouve, peu importe ce qu’ils décident, tu peux être satisfait.

Il est là devant moi, affublé d’une grosse paire de lunettes sombres et d’un gros manteau qui cache jusqu’à son menton. Le gens autour de nous restent inconscient de sa présence.

- Tu attends quelqu’un ? je demande sans savoir quoi dire d’autre.

Jeff, mon manager, il reste quelques modalités à voir avec Francis.

- Donc tu restes dehors à attendre ?

- Je lui fais confiance et puis je n’aime pas rester trop longtemps à l’intérieur.

Il me dévisage autant que je le dévisage. Est-il naturel pour lui de sourire autant ?

- Désolé, j’imagine que tu n’étais pas du tout préparé pour… tout ça.

- Ce n’est rien de le dire.

- Je n’ai pas pu t’ignorer quand je t’ai croisé à l’auberge de Mrs Bailey, tu ressembles exactement à la vision que le jury se faisait de Magnus.

- J’avais cru comprendre, que faisais-tu là-bas ?

- Nous allons tourner quelques scènes d’un film là-bas.

- Oh, « Gucci Murder » c’est ça ?

Harry sourit davantage et passe sa main dans sa crinière soyeuse.

- Je suis impressionné, tu fais des recherches sur moi ? demande-t-il de manière joueuse.

- En fait non, plutôt sur Lady Gaga.

- Bien sûr que c’est pour Stefani, j’aurais dû m’en douter !

- Oh mon dieu !

Le cri qui résonne contre les murs manque de me filer une crise cardiaque. Harry Styles, à peine ébranlé, regarde alentours et sourit à une bande de jeunes filles qui l’épient avec une expression de choc intense. Elles se ruent sur lui, manquant de me bousculer au passage. L’attention ne tarde pas à alerter les autres passants et même les rares qui ne le connaitraient pas s’arrêtent pour admirer le spectacle. Très rapidement le bruit se repend et une horde d’américains se forme autour de nous. Je perds Harry Styles des yeux tandis que d’innombrables flashs m’aveuglent. Le bruit assourdissant des cris, des pleurs et des incessants « oh my god » me donne rapidement mal au crâne, ainsi que de l’anxiété. Je dois dire que ce que j’ai sous les yeux est effrayant, c’est comme si quatre murs se refermaient sur moi. Dire qu’il vit ça en permanence…

Incapable de rester au milieu de cette foule, je m’en extirpe au plus vite, pourquoi voudrais-je y rester d’ailleurs ? De toute façon, j’ai pu profiter de lui bien assez, je repars avec une certaine satisfaction et un baiser en plus de ça. Je me sens rougir.

Sans me retourner, je retourne droit vers mon hôtel.

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