Chapitre 5

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Le comte marchait en long en large dans la salle d'audience du palais. Il avait revêtu son armure, une brigandine noire où les rivets de métal luisaient comme avec colère. Ses pas courroucés résonnaient sur les dalles avec un son de menaces. À la ceinture il avait une épée bâtarde qui se balançait à chacun de ses mouvements tout comme ses longs cheveux noirs de jais qui tombaient tout autour de sa face. Il serrait les dents, ce qui se voyait sans problème surtout du côté gauche de sa bouche, là où sa joue lui avait été plus qu'à moitié arrachée il y avait longtemps par un coup de hache d'une violence phénoménale. On voyait en permanence ses dents à cet endroit, même si sa chevelure cachait relativement l'aspect effrayant de cette blessure.
La porte de la salle d'audience était, conformément aux us, toujours grande ouverte. C'est pourquoi il vit venir de loin le prêtre et le vieil homme. Le comte s'immobilisa, fulminant, et jeta un regard hargneux vers ses otages. Une femme âgée et trois enfants, de onze à dix sept ans, plus deux jeunes adultes, un homme et une femme. Ils étaient tous ligotés aux poings et aux chevilles.
Erheguart, en les voyant, se mît à courir comme il pouvait jusque dans la salle, laissant Fellnhem le suivre plus lentement, un sourire mesquin au visage. Les yeux écarquillés, le soldat s'écria:
"Qu'est-ce que ça signifie ?! Vous n'avez pas le droit !"
Sans aucune retenue, le comte Maillegivre lui envoya un coup de pied en plein ventre. Le vieil homme eut le souffle coupé, recula en titubant et s'écrasa au sol, déjà terrassé.
"Couard ! Lâche ! Déserteur ! Je n'aurais pas besoin d'avoir la loi du duché de mon côté pour punir les gens de ton espèce. Je dois dire que je ne croyais pas que tu oserai venir ici. C'est Fellnhem qui t'a convaincu ?
- Je suis allé le trouver à l'entrée de la cité. Je vous avais dit qu'il rentrerait." intervint le prêtre en pénétrant dans la salle.
- "Qu'importe !" reprit le comte. "J'hésitais à prendre ta famille en otage, sauf que ton fils aîné semble avoir la même lâcheté que toi dans le sang !"
Le concerné parmi les prisonniers émit avec un grognement:
"Je vous interdit de me traiter de lâche. Je suis fonctionnaire dans l'administration, aussi la loi ducale m'interdit de quitter mon poste en temps de guerre autant qu'elle vous interdit de me mobiliser !
- Silence imbécile ou je te saigne !" à ces mots le comte dégaina son épée. "Nous sommes en situation de crise, et sans la trahison de ton stupide père, nous n'aurions pas eu deux problèmes majeurs sur les bras en même temps." puis s'adressant à Erheguart qui gisait encore au sol et peinait à reprendre ses esprits. "Pendant que tu déguerpissais notre armée a été défaite face aux gnolls. Un désastre. Seule la moitié des hommes sont encore en état de combattre. On aurait pu déclarer l'état d'urgence, forcer tout le monde à se réfugier dans la ville, mais non ! Car mon fils est toujours dans la forêt, et nous ne pouvons pas laisser les gnolls prendre la forêt. Pour l'instant j'ai redéployé nos troupes mais…"
Un tremblement nerveux le secouait. Ses dents grinçaient les unes contre les autres.
"Je ne peux même pas envoyer des hommes retrouver mon fils. Ils sont tous mobilisés, et la plupart n'osent pas s'aventurer dans les bois à cause de la quantité de gnolls absurde qui a été repérée." pointant son épée vers Erheguart: "Par ta faute mon fils est en danger ! Chaque seconde qui passe m'est une torture. Et toi, son garde du corps, Qu'as tu fait tout au long de cette nuit ?"
Erheguart balbutia difficilement:
"Je… je… je suis tombé de sommeil…
- Tu as dormi ?! Je croyais que tu étais un chevalier, pas un vieillard sénile. Tu as même été jusqu'à te débarrasser de ton blason. N'y a-t-il donc pas une once d'honneur chez toi ?!"
Erheguart eut beau vouloir parler, les mots ne lui venaient pas. Il n'avait pas honte d'avoir fui, non, il était seulement inquiet pour sa famille.
"Mes enfants comptent plus…" déclara-t-il finalement.    Le comte écarquilla les yeux avant de se tourner vivement vers ses otages.
- "Dans ce cas tu vas me le prouver. Prouve-moi que tu peux tout accomplir pour ta famille !"
Il approcha la pointe de son épée de la gorge du fils aîné d'Erheguart. Les autres otages frémirent d'horreur. La mère poussa un cri. Le comte arrêta son geste et lança au vieux soldat qui se redressait sur ses jambes.
- "Tu es censé être garde du corps de mon fils. Alors fait ton devoir, mieux vaut tard que jamais. Cours ! Pars dans cette satanée forêt et retrouve mon enfant. Sache seulement que pour chaque nuit que tu perdras sans revenir j'égorgerais l'un d'entre eux. Ta femme en dernier, pour qu'elle ait le temps de te haïr pour ton échec à chaque fois qu'elle verra couler le sang d'un de ses enfants. Mieux !" il tourna son regard vers Fellnhem qui regardait la scène sans rien dire avec un grand sourire. "Dans cette situation nous aurons besoin de nous attirer les faveurs de Warzukan par tous les moyens. Plutôt que de les égorger nous les livrerons aux feux sacrificiels. Cela vous convient-il excellence ?
- Tout est fonction de vos volontés messire." répondit l'intéressé avec une légère révérence. "Warzukan pour sa part se fiche de savoir d'où vient la chair qu'on expédie dans les flammes. En fait, beaucoup de théologiens s'accordent même pour dire qu'il a une préférence nette pour l'immolation des innocents."
Ces paroles firent à Erheguart l'effet d'une rafale d'un vent glacial. Un instant il ne sentait plus sa peau, plus son visage, plus son corps. Il était sorti de lui même, trop horrifié pour croire que la chose lui arrivait à lui.
"Palsam...foutre… mais c'est… c'est illégal !
- Je me fiche de la loi du duc. J'ai risqué plusieurs fois ma peau pour sauver celle de cet incapable, il n'a ni la légitimité ni le courage pour me faire arrêter sous prétexte que j'ai tué une poignée de vermisseaux. Tu ferais mieux de partir dès maintenant si tu veux tous les revoir vivants ! Ouste ! Hors de ma vue ! Et si tu reviens sans Adémar je t'ajouterai au feu de joie avec toute ta famille !
- Mais… si votre fils est déjà mort ? Vous allez les tuer pour rien et ça ne servira à rien… vous ne feriez que…
- Il n'est pas mort !"
Cette dernière phrase était plus un cri, un hurlement qui résonna longuement dans la grande salle. Maillegivre tremblait de tous ses membres désormais alors, qu'en silence, il s'avançait vers Erheguart. Ce dernier songea à essayer de tuer cet homme, mais il n'avait pas d'armes et n'était clairement pas assez fort.
"Il n'est pas mort." reprit le comte quand il fut tout près. "Un père sent ces choses. Il n'est pas mort, et je le sais ! Mais il est en danger ! En ce moment même ! Vous devriez comprendre ça. Un père sait quand son enfant a peur, et je sais… je sens qu'en cet instant même mon fils est terrifié, et je ne peux pas aller le sauver. C'est déjà une chose prodigieuse que je me sois contenu jusque là, alors maintenant…"
Sa voix se faisait tremblante comme une flamme qui vibre dans toutes les directions. Puis un silence. Comme si le feu vacillait dans sa démence. Erheguart voulut profiter de cet instant pour dire quelque chose:
"Messire… je n'ai même pas d'armes… au moins…
- Pas de temps à perdre !"
Le compte le poussa vers la sortie et lui jeta littéralement l'épée qu'il avait à la main.
"Fais vite, Erheguart ! Je serai désolé de devoir tuer ta famille, mais tu sais aussi bien que moi que je n'aurai aucune hésitation à le faire ! Ramène moi Adémar en un seul morceau, ou ils mourront tous ! Hors d'ici maintenant !"

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