Chapitre 3

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Les gnolls étaient de ces êtres certainement plus proches des animaux que des humains, même s'ils employaient des outils et des armes. Toutefois, on commettait souvent l'erreur de croire les animaux incapables de tactique. En vérité il y avait deux contextes différents dans lesquels on combattait les gnolls, et dans le comté de Maillegivre ceux ci avaient l'avantage de concorder avec les saisons là ou ailleurs ils concordaient plutôt avec les plans de créatures plus puissantes. L'été, les gnolls n'étaient que des animaux dangereux des forêts, dont le nombre sans cesse croissant devenait problématique car ils chassaient sans cesse plus proche des villages. En petites bandes, on admettait que les gnolls étaient des êtres sournois, et des trappeurs habiles à l'images de meutes de loups organisant leurs chasses dans les moindres détails. On convenait alors qu'il fallait s'attendre à tout type de fourberie de leur part lorsqu'on s'aventurait dans leurs bois. Chausse-trappes, embuscades et contournements étant leur spécialité.
En hiver cependant, ou lorsque divers motifs plus rares les y poussaient, les gnolls se rassemblaient en horde. La nature n'ayant plus assez pour tous les nourrir, ils s'assemblaient en troupeaux immenses comme de véritables légions et marchaient sur les villes humaines pour tout dévorer sur leur passage. Dans ces circonstances, on admettait que les gnolls étaient de sombres idiots, tout juste capables de maintenir des rangs jusqu'à ce que la panique ou la faim les pousse à s'entredévorer. Chaque année les humains massacraient une telle horde, et ainsi ramenaient la population de gnolls à un seuil acceptable pour le reste de l'année, et ainsi garder l'équilibre naturel. Telle était la vie dans le comté Maillegivre. Pourtant en ce jour, obnubilé par la stupidité présumée d'une horde, et aveuglé par l'habitude de ne voir aucun imprévu, un général avait fait en toute connaissance de cause le choix de ne pas envoyer d'éclaireurs repérer le terrain et à la place de les garder avec le gros de la troupe pour ne pas dégarnir ses rangs. Ainsi, un petit groupe de gnolls qui n'avaient pas rejoint la harde s'est retrouvé dans la forêt que son armée avait contournée sans y prêter attention et sans la sonder davantage.
Maintenant. Erheguart devait réfléchir à toute vitesse. Les gnolls étaient des êtres plutôt petits et faibles, mais pas au point qu'on puisse en combattre plusieurs en toute sérénité. Ils étaient deux gardes du corps, et les gnolls qui déferlaient sur eux étaient une trentaine. Le gros de l'armée humaine venait pour sa part de s'immobiliser, car en face la horde amorçait sa charge tonitruante, à l'instant même ou le général était déconcentré.
Erheguart lança un rapide coup d'œil à Femtyr. Le jeune garde du corps levait sa flamberge et l'abaissait déjà pour frapper. La lourde lame déchiqueta l'épaule d'un gnoll qui chargeait avec un fléau rudimentaire, mais s'arrêta net pour hurler de douleur avec des couinements de hyène. De son côté, Erheguart réagit juste à temps avec sa hallebarde pour détourner la pointe d'une lance, mais la créature était hargneuse et frappa avec l'autre extrémité de sa lance. Le coup de hampe fouetta le visage du vieux soldat avec une force qui le surprit. Il n'avait pas abaissé la visière de son casque et reçut cette gifle en pleine mâchoire, mais plus que de douleur, cela lui fit ressentir d'un coup un profond malaise. Alors que son esprit lui criait de se remettre en garde pour le prochain coup et de répliquer, son cerveau opérait bien plus lentement, la tête toujours retournée par la violence du coup. Pourtant le danger était juste là, tout près, terriblement près. Lui qui avait combattu maintes et maintes fois dans sa longue existence savait comment chaque seconde pouvait compter, et chaque atome de son être le savait, alors pourquoi les secondes qu'il mettait pour récupérer de ce coup lui semblaient être aussi longues tandis que son corps ne faisait rien ?
Il se ressaisit seulement au bout de ce qui lui avait semblé être une éternité. Bien qu'aucun coup ne lui ait été porté, la façon dont le temps s'était étiré pendant qu'il s'attendait à être transpercé d'un instant à l'autre avait suffi à l'épuiser, à l'essouffler. Toutefois, ce qui le tira d'affaire fut la voix de Femtyr.
"Vite ! Dos à dos on peut tenir ! Prenez vos positions Erheguart !"
Le concerné le regarda parler avec une sorte d'étrange curiosité. Un éclair se fit dans l'esprit d'Erheguart. Il songea à sa femme et ses enfants, et au fait qu'il n'avait aucune envie de mourir. Sans doute, Femtyr pourrait les retenir assez longtemps. Cette fois l'hésitation lui parut surprenamment rapide en comparaison. Le vieux soldat eut un rapide coup d'œil vers son compagnon, un autre vers les gnolls, et d'un geste preste, presque surprenamment agile pour ses vieux os, il leur jeta sa hallebarde, fit volte face tout en retirant son casque d'une main, et partit en courant.
Il courut aussi vite qu'il le pouvait, cherchant juste à s'éloigner des gnolls. En même temps que ses jambes le portaient, il retira son casque et le jeta sur ses poursuivants, défit sa ceinture avec son fourreau et se détacha de son bouclier pour les jeter derrière lui eux aussi, puis pour encore s'alléger il défit les lanières de sa cuirasse et de ses tassettes qu'il laissa tomber derrière lui. Dans tout l'acte pas une fois il ne regarda en arrière. Il ne courait pas très vite, mais l'adrénaline lui permit de ne pas s'arrêter. Une fois plus léger, il gagna un peu en allure. Il s'éloigna du champs de bataille, des cris des gnolls, courant sans savoir vers où. Du coin de l'œil, il vit le canasson du jeune maître, visiblement lui aussi en pleine fuite éperdue, s'enfoncer dans les bois. Lui aussi pénétra dans la forêt à un autre endroit, jusqu'à ce qu'il doive s'arrêter. Il était si essouflé qu'il crut un instant qu'il allait mourir là, net. Il s'agrippa à un arbre pour ne pas tomber et reprit de grosses inspirations, péniblement.
"Palsamfoutre !"
Après un moment à reprendre son souffle, il vérifia qu'il n'était pas blessé puis, satisfait, se remit en marche, mais la douleur dans ses jambes était telle qu'il lui fallut bientôt s'asseoir par terre. Il n'était plus en état de tenir debout. Il s'adossa à un tronc d'arbre. Il n'était pas encore tiré d'affaire, surtout que le jeune maître avait disparu hors de sa vue. Pourtant, malgré le danger qu'il y avait à une telle chose, le vieil homme décida de rester assis là. D'une part parce que ses efforts pour se remettre debout s'avérèrent infructueux, et d'autre part parce qu'il était vraiment fatigué.
"Fiente. Quitte à trépasser, autant que ça soit dans mon sommeil."
Il ferma les yeux en s'installant aussi confortablement qu'il pouvait dans la neige.

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