À quoi cerf-t-on ?

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Edward avait pu suivre leur piste jusqu'à la base d'opérations de ces humains empestant la mauvaise magie. Ces derniers, lui rappelant vaguement les Inquisiteurs dans son monde, devaient sûrement utiliser des artéfacts sans précaution pour s'attaquer à leurs proies. Le mal par le mal… Le vampire observa le petit fort avec attention.

Construit sur la colline surplombant la ville, il possédait nombre de meurtrières ; l'odeur de la poudre à canon s'y glissait, mais aussi celle de la sueur d'une tension légère. Les archers. Ils restaient cloîtrés le jour durant pour observer tous les allers et venues. La seule entrée semblait être la grille derrière le pont levis, mais…

— Hé, vous !

Edward sentit une odeur de méfiance. Il ne se retourna pas, sa capuche dissimulant ses traits.

— Ne faites pas semblant de m'ignorer ! (des pas cliquetants se firent entendre) Qu'est-ce que vous faites là ? Montrez-moi votre visage !

On posa une main gantée sur l'épaule du vampire, mais c'était presque comme un enfant qui tente d'atteindre celle de son père ; le blafard était très grand. Bien plus grand que les autres humains. Sa capuche toujours rabattue, il se retourna pour toiser l'humain au nez épaté. Celui-ci prit un air surpris et recula d'un pas, peut-être à cause du regard froid qu'il lui jetait. Le vampire ânonna

— Mes excuses, je pensais me trouver face à la bâtisse du seigneur de cette ville.

— Que… Hein ? (l'humain avait reprit contenance) Vous êtes bigleux ou quoi ? Le « seigneur » de cette ville… Ha, elle est bien bonne ! Tout le monde sait que c'est le préfet qui gère Gors Velen.

— Mes excuses, répéta Edward en commençant à s'en aller.

— Tût tût tût ! Tu vas partir comme ça… (le soldat se plaça devant lui) Pas avant d'avoir répondu clairement à mes questions !

Edward soupira ; la plus grande qualité des humains (ou la pire), c'était cette insistance maladive bercée dans les bras de la méfiance. Il plongea ses yeux dans ceux de son interlocuteur. Le brun commun de ses iris s'enflamma en rouge sanglant. L'humain hoqueta, avant d'avoir le regard vide.

— Tu vas continuer ta ronde, et faire comme si j'avais répondu à toutes tes questions. Tu seras satisfait, car tu m'as fait peur et ça t'a permis de booster ton orgueil et asseoir ta supériorité. Va, maintenant.

L'humain, toujours ensorcelé, acquiesça lentement avant de faire exactement ce que le vampire lui avait demandé. De son côté, le blafard se tourna vers la forteresse ; il avait un travail à accomplir.

* * *

— Attends, pour de vrai ? T'es pas en train de me raconter des salades ?

— Aussi vrai que les feuilles tombent en automne.

Au sein de la petite cellule individuelle, Svud conversait avec le chasseur de sorcières depuis déjà dix bonnes minutes. Le sujet portait sur les batailles perdues de Nilfgaard contre le Nord, dont le gros balourd armé jusqu'aux dents semblait être un expert.

— Mais John Natalis et le reste Témériens ont réussi à repousser l'invasion que pendant trois jours ! Et c'est là qu'il a clamsé !

— Vous avez raison sur la durée, mais sur la finalité, j'ai bien lu que Natalis a survécu et est passé à l'ennemi.

— Peuh ! Pour peu que les bouquins chiés par les académiques soient vrais, je veux bien enculer une truie !

L'expérience serait en fait assez sordide… Sentant l'humeur du garde se dégrader, Svud se reprit :

— Il est vrai que les livres ne sont pas source de tout savoir, mais celui qui les a écrit a pu constater les faits de ses yeux.

— Ah ouais ? Et c'est qui l'troufion ?

— Jarre d'Ellander.

L'autre prit un air peu convaincu et haussa les épaules, closant la conversation. Svud aurait bien aimé continuer à parler, mais malgré les connaissances très fournies de son précédent locuteur, l'esprit ne suivait pas. Maghla et Istredd lui manquaient. Il regarda dans la cellule d'en face, mais n'y vit personne. La seule lumière se filtrait à travers une étroite ouverture située trop haut. Le vent de la liberté soufflait, mais Svud ne disposait d'aucune voile pour prendre le large.

Tiens ? Je me demande où est donc passé Tyr… Soudain, Svud sentit quelque chose bouger en dessous de lui. Il sursauta, puis se décala ; une des dalles de la prison semblait vouloir s'échapper. Svud, curieux, décida de l'aider dans son entreprise. Avec effort, il finit par enlever la dalle.

Quelle ne fut sa stupéfaction !

* * *

— Reprenons depuis le début.

Maghla hurla de douleur quand le confesseur lui brisa l'annulaire gauche. Attachée par des lanières en cuir sur une chaise, le confesseur accroupi devant elle. La novice ne pouvait que retenir les larmes dans ses yeux, car cette souffrance n'était rien comparée à ce qu'elle avait déjà vécu… Le confesseur reprit, toujours avec ce ton doux et conciliant :

— Tu me dis que toi et tes comparses ensorcelés voyagent pour parvenir jusqu'aux Monts-Dragons, afin de faire disparaître une brume qui pond des monstres à tout bout de champ ?

Elle acquiesça vivement. Le confesseur soupira d'un air las :

— J'ai vraiment eu mon compte de tous les mensonges de votre engeance – il se redressa, et s'approcha d'une table où gisaient divers instruments – Seulement voilà ; la guerre vous a donné un moyen de vous protéger derrière les rois et les reines. Le conflit de Nilfgaard vous a rendu service… Mais maintenant, vous êtes seules.

Il prit un scalpel aux reflets verdâtres, et le montra à Maghla avec un air amusé.

— De la « Trimérite ». Avant, on l'utilisait juste pour vous couper de la magie. De récentes découvertes ont permis de fabriquer une nouvelle variété de dimérite, plus pernicieuse…

Puis il plaqua la lame contre le bras de Maghla.

L'éclair qui la traversa lui coupa le souffle ; le malaise de la dimérite n'était rien comparé à cette chose démentielle qui rongea sa volonté comme des locustes dans un champ de blé. Aucun son ne sortit de sa bouche, ses yeux se révulsèrent, elle faillit défaillir… avant que le confesseur rompe le contact.

— Vous voyez ? pouffa-t-il tandis que Maghla reprenait son souffle, le front luisant. J'aime vraiment le progrès, il peut tout faire… Y compris remplacer votre pathétique magie.

—…tre

— Pardon ? s'étonna-t-il en tendant l'oreille.

—…allez vous faire foutre !

Le confesseur haussa un sourcil, et lâcha un claquement de langue désapprobateur. D'un geste sec, il plaqua de nouveau la lame plume-de-paon. Cette fois, le hurlement de Maghla résonna à travers tout le bâtiment, n'enviant en rien à celui d'une brouxe. Le confesseur râla et lui mit une gifle pour la faire taire, rompant le contact de la lame.

— Il suffit ! s'exclama une voix autoritaire aux accents nilfgaardiens.

Maghla, les yeux en larmes, distingua une silhouette qui était apparue dans l'embrasure de la porte. Le confesseur gronda tout bas :

— Encore une putain de magicienne… (il parla ensuite d'un ton plus respectueux) Dame Munwogg, cette sorcière est soupçonnée d'user de sortilèges sans autorisation. Je me suis donc permis de la punir.

Munwogg ? se dit Maghla. Elle avait déjà entendu ce nom quelque part… La douleur l'empêchait de se concentrer !

— Tu ne peux rien te permettre, Joldim, fit la voix de la nouvelle venue. Cette femme est maintenant sous ma juridiction.

— Dame Munwogg, je…

— Veux-tu que j'en réfère au Père Supérieur de l’Église du Feu Éternel ? Il serait déçu d'apprendre que l'un de ses Inquisiteurs désobéisse si promptement aux ordres…

Le regard embué de Maghla avait fini par se dégager, et elle put voir le visage rouge de colère de Joldim s'apprêtant à répondre. Mais il se tut, s'inclina puis sortit de la pièce. Là, Maghla distingua le visage de sa sauveuse, et ses yeux s'écarquillèrent de surprise.

— Lorwiva ? hoqueta-t-elle, toujours endolorie par la trimérite. Qu'est-ce que tu fais ici ?

La magicienne s'approcha ; il s'agissait d'une belle jeune femme à la peau mate, au visage ovale et aux lèvres fines. Sous ses yeux bridés de jais se profilait un nez aquilin. De ses épaules cascadaient des cheveux corbin bouclés, une toison qui sentait les chrysanthèmes.

Lorwiva avait été, tout comme Maghla, une novice. Cependant bien plus douée qu'elle, Lorwiva avait achevé sa formation avec brio et était partie pour trouver un roi ou une reine à conseiller. À Aruteza, elle et Maghla étaient amies de chambre. Maintenant, nous sommes peut-être devenues des inconnues… Néanmoins, la magicienne à la toison jais la libéra de ses entraves.

— Peux-tu bouger ?

Maghla frotta ses poignets, et acquiesça doucement. Elle se releva, mais ses jambes lâchèrent…

— Pas complètement, semble-t-il, constata Lorwiva en la rattrapant. Mais il va le falloir si on veut sortir d'ici.

— Je… Pourquoi tu m'aides ? Pourquoi maintenant ?

— J'ai reçu un message de Nina Vivero, et mon mécène a accepté que je le quitte le temps de t'aider. Je savais qu'Istredd est un piètre magicien quand il s'agit de portails, et toi… (elle glissa un regard vers la blonde) Nina m'a dit que tu es toujours aussi douée en guérison.

— C'est une insulte déguisée ou un compliment ? grimaça Maghla.

L'autre ne répondit pas, préférant la tirer hors de la salle de torture. Dans le couloir, aucun garde ; Lorwiva les avait sûrement chassé.

— Ils vont vite revenir, fit-elle comme si les pensées de Maghla étaient audibles. Et quand ils verront que je t'ai libéré, je ne pourrais plus te protéger. Allons-y.

— Attends ! (Maghla l'arrêta d'un geste) Svud et Istredd sont encore sous les fers, il faut aller les chercher.

— Ne t'inquiète pas ; j'ai engagé quelqu'un de très malin pour s'en charger.

* * *

Tyr regarda Svud observer les parois humides et couvertes de champignon, l'air impressionné. Comment pouvait-il être aussi enchanté de naviguer dans les égouts ? L'elfe peinait déjà à ne pas se boucher le nez, une torche dans une main et un kriss dans l'autre. Le magicien était sur ses talons, et ça ne lui plaisait pas.

— On arrive bientôt ? finit par demander ce dernier.

—…

— Vous voyez les branches qui se dessinent sur les murs ? Ce sont des motifs elfiques ! Je me demande de quand est-ce qu'ils datent, s'émerveilla Svud.

Tyr jeta un coup d’œil aux dits-murs ; en effet, des arbres aux sinueuses branches y étaient gravés. Mais on aurait pu les confondre avec les trop nombreux champignons… L'elfe soupira ; heureusement que la femme encapuchonnée l'avait grassement payé pour y entrer. Mais au final, je l'aurais quand même fait sans…

— Nous approchons de la sortie, je le sens ! fit le mage avec emphase. Cet air si frais et si…

Ce dernier frissonna. De la vapeur sortirent de leurs bouches, et chacun d'entre eux se mirent à grelotter. Tyr se dit qu'il s'agissait du mistral car les égouts se déversaient dans la mer. Dès lors qu'il vit la surface de l'eau geler et les murs se couvrirent d'une broderie blanche délicate, il sut.

— Il y a un monstre là-dessous. Merde !

— Encore ? fit Svud.

— Ce ne sont pas des sirènes, claqueta Istredd en plongeant ses mains sous ses aisselles.

Tyr se tint à l'affût. L'air… Il était lourd de silence, mais pas seulement ; c'était comme une présence imposante qui remplissait tout le couloir. Trouve en la source, pensa l'elfe en se fiant à ses sens. La présence s'intensifia, et…

— Elle nous attend au bout du croisement, la petite futée !

— Qui te dit que c'est un « elle » ? s'offusqua Svud. Ça pourrait très bien être un « iel » ou un « on » !

Tyr roula des yeux, avant de passer la torche à Svud ; il rangea ensuite son kriss, prit son arc dans son dos, encocha une flèche et avança lentement. Ses yeux se tournèrent vers le haut ; c'était souvent ici que les créatures attaquaient. Elle ne peut pas être aquatique et geler son habitat, avait-il compris.

— Pourquoi tu regardes là-haut ? s'enquit Svud.

— Ferme-la.

Tyr banda son arc, et passa dans le carrefour…

Rien.

Surpris, il débanda son arme, regarda aux alentours ; l'air était normal, l'eau avait dégelé… Que s'était-il passé ? Il se tourna vers le magicien pour qu'il lui offre une explication, mais ce dernier leva les mains pour montrer qu'il était aussi ignorant que lui. Tyr le maudit intérieurement.

— On va continuer, mais en silence ; le monstre nous a peut-être prévenu qu'on était sur son territoire. Svud, passe-moi la torche…

— Bien sûr, répondit une voix inconnue.

Et une main blafarde lui passa un bois brûlant. Tyr cria de surprise et de douleur, lâchant la torche qui tomba dans l'eau en sifflant. Le noir survint. Et deux yeux rouges.

— Je te prie de m'excuser, Tyrael Aegnnirson. Maintenant, si tu permets…

— COURREZ ! hurla ce dernier.

Et s'élança sans demander de restes. Dans la pénombre, les champignons luisaient légèrement et éclairaient les contours. Tyr sauta par dessus un ruisseau d’égout, courut de toutes ses forces. Il haletait ; son cœur battait à la chamade. Les yeux qu'il avait croisé… Pas de doute : c'est une saleté de vampire supérieur !

Il entendait le souffle de Svud, les pas trébuchants d'Istredd. Et pire encore, il n'entendait aucun autre son ; le vampire était une ombre qui se mêlait aux ténèbres et au vent, probablement déjà devant eux en ce moment. Un rat passa sous ses pieds, mais il l'ignora, courant dans l'obscurité.

Là ! La lumière se profilait devant lui, une échappatoire certaine. Restait à savoir si c'était vraiment le cas… Tyr fit l'erreur de se retourner et blêmit : derrière lui, Svud se trouvait nez à nez avec un vautour noir aux sphères rubis.

— Te voilà, fit le monstre d'une voix caverneuse.

Svud glapit lorsqu'une langue de nuit s'abattit sur lui, qu'il esquiva d'un saut en arrière. Istredd, plaqué par une autre contre le mur, était inconscient. Tyr bondit vers eux sans réfléchir, ces paroles brûlantes dans sa tête :

Aux Murmures des songes

Quand le Mange-Soleil viendra à lui

Il tombera dans la Nuit

Quand Le Murmure des Songes

Viendra prendre le Fils du Feu…

La Chose nous épousera

* * *

Svud plongea pour éviter un nouveau fouet d'ombre. La créature qui tentait de l’enserrer était une sorte de pilier de ténèbres aux yeux rouge sang. L'odeur qu'elle dégageait rappelait celle d'une liqueur de pêche. Deux choses qui n'avaient pas de rapport… Sauf là ! s'exclama-t-il en pensées en esquivant un autre fouet.

— Cesse de bouger, n°46. Je fais ça pour ton bien…

N°...46 ? Svud croisa le regard rouge, et la réponse, inscrite dans ses gènes, jaillit : il s'agissait d'Edward Kor'Al'Tain, le Seigneur Pourpre, le Porteur du Graal, le Mange-Soleil… Et bien d'autres noms, mais bref ! Svud n'avait pas le temps de…

Soudain, Tyr débarqua sur le « dos » de la créature, planta un couteau dans sa « chair » à plusieurs reprises. Il hurla vers Svud, enragé :

— Bouge !

Celui-ci dérapa en se relevant, plongea pour éviter une autre lacération et courut. L'air frais, la lumière ; Svud déboucha sur une plage, les pieds dans un ruisseau puant. Il se retourna ; Tyr était toujours emmêlé dans son combat, et en connaissant la force d'Edward, c'était joué d'avance.

Que pouvait-il faire ? Il n'était pas magicien, n'avait jamais tué de dragons… Merde ! Si j'en suis là, c'est le destin qui m'a vraiment pris pour un con !

— Seigneur Pourpre ! finit-il par tonner.

Sans prévenir, Tyr fut éjecté hors de l'égout, tandis que la masse sombre dégoulina de l'ouverture, avant de se reformer en un grand homme pâle, aux yeux rouges sang. Le vampire toisait Svud de toute sa hauteur.

— Je te propose un marché, ajouta ce dernier. Laisse mes amis tranquilles, et je ferais ce que tu attends de moi.

— Simple mais efficace, déclara le vampire, puis haussa des épaules : De toute manière, je n'ai aucune raison de les détruire ; ils me gênaient simplement.

Tyr s'était relevé entre-temps, et s'élança vers le pâle, le couteau levé. Svud fut surpris du silence de son assaut, tel un loup fondant depuis une hauteur. Il va l'avoir, se dit-il en le voyant viser la tête. Une langue noire jaillit du long manteau pour faire valser l'assaillant, qui s'écrasa un peu plus loin. Edward n'avait même pas cillé.

— Déraisonnable décision sur laquelle tu ne dois pas prendre exemple. Bien, suis-moi et nous pourrons…

Edward se retourna subitement, avant qu'une explosion le balaye en un nuage de fumée. Istredd, les vêtements trempés de poussière, avait les mains tendues vers l'endroit où le vampire se trouvait une seconde auparavant.

Le magicien inspirait à grands coups, transpirait à grosses gouttes, mais son regard n'était pas terni par la peur. Il intima Svud à le suivre d'un signe de tête, et aida Tyr à se relever au passage.

— Rappelez-moi de ne pas vous énerver la prochaine fois que je vous parle, fit Svud tandis qu'il marchait aux côtes d'Istreed.

— Dès que nous serons partis de cet endroit affreux, ça arrivera si vous ne me dites pas pourquoi cette monstruosité en a après vous.

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