La forêt aux miroirs

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Il n'y avait rien de plus triste que la perte d'un être cher, Paul le savait bien. Ce n'était pas tant la perte en elle-même qui était douloureuse, mais la certitude de savoir qu'il n'y aurait plus jamais de moments à partager avec l'être perdu. Chaque fois qu'il se remémorait toutes les parties de cache-cache dans la maison de leur grand-mère, toutes leurs disputes idiotes pour savoir qui aurait le droit de choisir le programme télé du soir, ou encore toutes ces nuits blanches passées à jouer aux jeux vidéo à l'insu de leurs parents; Paul avait envie de pleurer et de disparaître.

La perte de son frère avait été un choc pour tout le monde, personne n'aurait pu penser que le jeune Stéphen mourait d'une chute dans les escaliers à tout juste 11 ans. C'était incompréhensible pour Paul, son jumeau connaissait leur maison comme sa poche, ils avaient souvent joué à chat dans les escaliers, il n'aurait jamais dû mourir de cette façon. Il était bien trop en colère contre le destin pour admettre qu'un moment d'inattention suffisait pour perdre la vie.

La tête posée contre la vitre de la voiture, Paul restait silencieux, se contentant de regarder défiler les arbres dont le feuillage orangé annonçait la venue de l'automne. La mère du jeune garçon était tout aussi silencieuse, en réalité ni l'un ni l'autre n'avaient prononcé le moindre mot depuis plus de deux heures. Il ne restait plus beaucoup de route avant d'arriver chez la grand-mère de Paul, et il fallait bien briser la glace.

- Ne fait pas la tête mon chéri, tu verras tu vas bien t'amuser avec mamie, et puis ce n'est que pour une semaine le temps que papa et moi parlions de quelques détails avec nos avocats. En plus, regarde autour de toi, tout n'est que nature et campagne ça te fera du bien.

Paul ne répondit pas à sa mère, c'était sa manière à lui de lui signifier qu'il n'avait aucune envie de passer une semaine entière dans ce trou perdu. Partout où il regardait il ne voyait que des arbres ou des champs. La conductrice comprit alors que ce n'était plus la peine de dire quoi que ce soit.

Peu de temps après, ils arrivèrent finalement chez la grand-mère maternelle de Paul. C'était une vieille femme qui vivait seule dans une grande maison rustique, entourée d'une immense forêt dense. Il n'y avait même pas de clôture pour séparer le jardin de la forêt.

La mère de Paul salua rapidement sa génitrice, embrassa son fils sur la joue, et remonta dans sa voiture. Elle partit, et regarda dans son rétroviseur comme pour contempler le reflet de son garçon à mesure qu'elle s'éloignait de lui.

Une fois que la voiture disparue complètement du leur champ de vision, la vieille femme prit Paul dans ses bras, visiblement heureuse de le voir, bien que cela ne soit pas réciproque.

- Comme tu as grandi mon garçon, la dernière fois que je t'ai vu tu devais avoir cinq ou six ans. Viens Stéphen je vais te faire visiter la maison.

Paul se raidit immédiatement dans les bras de sa grand-mère. L'entente de ce prénom lui rappelait de pénibles souvenirs.

- Mamie, moi c'est Paul.

- Qu'est-ce qu'il raconte celui-là ? Tu es Stéphen.

- Stéphen est mort l'année dernière.

- Qui est mort ?

- Stéphen !

- Qui ?

- Ton petit-fils !

- Oui c'est toi mon petit-fils. Au fait, c'est quoi ton nom déjà ?

Paul leva les yeux au ciel en signe de capitulation. Il prit sa valise rouge en main, entra dans la maison sans attendre que la vieille femme l'y invite, et se dirigea directement vers la chambre d'amis qu'il partageait autrefois avec son frère. Cette chambre était petite et composée seulement d'un lit double et d'une fenêtre. Le garçon pouvait voir l'immense forêt orange, elle paraissait sans fin.

Après une demi-heure à contempler la forêt par sa fenêtre, Paul sorti de sa chambre, il vit sa grand-mère endormie dans son canapé gris, de la bave coulait doucement sur son menton. Il sortit alors de la maison, le temps était doux, le soleil était haut dans le ciel, et il éprouvait la violente envie d'être seul. Il marcha alors en direction de la forêt, en quête de solitude, voulant s'éloigner de cette maison qui le déprimait.

Il pouvait entendre les chants des oiseaux qui lui semblaient mélancoliques. Les feuilles des arbres tombaient petit à petit, créant un immense tapis orangé posé sur le sol. C'était beau, mais également triste, car c'était des feuilles mortes. Paul s'enfonçait de plus en plus profondément dans la forêt, perdu dans ses pensées, il ne se souciait de rien. Il se fichait pas mal de se perdre en forêt ou encore de se faire attaquer par un animal, il voulait juste marcher encore et encore, peu importe où il allait.

Mais au bout d'un certain temps, la lumière se faisait de moins en moins forte. On aurait dit que les rayons du soleil se faisaient dévorer par la végétation. Ce n'est que lorsqu'il ne ressentit plus aucune chaleur sur sa peau que Paul sortit enfin de ses pensées. Il regarda autour de lui, et vit que la beauté orangée de l'automne avait laissé place à des couleurs plus froides. Mais ce qui perturba Paul ce n'était pas la disparition soudaine du soleil, mais la forme de certains arbres. En effet, plusieurs arbres avaient une forme de spirale, ils étaient complètement tordus, et on pouvait voir sur leur tronc des sortes de dents de scie. Ces arbres avaient une forme d'escaliers.

Paul secoua la tête, se disant que c'était lui qui se faisait des idées. Il continua donc sa marche, mais ressentait à présent une certaine inquiétude qui le gagnait. Mais il n'eut pas le temps de s'inquiéter davantage, car en tournant la tête sur sa droite il vit la présence d'un grand miroir.

C'était un miroir sur pied fait en bois, et qui faisait exactement la hauteur de Paul. Il se demanda qui avait bien pu laisser un miroir ici, mais en tournant encore la tête il en vit un autre, et encore à côté un autre. Il y avait en réalité plusieurs miroirs sur pied posés un peu partout dans la forêt. Cela donna la chair de poule à Paul, qui commençait à paniquer et à chercher le chemin du retour.

En passant tout près de l'un des miroirs, il put se voir complètement pour la première fois depuis des mois, mais son reflet était très étrange. En effet, il savait qu'il avait d'immenses cernes sous les yeux, et qu'il était très maigre étant donné qu'il mangeait très peu depuis la perte de Stéphen. Or, ce reflet ne présentait aucune imperfection sur son visage, il n'avait ni cerne ni signe de maigreur. Paul se rapprocha doucement du miroir, pensant qu'il n'était pas assez près pour se voir en détail. Ce n'est qu'une fois suffisamment proche de la surface réfléchissante qu'il vit son reflet se mettre soudainement à sourire.

Paul sursauta et poussa un cri. Son coeur faillit s'arrêter, et il tremblait de peur. Il voulait courir le plus vite possible, sortir de cette horrible forêt et surtout s'éloigner de cette horreur. Mais, l'étrange double de Paul lui souriait de façon très douce, de façon presque rassurante. Les tremblements du garçon se calmèrent peu à peu, et il s'approcha de nouveau du miroir.

- Stéphen ?

Le reflet souriait de plus belle, et posa sa main sur la surface du miroir, la paume colée sur le côté opposé à son double. Paul posa à son tour sa paume contre la surface du miroir, ses larmes coulant de plus belle sur ses joues. Pour la première fois depuis un an, Paul pleurait de joie.

- Je n'ai aucune idée de se qui ce passe. Peut-être que je deviens fou, mais honnêtement je m'en fiche.

Paul se mit alors à regarder la structure grobale du miroir. Il tâtait toute sa surface, ainsi que ses contours en bois à l'aide ses deux mains, comme s'il cherchait une trappe cachée ou quelque chose dans le genre. Mais le miroir semblait tout à fait normal.

- Comment je peux te sortir de là ?! Stéphen, dit moi comment te sortir de là !

La bouche du reflet se mis à bouger, visiblement il tentait de dire quelque chose à Paul, mais aucun son ne parvenait à ce dernier.

- Je n'entends rien.

Son double lui fit alors signe de le suivre, et se mit à courir vers le côté gauche du miroir, il n'y avait alors plus rien dans le miroir malgré le fait que Paul se trouvait toujours en face de l'objet.

- Stéphen ?!

En tournant la tête il vit son double debout, toujours souriant à la surface d'un autre miroir posé un peu plus loin. Il faisait toujours signe à Paul de le suivre. Puis, il disparut de nouveau pour apparaître de nouveau dans un autre miroir encore et encore. Paul se mit à courir de miroir à miroir pour ne pas perdre son double de vue.

- Stéphen attends moi ! Ne pars pas je t'en prie !

Paul courait à en perdre l'haleine, il respirait si vite que ses poumons le brulaient. Son organisme lui hurlait de s'arrêter, mais son esprit lui soufflait que s'il stoppait sa course, il ne pourrait peut-être plus jamais revoir son jumeau. Après plusieurs minutes de courses effrénées entre les arbres, Paul atterri finalement en face d'un grand lac.

Il y avait de la brume autour de lui, il ne pouvait pas voir l'autre côté du lac, et son fond non plus. Tout ce qu'il voyait, c'était son reflet à la surface de l'eau qui lui souriait toujours. Paul, pleurait maintenant de désespoir, et plongea ses mains dans l'eau, voulait désespérément attraper son double, le sortir de l'eau pour le serrer dans ses bras. Mais évidemment, ses mains traversaient la surface aquatique, faisaient bouger le reflet à cause des mouvements de l'eau.

- Je t'en supplie reviens Stéphen ! Je te jure que je te laisserai toujours choisir le programme télé ! Je te donnerai tous mes jouets, même ma console ! Je ferais tout ce que tu voudras, alors s'il te plaît ne me laisse pas !

Le reflet pouvait ressentir toute la tristesse du garçon, il lui mima de venir dans l'eau, et ouvrit grand ses bras comme pour l'accueillir. Sans hésiter une seule seconde, Paul entra d'abord son visage dans l'eau, puis le reste de son corps suivit le mouvement.

Finalement, Paul traversa le miroir, et ne revint plus jamais de l'autre côté.

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