Chapitre 1

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Malgré cette odeur de chocolat qui me chatouille les narines depuis une bonne demi-heure maintenant, je parviens tout de même à rester concentré pour t’écrire un petit mot.

Je ne sais pas trop pourquoi je t’écris. J’ai p’t’être envie de me faire mousser, parce que je sais que d’après toi, je me débrouille pas trop mal. Ou alors, j’ai juste à l’idée de te balancer mes pensées du jour en plein dans la gueule. Je ne sais même pas, en vérité. Comme beaucoup de choses.

Je crois savoir pourquoi je n’arrive plus beaucoup à écrire ces derniers temps. Je me mets trop la pression. On m’a tellement prit pour un scénariste de talent, pour un écrivain en herbe, etc etc … Alors qu’en fait, je n’écris que trop peu pour qu’on me considère comme tel. J’aime écrire, oui. Je suis bon ? Mouais, si on veut ; dans le même style, Fabcaro est cent fois mieux.

Je crois avoir le syndrome du fainéant en permanence. Tu commences un truc un beau jour, tu continues quelques jours encore, puis tu t’arrêtes pour autre chose. Et tu recommences ce schéma jusqu’à plus soif. Je fais comme ça depuis que je suis gosse. J’ai même cru que ça me ferait la même chose pour les gonzesses, mais dieu merci, je sais rester stable à ce niveau-là. Du moins aussi stable qu’un être humain moyen pourrait l’être.

Ce fameux schéma, je l’ai reproduit pour pleins de « passions » quand j’étais gosse. Pour mes classements de foot, pour mes jeux de toutes sortes, pour mes écrits, … Je n’arrivais jamais à finir complètement ce que je commençais. Par la suite, cela s’est produit lors de mes écrits « scénaristiques », pour mes « romans », pour mes journaux intimes et tout le tintouin.

Le nombre de conneries qu’il me reste sur les bras, si tu savais … Ou plutôt au fond d’un placard. Quand je relis ses sornettes, je ne me dis même plus que je devrais recommencer, comme quand j’étais gosse. Au contraire, je trouve finalement ces idées nulles à chier ou non abouties et je ne les retravaille plus. A tel point qu’aujourd’hui quand j’ai une illumination cérébrale, quand mon imagination redémarre pour quelques minutes son temps journalier de production (qui devient annuel au fil de ma vie), je ne prends même plus la peine de la calligraphier. J’imagine et je ferme les yeux. J’écoute de la musique et j’attends que ça passe.

Une heure plus tard, j’ai déjà tout oublié et cette petite idée à la con s’évapore à jamais dans les méandres de ma mémoire sélective.

Voilà ce qui est chiant avec l’âge. On ne retient que le plus pénible, que le plus inintéressant, le plus stressant, le plus compliqué, …

Et oui, je dis avec l’âge. Et non je ne parle pas comme si j’avais 90 ans. Jusqu’à preuve du contraire, j’en ai bien 23, bientôt 24. Mais je me rends déjà compte de ce changement indescriptible en moi, qui ne cesse de croître. Je ne joue plus, je ne crée plus. Je ne m’émerveille plus devant rien, plus rien ne me choque. Là où avant, je pouvais jouer pendant des heures durant, voire des jours, aujourd’hui je suis soulé en moins de deux. Je n’ai plus aucune imagination, que dalle. Plus aucune ambition. Quand j’étais gosse, je voulais être un grand écrivain, un réalisateur hors du commun, un acteur de génie, une personne reconnue, respectée. J’avais de grands projets. Maintenant, je sais qu’au final, tout ça n’était que du flan. Je me disais « plus tard, je serais … plus tard je serais … ».

Quand t’es jeune, tu rêves, tu ne vois rien d’autre. Tu ne te remets pas en question, tu ne te rends compte de rien. Tu es aveuglé par quelque chose que tu ne connais à peine. Puis quand tu y es confronté réellement, tu te casses la gueule violemment. Tu penses que le monde s’ouvrira à toi parce que tu as du « talent », parce que tu as un toupet que les autres non pas alors qu’en fait tu ne fais qu’écrire des gros mots sur une feuille blanche.

Tu ne sais pas que tu vas voir tout ça différemment avec le temps. Tu es accaparé par tous pleins de choses « importantes ». Elles te bousillent, te fatiguent, t’alignent … Tous ces papiers administratifs de merde, ces charges à la con, ces petits boulots de mes deux. Tu te sens juger partout où tu vas si tu ne fais pas les choses comme tout le monde. On te traite de fainéant, de con, de profiteur … Tu as une pression sociale omniprésente. Puis ça te stresse tellement, ça te prend les tripes tous les matins quand tu te lèves, tous les soirs quand tu te couches que tu ne cherches même plus à te retrouver un peu seul, à réfléchir, à imaginer, à rêver … A écrire.

Tout me stresse, c’est comme ça. Faut s’organiser avec toutes ces nouvelles choses. Enfin, tu subis l’organisation plutôt que de la mener comme bon te semble. Tu n’as pas vraiment le choix. Les journées se ressemblent alors toutes, tu n’as même plus l’impression de vivre. Et pourtant, je ne suis pas chiant à ce niveau-là. Je n’ai pas besoin de faire le tour du monde pour me sentir vivant. J’ouvre un bouquin, je regarde un film, j’écoute de la musique et hop, le tour est joué. Mais surtout, j’écris. Et comme je vis en écrivant, je me fatigue. Or, quand je rentre chez moi le soir, je suis fatigué. Quand j’arrive au boulot le lundi, je suis fatigué. Le week-end, au lieu de vivre, je m’ennuie. Je n’ai de goût à rien. Je pense à toutes les choses que je vais devoir faire dans les prochains jours, si ce que j’ai déjà fait a bien été fait, etc … C’est le genre de paperasse qui me donne envie de tout laisser tomber. Je ne m’intéresse plus. Je n’ai même pas envie de savoir. Tout me prend la tête, tout.

Quel connard me diras-tu. On a tous à subir ces saloperies. Les papiers d’assurances, les heures au téléphone pour tenter de joindre telle ou telle entreprise, banque, etc … Mais c’est un tout. Je commence à craquer physiquement, psychologiquement … Je ne sais pas pourquoi ça me fait ça. Tout le monde vit ce passage au monde adulte. Tout le monde doit se prendre en charge à un moment donné. Et je le fais ! Mais je n’en peux plus. J’ai besoin de respirer, de rêver. C’est invivable.

Quand est ce que je serais livré pour mes meubles ? Est-ce que je serais présent pour les réceptionner ? Est-ce que tous les papiers de l’assurance ont été réglés ? Comment je vais les monter ces meubles ?

Tu pourrais me rétorquer que je suis paradoxal. Je dis qu’étant enfant j’avais des rêves et des ambitions alors que plus tôt je t’affirmais que je laissais déjà tout tomber à cette époque. Seulement quand j’étais gosse, j’avais une excuse de dingue : le temps. Aujourd’hui, le temps, il défile. Et puis si tu te poses cinq minutes, tu te sens mal, t’as l’impression d’être une merde. En fait, ce n’est pas seulement l’entourage qui te le fait comprendre, ce n’est pas tant les « règles sociales » qui me le mettent en tête. Non, c’est moi. Tous les jours, je me juge.

« P’tain mais bouge-toi le cul, arrête de regarder la télé ! Ecrit ! Sors ! Et tes papiers alors ? T’es grand maintenant, merde, ressaisis-toi ! ».

Quand j’étais gosse, je pouvais arrêter un « projet » sans entendre la voix de la raison au fin fond de mon crane. J’écrivais par plaisir. Je faisais autre chose en attendant. Au fond, j’étais gamin, je pensais avoir tout le temps pour le faire, toute la vie. D’autant plus que, comme dit plus haut, je reprenais souvent quelques semaines voire quelques jours après.

Bon, parlons de la qualité de ces chiffons … Clairement, c’était de la merde. Tu as pu le voir, même les conneries que j’écrivais lors de mon adolescence étaient plus que moyennes. Mais, tout ça, au final, on s’en tapait. Ce qui comptait, c’était que ça me fasse du bien. Certes, c’était incompréhensible, idiot, faussement rebelle mais …

Tu vois, plus de doutes, je suis un adulte aujourd’hui. Aujourd’hui, je réfléchis. Je n’écris plus pour ce qui me passionne mais j’écris pour tout autre chose. Maintenant, je fais toujours attention à tout.

« Non, tu ne peux pas faire ça comme cela, les gens ne vont pas comprendre ! » ; « Quoi ? Comment ça, la femme fait la cuisine ?! Bravo, le sexisme ! » ; « Mais cette histoire elle est vue et revue ! Tu dois inventer quelque chose de dingue, de novateur, d’inédit ! Mets des Orques en antagoniste si tu veux mais, oh, bravo le plagiat sur le Seigneur des Anneaux ! Où est ton imagination, sombre crétin ? » ; « Aie, non, t’auras jamais le budget pour cette scène. Non, non, personne ne voudra de ton scénar’. Trop compliqué. » ; « Si tu parles de ton ex, fais gaffe, à la sortie du film, elle va te coller un procès ! » ; « Enfin, encore faut-il que tu fasses la note d’intention du scénariste et le synopsis pour la prod’ ! D’ailleurs, ça fait combien de temps que tu devais les travailler … ? Un an, plus ou moins ? Ouais, t’es vraiment un incapable. » ; « Attends, donc le seul gros projet que tu as réussi à clore, raconte en fait l’histoire que tu as vécue avec ton ex ? D’accord … Donc tu n’en as pas tant souffert que ça, je me trompe ? Tu t’es dit que ça pouvait être chouette à raconter, que ça allait te faire du pognon et basta. T’es un opportuniste. Un artiste qui n’a tellement rien à raconter qui calligraphie un personnage qui se plaint pendant presque deux heures de film ! En plus ! Chouette comme début de carrière ! » ; « Attends, calme toi cow-boy ! Quelle carrière ? Tu te prends le bourrichon on dirait … ».

Bref, tu vois le tableau. Un Picasso. C’est un vrai bordel à l’intérieur.

Et là, tu vois, je me trouve insupportable. Je me sens insupportable. Je parle d’une personne qui baisse les bras à bientôt 24 ans, qui voit déjà la vie comme un fardeau. Et cette personne, c’est moi. Je suis ce type que tout le monde déteste dans les films romantiques à la mort moi le nœud. Celui qui chouine à la moindre petite secousse, alors qu’il doit faire face aux même soucis que les autres. Laurent Lafitte dans les Petits Mouchoirs de Guillaume Canet, quoi.

Comme tu le sais, je travaille en ce moment en résidence autonomie pour personnes âgées et souvent, ils m’avouent qu’ils préféraient mourir plutôt que de continuer à vivre la vie qu’ils mènent. Ils n’ont plus aucun but, plus aucune raison de se battre. Ils sont trop vieux, trop fatigués … Ils passent leur matinée à attendre le déjeuner, puis ensuite ils jouent aux cartes ensemble, montent chez eux, regardent la télé et…la boucle est bouclée. Alors, qu’est-ce que je peux leur dire, moi ? Je ne dis pas que je ressens la même chose mais, merde, je m’ennuie dans ma vie. Il n’y a rien de surprenant, tout est contrôlé, tous les jours se ressemblent, les semaines de même, les mois … Et j’ai 24 ans. Eux, me disent que je dois profiter à fond de ma jeunesse, que le temps passe à une vitesse folle, que je dois mordre la vie à pleine dent … Alors, ok, ce n’est pas la même époque, ni la même génération … Mais putain, la plupart ont connu la guerre et pourtant ils jouissaient de leur jeunesse à fond ! Quel connard je fais. J’ai une copine merveilleuse, de bons amis, des collègues que j’apprécie et j’arrive encore à voir le mauvais côté des choses ! Pourtant, je ne peux pas m’en empêcher, c’est comme ça ! Je ne suis pas heureux. Est-ce un crime, une honte, de ne pas l’être, même si je ne suis pas à plaindre et tout en sachant qu’il y a des cas bien pires que le mien ?

Alors pour le cas que je représente, qu’est-ce qu’il me faudrait pour être heureux ? N’avoir aucune contrainte ? Non, quand même, je ne suis pas tombé aussi bas. Mon dieu, j’espère que non. Faudrait-il que je vive librement ? A ma façon ? Libre des autres ? Ouais, non. C’est bien gentil le côté anarchiste poussé à l’extrême mais faudrait pas abuser non plus. Vivre dans la rue, dans la peur, sans savoir où aller, comme un animal sauvage mais sans les bases de la survie, je ne pense pas non plus que ce soit la solution. Non mais, au final, ce que j’aimerai, ce serait d’avoir un véritable but dans la vie. Aller au taff, manger, baiser, dormir, et rebelote … C’est bien sympa deux minutes mais c’est redondant. Pas les actes en eux-mêmes, évidemment. Il y a pire, merde. Mais ce qui est chiant c’est de vivre cette frise à longueur de temps … Quasiment toute sa vie.

Pour certains, ça leur va pleinement. Ils sont dans un confort relativement sympathique, ils sont comme tout le monde, ne se posent pas plus de questions que ça et voilà. Trouver un boulot pas trop contraignant après le lycée ou faire des études dans une branche qui leur plaise, trouver un copain, une copine, se faire de l’argent, prendre leur autonomie, puis fonder une famille, se marier, tenter de garder un job le plus possible, vivre avec leurs moyens, aller voter, partir en vacances une fois tous les 6 mois (pour les plus chanceux), éviter le divorce, s’occuper de leurs gosses jusqu’à plus soif, etc etc … On est d’accord, c’est le schéma le plus courant dans les pays occidentaux. Les autres, leur entourage et le reste, ne les jugent pas trop dans ces cas-là. Ils ne prennent pas trop de risques. Mais souvent, très souvent, ces gens se font un bilan de leur vie arrivés à un certain stade de leur existence. Et c’est là que c’est triste. Ils regrettent énormément de choses. C’est humain. C’est la vie. Chaque détail qui constitue notre existence, à partir du moment où il est exécuté, se voit retenu à jamais. C’est seulement à l’inévitable fin où on s’en rend compte. L’humain n’a que faire des avertissements … On nous force à vivre vite. A oublier ce pourquoi on est venu au monde. Et, donc, moi, c’est peut-être ce que j’aimerai retrouver. J’aimerai pouvoir tout plaquer, prendre plus de risques mais j’en suis incapable. Parce que, et ce comme beaucoup de personnes qui s’en sont rendu compte avant moi, j’en ai peur.

Disons alors que j’aimerais naïvement que la vie soit plus simple. J’ai l’impression franchement désagréable que l’existence n’a plus de sens d’une façon générale. Seul les plus courageux arrivent à faire de leur vie, une aventure au minimum intéressante. Ils sont malins, intelligents, véritablement ambitieux. Ce serait donc ce dont j’ai besoin … De courage. De foutre mon stress irrationnel de côté, d’arrêter de me prendre la tête avec des sottises ou de penser que ce sont les autres qui feront de moi la personne que je désire être. Comme beaucoup de gens, je retiens trop ce qu’on me dit, je retiens beaucoup trop ce qu’on me trouve … Peut-être faudrait-il que je me mette en tête que la seule personne digne de penser que j’ai raison dans mes choix ou mes idées artistiques, c’est moi. Qu’on me fasse des retours positifs ou négatifs sur mon travail personnel ou, tout simplement, sur ma personnalité, devrais-je cependant en prendre compte ?

Toutefois, attention. Sans les autres, nous ne sommes rien. Et de ce fait, je ne serais rien si je joue l’égoïste à deux balles. J’ai beau vouloir ou ressentir cette spécificité qui m’est propre, je n’en suis pas moins un être humain comme tout le monde. L’avis des autres a donc, malgré tout, son importance. Et c’est là encore tout le paradoxe de la condition humaine. La société actuelle a peut-être un nombre incalculable de défauts mais elle permet, au minimum de penser à autrui, de ne pas faire n’importe quoi sans que sanction soit prise …

Par exemple, je rêve de prendre l’Opel Corsa un jour et de prendre la route sans jamais savoir où aller, juste comme ça. M’évader, pour toujours. C’est bien beau sur le papier et nombre de mes amis me diraient de le faire tout simplement. Pourquoi pas ? Mais les retombées derrière eh bien … Pas de boulot, pas d’argent ; pas d’argent, je ne risque pas d’aller bien loin, car un plein c’est bien gentil mais si c’est pour se retrouver en panne à Saint Cyr mon Trou de Balle, non merci. Alors ok, si je veux, je peux me dire que de toute façon, j’ai du pognon de côté, une carte bleue relativement garnie etc, etc … Mais très vite j’aurais tout jeté par la fenêtre. A moins que je veuille dormir dans une forêt humide et angoissante, à bouffer des lapins morts à moitié dévastés par une maladie encore inconnue … Vaut mieux prendre un hôtel pas trop cher avec un bon lit douillet et de la nourriture un minimum décente. Or, voilà, ça a un coût … Et sauf si je suis le fils d’un richissime propriétaire turc, mais dans ce cas putain, qu’est-ce que je fous dehors bordel de merde, je ne vois pas comment je vais pouvoir tenir plus d’une semaine.

Revenons à ce que je voulais en venir. Le mec de l’hôtel, les types qui font que je peux prendre de l’essence avec ma carte Gold Premium à tout instant, les pelos qui me servent à manger tous les jours, s’ils n’étaient pas là, je ne pourrais jamais faire toutes ces choses-là. Alors, en gros, la liberté absolue, celle qu’on voit au cinéma depuis que les Frères Lumières ont inventé ce noble art, celle où on part vivre notre vie, à la conquête du monde, à la conquête de notre personnalité, etc etc … Sans les autres, sans ceux qui vivent comme tout le monde … Elle serait impossible. Alors, donc, ce serait cette société qu’on déteste tant qui nous permettrait d’en rêver. Sans la société, sans ces modes de vie qu’on nous impose ; à quoi rêverions nous ? Verrions-nous la définition de la liberté de la même façon ?

Putain, je vais loin, là, ça y est. Voilà que je fais mon philosophe, maintenant.

A la base je parlais d’une déprime passagère, maintenant je fais une théorie sur ce qu’est la liberté et ce que ça implique. Allez, ta gueule. Reste concentré, parle d’une chose en particulier.

Lorsque j’écrivais étant enfant, on me reprochait souvent de vouloir trop en faire. Qu’à chaque fois que je commençais une histoire par un sujet, je n’arrivais jamais à m’y fier. Je ne pouvais pas m’empêcher de raconter tout et n’importe quoi. Parfois en un seul bloc.

Je t’avoue que ça m’a bien fait chier au début. Pourtant, entre autres conseils, ça m’a permis d’être plus rigoureux.

En vrai, je crois que ça m’a rendu complètement névrosé. Ce texte en est la preuve.

Voilà ce que tu es en train de lire. Les réflexions OSEF d’un pseudo écrivain stressé comme jamais. Déjà déchu. A 24 ans.

On reproche beaucoup aux gamins. De ne pas faire comme ci, comme ça, de ne pas dire tels ou tels mots, de ne pas sortir trop tard, de ne pas aimer ce con ou cette conne, … Les gosses, laissons les tranquille, tu ne crois pas ? Arrêtons de les « protéger ».

Tu sais, nombre de films/livres et autres œuvres culturelles se sont amusés à mettre en scène des jeunes contraints, subitement ou non, à vivre seuls. Sans adultes, sans autorités.

Quand j’avais (ça y est, il recommence avec ces « quand j’étais un petit n’enfant … ») déjà quelques années, je me voyais héros d’une histoire fantastique. Je devais faire face, à l’aide de mes amis imaginaires, bien sûr, à un ou des mondes complètement badass sans queue ni tête, avec des créatures totalement invraisemblables et des pouvoirs tout aussi ridicules. Rien de bien original me diras-tu. Jeu du jeune garçon blanc hétéro macho privilégié de base quoi.

Ce que je veux dire par là (tantôt faut-il que j’ai réellement quelque chose à dire), c’est qu’à cet âge-là, la vie est sans cesse une aventure. On ne devrait pas changer ce ressenti propre aux enfants. Bien sûr qu’il doit y avoir une autorité et une éducation. Il n’y a aucun doute là-dessus. Mais le formatage, le fait de jouer sur leur peur infantile pour parvenir à nos fins, le cassage, le mensonge … Je trouve cela horrible.

Si je dis ça, c’est parce que ça me manque tellement cette période de ma vie. On découvre tout, on s’étonne de tout, on est encore choqué, naïf, impressionnable, intéressé. L’existence n’est alors que rêves, histoires, jeux, … Le monde qui nous entoure est une analyse personnelle, loin de ce qu’il est réellement.

Les rayons de supermarchés deviennent des routes, un ballon de football est la représentation d’une finale de coupe du monde en plein milieu d’un terrain vague, une carte à jouer devient un trésor plus précieux encore que tout le reste, un couloir en haut des escaliers devient un donjon surplombant tout un royaume, une simple poupée est, elle, une idéalisation personnelle de la femme parfaite avec qui nous vivons des histoires extraordinaires, les Playmobils vivent et racontent nos meilleurs scénarios au sein de constructions architecturales totalement improbables, une musique est un voyage auditif intense qui traverse tout notre organisme dans une vague d’émotions totalement inconnue et qui nous marque jusqu’à la fin de notre existence, nous fructifiant des images incroyables, dignes de nos rêves les plus complexes.

Puis ensuite vient la transition, tu sais, l’adolescence. Ce moment horrible où tu ne supportes plus rien ni personne, où même ton corps te rappelle d’une manière peu sympathique, que tu dois te préparer à être un homme ou une femme et de ce fait, à subir ce que tout le monde a déjà subi avant toi. Ce passage insupportable qui te fait comprendre que maintenant, fini de jouer, tu vas en baver, tu ne contrôleras plus rien … Et ce même si tu ne ressens pas de changement évident dans ton comportement, tu sais que le regard des autres va changer du tout au tout et pire que tout, que tu vas ressentir un jugement permanent sur toi-même et sur ton entourage.

Sans parler de cet intérêt pour le sexe qui, avec du recul, est relativement pitoyable. Tout, je dis bien tout, est une excuse pour penser au cul.

Les rayons de supermarchés, ne sont plus des routes remplies de bons et beaux véhicules, non, ça devient un repère de cul ! A chaque rayon, de nouveaux culs, de nouvelles surprises, de nouvelles découvertes. Plus il y a de rayons, plus t’as la chatte qui mouille ou la queue qui se coince dans ton calbute, t’y peux rien, c’est plus fort que toi ! Tu cherches de partout, tu fouilles, tu fouilles, tu fouilles ! T’as l’application Pokémon Go du cul inséré bien profond dans ta jeune cervelle humaine de futur baiseur intergalactique. Le ballon de football devient, quant à lui, une tronche humaine avec une bonne grosse bouche à pipe que tu es le seul à visualiser. Le terrain vague, la finale de la coupe du monde, tu t’en branles, tu veux juste te taper le ballon, coûte que coûte ! La carte à jouer, elle, est victime du syndrome de la peau nue. L’image de la carte a beau représenter une créature dégueulasse mi humaine, mi gobelin aux dents dévorées par des carries immondes qui rendraient jaloux le clochard en bas de ta rue, mais le seul truc qui t’intéresse, c’est la petite parcelle de peau visible à un endroit évidemment stratégique que tu n’avais jamais remarqué avant d’être devenu une queue ou un clitoris sur patte. En deux minutes, tu es déjà à poil en t’astiquant frénétiquement le manche ou la chatte, brisant par la même occasion la conscience de cette pauvre jeune carte innocente, qui préférait nettement se prendre des cailloux dans la gueule quand tu faisais des duels dans la cour de récré ! Le couloir dans les escaliers est un repère de décolleté ! Suffit que tu vives sur une mezzanine, et là, c’est le paradis des cochons ! Même le mini centimètre de nichon qui dépasse du top de ta mère t’obsède jusqu’au petit matin. Sans parler des poils sur le torse en plein été de l’oncle Benjamin que t’arrives à voir grâce à son polo un peu ample. Puis alors, s’il sent bon quand il s’approche de toi quelques minutes plus tard, c’est piscine party dans la culotte !

Bon, allez, parlons-en de la poupée. On arrive sur un sujet sensible, là, attention. Je crois qu’en trois nuits, tu lui as fait subir toutes les pires atrocités qu’on puisse faire à un objet. Te frotter contre, l’écraser sous ton poids, lui rouler des pelles au point que son « visage » ne soit plus qu’un ramassis de salive du front au menton, lui donner des coups de reins aussi violents que maladroits, coller ta bite ou ton vagin sur son visage (ce qui ne te dérange pas pour autant de continuer à lui rouler des pelles juste après), lui susurrer des immondices, la lécher, la faire jouir (oui, oui, tu l’imites en train de jouir, alors que pour de vrai, le partenaire en question te supplierait d’arrêter pour enfin devenir officiellement asexuel dans les années à venir), y frotter ta poitrine juvénile, et je suis même persuadé que parfois, tu lâchais tout ton foutre sur son petit corps fébrile, qui demandait simplement à ce que tu continues à le prendre dans tes bras comme tu le faisais il y a quelques jours encore. Tu fais baiser tes Playmobils dès que tu les prends en main, et les belles images musicales que tu avais en tête à chaque fois que tu écoutais la radio, deviennent de longs et inépuisables moments intimes devant deux trois clips à la limite du suggestif.

Notre corps, notre cerveau et tout le reste, se préparent à effacer toute l’innocence de notre passé, pour laisser place à une vie basique, monotone et calculée. Même si tu penseras moins au cul dans les années à venir et ce que tu sois un homme ou une femme, tu passeras bien plus de temps à mater le derrière de tes congénères plutôt qu’à t’intéresser au monde qui t’entoure.

Encore une fois, il y a des cas à part et si vous vous en connaissez dans votre entourage, gardez les, vous êtes chanceux. C’est peut-être le seul conseil que je peux vous donner. Et pour ce qui concerne notre vie d’adulte, le cul n’est plus le seul élément qui fait que notre présence terrestre puisse être misérablement insignifiante. Mais je vais y venir.

Et évidemment que j’abuse, qu’est-ce que tu crois. C’est du cynisme. Tout le monde n’est pas aussi pitoyable entre 12 et 20 ans. J’hyperbole.

Quoi que.

N’empêche qu’il faut bien s’envoyer en l’air avec une peluche de tigre asiatique si on veut devenir l’adulte imparfait dans toute sa splendeur.

Parce que, putain, c’est logique que l’adolescence soit une période horrible … Tu passes de l’être humain totalement optimiste et plein de vie à un abruti sans intérêt, sans ambition sincère, inutile et inintéressant. Ah bah oui, ça fait un choc.

Les adultes sont, dans l’ensemble (je parle toujours dans l’ensemble, la vie serait encore plus triste qu’elle ne l’est déjà si il suffisait d’employer des généralités), tellement pitoyables. Endormis, idiots, plus manipulables encore que leur progéniture, égoïstes, chiants à en crever, hypocrites, mauvais, lèches-bottes, cyniques, larmoyants, … J’en passe et des meilleurs.

Repartons sur les exemples cités plus haut : un adulte, dans un rayon de supermarché, il a l’air d’un gros con. Il est là parce qu’il n’a pas le choix, alors il pourrit son monde. Il calcule à peine ses congénères, leur passe devant comme si de rien n’était. C’est limite s’il ne leur collerait pas une bonne grosse beigne pour être plus tranquille. Il fait ça toute les semaines, ça l’emmerde mais il emmène quand même ses mioches parce qu’il ne sait pas quoi en foutre. L’intelligence même. Il gueule sur eux tout le temps alors que si ils se font si chier que ça, c’est uniquement par sa propre faute. Et même l’autre couillon sans gamins à l’autre bout du magasin. Il pense à quoi, pendant qu’il fait ses courses ? Il espère qu’il n’y aura pas de bouchons sur les routes, qu’à la caisse, cette fois ci, il n’y ait pas l’autre gros mou du gland de quatre-vingt-dix balais son aîné qui va mettre quinze plombes pour poser trois boîtes de conserves sur le tapis. Il va sortir du parking comme un barge parce qu’il sait bien qu’à cette heure-ci, tout le monde fait exactement comme lui et qu’il doit être le premier sur la route, parce que lui, ce soir, il baise, parce que sa vie à lui est plus importante que celle des autres. C’est vrai quoi, chacun ses emmerdes. Lui, c’est la personne qui a le plus trimé, d’abord. C’est pourquoi il mérite bien de se faire pomper le dard ou de se faire brouter la vulve, en rentrant à la maison le soir.

Voilà, voilà, je me lâche, j’exagère, je suis vulgaire mais roh, ça va, tu vois bien ce que je veux dire.

Un ballon, pour lui, ce n’est plus rien. Ça ne représente plus rien. A la limite, il donne un petit coup de pied dedans, pour amuser le clébard. Il y joue parfois avec son fils ou sa fille pour l’occuper un instant mais au lieu de penser au beau stade de son enfance, il réfléchit à ce qu’il va faire à bouffer le soir. Une carte à jouer, n’est plus qu’un objet qu’il laisse de côté pour la prochaine brocante. C’est vrai, si jamais il est dans la merde financièrement parlant, se sera toujours un petit plus … Puis, il y en a tellement, que, n’empêche, ça prend de la place ces conneries.

L’image le rend peut être un petit peu nostalgique sur le coup mais, voilà, le temps de lire cette simple phrase, il ne ressent déjà plus rien.

Le couloir en haut des escaliers est toujours chouette, mais le seul truc auquel il pense quand il y passe c’est de savoir quand est ce qu’il a été balayé la dernière fois. L’escalier en lui-même, n’est plus un terrain de jeu comme tu t’en serais douté. Non, c’est même devenu le contraire. C’est un danger avec un grand D rouge foncé.

La poupée, maintenant, le fait flipper. Sans forcément parler des films d’horreurs hollywoodiens à la mort moi le nœud qu’il a particulièrement dévoré durant son adolescence, il n’ose plus la toucher. Il n’aime plus son regard vitreux, sa fausse peau froide et son teint pâle. Le tigre asiatique sent mauvais, est trop poussiéreux et le simple fait de se rappeler que c’est bien sur cette peluche qu’il se prostituait il y a quelques années encore, le gêne profondément comme si il regrettait un plaisir personnel passé. Plaisir qui s’est, par la « force des choses » écrasé sous le poids de sa soi-disant « maturité ».

Un Playmobil est devenu un encombrant. Pire que les cartes, puisqu’il fait mal aux pieds. Puis, faut pas que les gosses ne jouent à ça. Ce jeu donne une mauvaise image de l’égalité des sexes. La femme fait le ménage et l’homme construit des maisons ? Tu parles d’une honte. Non, l’adulte sait mieux que son propre rejeton ce qui est bien pour lui ou pas, point. Quand lui y jouait, ce n’était pas pareil, c’était une autre époque, tu comprends …

Puis la musique … C’est triste. Elle est devenue un accompagnement routier. Il la met pour faire passer le temps quand il s’ennuie, quand il est seul dans son bolide. Eh, oui, parfois ça continue à le faire rêver. La mélodie l’émeut, quelques émotions resurgissent. C’est souvent à ces instants où le passé le rattrape et le frappe au visage de plein fouet, lui rappelant qui il était ou qui il aurait aimé être. Chaque note est un fragment de souvenirs, un retour en arrière qui se veut de plus en plus lointain au fil des allers et des retours, des semaines, des mois, des années, puis des décennies. Non pas parce que la musique parle de tout ça, non, pas besoin. Mais parce que la musique, comme beaucoup d’autres arts, remet les choses à leur place. Elle s’imprègne en nous. Nous la digérons à notre manière. Elle recentre nos ambitions, nos joies, nos réelles émotions …

Et pourtant, rien y fait. Il continue sa route, sa vie monotone, n’écoute que trop peu ce que son cœur lui ordonne. Il vit une vie qu’on lui a dictée et qu’il se dicte lui-même par la suite. Trop peur, trop de remise en question, trop de ci, trop de ça.

A l’image de ce dessin sur la carte de son enfance, il laisse tomber.

Et tu t’en doutais sans doute, mais je le comprends.

Tout ce schéma me pénètre. Rester l’enfant que j’étais est de plus en plus difficile.

Je suis ce que je viens de décrire.

La première fois que je m’en suis rendu compte, date de quelques années déjà. J’étais dans ma caisse (décidément, les bagnoles sont omniprésentes dans ma vie, c’est dingue) et j’avais, comme les autres jours de la semaine, quelques minutes à tuer avant d’aller au boulot. J’étais garé sur un parking, attendant que ce soit l’heure. J’en profitais pour lire le dernier tome de la saga littéraire de Maxime Chattam : Autre-Monde. Série de bouquins que j’appréciais particulièrement. Des gosses/pré-ados se retrouvent seuls après une tempête, leurs parents ayant disparus ; résumé bref.

A la fin du manuscrit, l’auteur finit par une petite note tout simple. L’invitation à l’écoute du titre O’Children de Nick Cave.

L’enfoiré.

Je connaissais déjà cette chanson. Elle est présente dans le septième film d’Harry Potter, les Reliques de la Mort, Partie 1, ainsi que, par la force des choses puisque fan de la saga, sur mon téléphone. Du coup, j’allumais l’autoradio, y connectais mon mobile via le Bluetooth et lançais la mélodie.

Pas de doute, quel enfoiré.

J’ai pleuré comme une madeleine.

Comme ça, au milieu d’une vaste étendue de béton, seul dans une Opel Corsa crade, le livre ouvert sur les genoux.

Je ne comprends rien aux paroles de la chanson, mais je m’en fiche royalement. C’est ce qui en fait son charme d’ailleurs. Je voyais un homme qui parlait d’enfance, de rêves, de quelque chose qu’il a perdu. Puis j’ai réceptionné cela à ma manière.

Cette musique représentait la fin d’Harry Potter, ou du moins ce qui a conduit à son dénouement. Histoire que j’ai suivie durant toute mon enfance, à travers les bouquins puis les films et ce, jusqu’à la majorité. Qui s’était, de plus est, aboutie il y a peu.

Et maintenant, irrémédiablement, elle me rattachait à une autre belle découverte. Qui, elle aussi, avait évolué et muri en même temps que moi. Là aussi, une histoire d’adolescents, vivants des aventures fantastiques.

C’est dingue, comme parfois, les choses s’alignent toutes seules. Pour les religieux, ce sont des signes du Saint Esprit. Certains parlent de destin, ou que sais-je encore … Moi, je ne saurais pas mettre de mots dessus. Tout ce que je savais, était visible, palpable ou émotionnel.

Je sentais filer toutes ces belles choses. Qui, certes, seraient très vite remplacées par d’autres mais, il n’empêche que tout cela s’évaporait. La fin du bouquin marquait un autre dénouement. Celui du bonheur incomparable des découvertes enfantines. Et derrière ce parking m’attendait l’inévitable. L’usine de l’existence, la routine machiavélique, ce que j’ai toujours repoussé. Je ne pouvais plus faire marche arrière. J’y étais, un point c’est tout.

C’était comme si je m’en rendais compte, subitement.

Je n’étais plus dans l’espoir inconditionnel de quelque chose. L’extraordinaire n’était plus que fiction, rêve d’une époque, que je laissais traîner derrière moi tel un énorme boulet. Je me trouvais bloqué dans un cercle vicieux. J’avais tellement changé. A tel point que mes espoirs passés ne devenaient que de bêtes désirs oubliables.

Je faisais le deuil de la première période de ma vie.

La plus belle, je présume.

Aujourd’hui, je suis un adulte. Un homme, une personne, un Monsieur, appelles ça comme tu le souhaites. Mes préoccupations sont si différentes.

Le pire, je crois, est de se rendre compte que ce dont je rêvais étant gamin, me soule plus que tout à l’heure actuelle. Et même si cela ne m’énerve pas, j’en suis frustré quoi qu’il arrive.

L’amour, par exemple.

Pardonne-moi, chérie. Tu n’y es pour rien.

Tu le sais sans doute, mais quand on est enfant, on idéalise ce que les adultes vivent. Ce qui insinue que nous croyons que ce que nous voyons. La complexité, la perplexité, les doutes, les secrets nous sont méconnaissables. Voilà tout le charme.

Mes parents m’ont fait grandir dans un environnement sain. Leur union était forte, leur amour, sincère. Cela m’apparaissait alors comme une évidence. 100% qualité, 0 défaut.

Quand je pensais alors à la femme de ma vie, je la voyais en parfaite adéquation avec ma personnalité, mes goûts et tout le reste. Parfois, quand je jouais, je m’imaginais parler avec cette personne, totalement hypothétique, et, logiquement, elle me répondait via mes propres mots, mon propre vocabulaire … J’étais trop jeune, non pas pour imaginer, mais pour interpréter un vis-à-vis qui avait des convictions ou des projets différents des miens. Je croyais, bêtement je te l’accorde, qu’il suffisait de parler, d’échanger et que, comme à l’image de mes parents quand ils représentaient leur amour à ma sœur et moi, les mauvais côtés n’existaient pas. Moi, comme cela restait un jeu, je pouvais arrêter la relation de mon subconscient à tout moment. C’était quand je voulais, simplement. De ce fait, le couple que, parfois, je mettais en scène, n’était dirigé que par moi. Ce qui est bien moins contraignant et de ce fait, moins réaliste. Mais, encore une fois, le réalisme, on s’en tapait. On pensait reproduire ce qu’on voyait, certes, cependant, on savait tout de même que dans le monde réel, on ne pourrait jamais pratiquer de la même façon. L’éducation nous explique, avec temps et sagesse, que le jeu et la réalité sont deux choses totalement distinctes. Ce que l’on a oublié en étant adulte. Triste, hein ? C’est une nouvelle fois un paradoxe impressionnant. Sans le vouloir, les adultes apprennent à leurs enfants à ne pas être ce qu’ils sont. Mais bref, c’est encore une autre histoire et, comme toutes les choses que j’essaye d’aborder tout au long de ce texte, la réalité est bien plus complexe encore. Revenons-en à nos moutons.

Je ne dis pas que je voudrais que tu sois comme moi, ma chérie. Je t’aime et t’ai aimé pour toutes les particularités qui te constituent. Avec toi, je ne joue pas, je suis. Nous sommes.

Seulement, j’aimerais avoir cette distance. Aujourd’hui, l’amour me stresse, me fait peur. Je fonctionne par objectif, par palier. Je me dis qu’un jour je te ferais l’amour, qu’un jour je t’épouserai, qu’un jour j’aurai un foyer à tes côtés, et même que, peut-être, je voudrais tes enfants … Tout ce que je souhaite avec l’âge c’est de l’assurance. Particulièrement en amour, va savoir pourquoi.

Tu pourrais me rétorquer, qu’à l’adolescence déjà et surtout à ce moment-là, les personnes, dans l’ensemble, sont obnubilées par cela. Et c’est vrai que ça commence très tôt ces conneries. Mais quand on est ado et comme j’ai essayé de le démontrer à ma façon, on a beaucoup de mal à se contrôler. Les émotions sont poussées à l’extrême. C’est finalement un moment important, ça nous permet aussi de devenir des adultes plus contrôlés, un peu moins excessifs.

Mais avec le temps, ça devient comme une nécessité.

Un jeune pré-pubère espère vivre une histoire formidable. Le genre de récit qu’on raconte autour d’un feu de cheminée vingt ans après, devant deux trois enfants émerveillés. L’amour y resterait alors intact, aussi fort qu’au premier jour, éblouissant de par sa singularité. Le ou la conjoint(e) regarderait la scène avec paix et bienveillance à l’autre bout de la pièce … Mais vingt-cinq fois sur vingt-six, l’histoire n’est finalement que souffrance extrême, parfois seulement quelques jours après ce que l’on croyait être un coup de foudre Hollywoodien.

Cet âge est le moment où les rêves de notre enfance deviennent plus imposants, comme vitaux. Et c’est aussi là où la claque est plus violente. La transition est malsaine. C’est un deuil violent, perturbant, qui parvient, en plus, à nous le faire accepter avec le temps. Quelle merde.

Moi, l’adulte, je me mets la pression maintenant. Comme beaucoup de personnes, j’ai souffert en amour, gros spoil. J’ai laissé tomber mes rêves, je n’ai même plus la force de les réaliser. Je trouve cela inquiétant. Alors, je tente de réussir le dernier coup de foudre que j’ai eu dans ma vie. Toi. Je mise beaucoup sur notre relation. Ce n’est plus que j’aimerai que ça marche, ça doit marcher. Et comme un adulte un minimum évolué, je ne dis rien. Je garde cet espoir malsain en moi. Je ne suis plus l’ado fou, qui, certes, avait des tas de défauts, mais avec lequel on savait à quoi s’attendre. Lui, ne pouvait pas s’empêcher d’avoir des ambitions romantiques incroyablement fortes et élevées. Il devait les exprimer, pour se rassurer, pour y croire. Bien qu’il fut vite insupportable, il était honnête. Alors que moi, quand je te disais que nous verrions bien où notre relation nous mènera, quand je te rassurais en affirmant que nous aurions tout notre temps pour penser à l’avenir … Eh bien … Je ne dis pas que c’est faux. Je veux effectivement qu’on y aille doucement. Cependant, une voix au fond de moi, me met une pression monstre. Je sais, c’est totalement ridicule. Elle me susurre que si ça ne marche pas avec toi, je devrais tout reprendre à zéro, que si je ne réussis pas à faire vivre cette relation, ça confirmerait uniquement mon incapacité à faire de mon existence quelque chose de concret, qu’au prochain repas de famille, quand on me demandera ce que je deviens et que je devrais donc, avouer à tout le monde que nous ne sommes plus ensemble, il faudra ensuite me cacher des regards accusateurs et faussement avenants qui me reprocheront de ne pas avoir, en plus de mes rêves cinématographiques à grandes échelles, réussit ce que tout le monde ou presque est parvenu à réaliser : trouver et fructifier l’amour, le « vrai ». Je serais donc le maillon faible de ma clique, celui qui n’a jamais su s’adapter, celui auquel on ne souhaite plus rien et pire, celui qu’on mettra en bout de table pendant les fêtes, sur un côté, avec le mur blanc comme vis-à-vis. On ne lui demandera plus rien, parce que peu importe sa réponse, on sait très bien que ce qu’il a à dire n’est plus du tout intéressant. Qu’il ne l’est d’ailleurs même plus lui-même. Si encore il avait fait des études, si encore il exerçait un métier passionnant mais, non, il est secrétaire accueil dans une résidence, qui en soit n’est pas un mauvais job, mais qui n’a rien d’extraordinaire !

Ce que je suis en train de te dire, aussi égoïste que ça puisse être : sans toi, je ne serais rien.

Voilà mon ressenti sur l’amour. Et bien que j’éprouve des sentiments sincères envers toi, je ne peux m’empêcher d’avoir ces idées en tête.

Du coup, même si je vénère ta présence, même si je me sens bien à tes côtés et même si je ne suis pas avec toi pour combler une peur immatérielle de me retrouver seul, ce n’est pas sain.

Parce que non, en effet, je ne me suis pas mis avec toi par manque d’amour ni pour faire bonne impression auprès de ma famille. Mais je m’en fais un projet personnel. Au-delà de ce que je ressens pour toi, je veux me prouver quelque chose.

Je trouve cela à la limite du dégueulasse. Comme si tu étais un objectif, toi, femme incroyable qui a eu le malheur de croiser l’égocentrique que je représente. Sans le vouloir, je te mets une pression inconcevable sur le dos. Si on devrait en faire une conclusion ce serait celle-ci : si jamais tu romps avec moi, mon manque de bravoure, ma fainéantise et mes doutes personnels te retomberont dessus. Si je deviens malheureux, ce sera de ta faute.

Quelle horreur.

Parfois, dans mes quelques moments de jugeote, je me demande si je ne ferais pas mieux de rompre avec toi, te laissant le champ-libre et t’évitant une relation névrosée, victime de mes caprices dignes d’un adulte cliché dans toute sa splendeur.

L’amour doit rester une envie avant tout. Un désir. Et non une nécessité.

Et quand bien même elle soit les deux à la fois … Est-ce que ce sera toujours aussi beau dans quelques temps ? J’hésite.

Je me souviens d’une conversation que j’ai eue avec la mère d’un pote au moment où on était encore que de simples amis, toi et moi. Je lui ai dit que j’étais fou amoureux de toi mais que je craignais que ce ne soit jamais réciproque. Alors qu’elle me conseillait de faire un choix concret en t’en parlant ouvertement, je me plaignais déjà en lui avouant que ma vie n’avait plus de sens et que j’aimerais, au moins, trouver l’amour, le vrai. Tout ça en me comparant à mes anciens amis et/ou camarades de classe, qui eux, le vivaient pleinement (alors que si je réfléchissais mieux, rares sont les personnes de mon âge à envisager de vivre en couple, plus particulièrement encore dans mon entourage. Puis quant au fait de penser à fonder une famille ou à se marier …). Elle me rétorquait alors que tu pouvais l’être mais, dans ce cas, il fallait que je fasse bien les choses et que je prenne mon temps, si bien sûr, les sentiments étaient partagés.

Tu en as donc la preuve. Dès le début, je fondais en l’amour un espoir personnel de reconnaissance autant que je ressentais des sentiments à ton égard.

Peut-être que le « destin » a tout simplement bien fait les choses mais, dans ce cas, pourquoi est ce que je me sens coupable … ?

Même si je voulais encore développer pas trop mal de choses, je vais m’arrêter là pour ce qui est de ce texte.

Un écrit qui ne marquera pas les mémoires et j’avoue que je m’en tape. Pour une fois je n’ai pas essayé de plaire, je n’ai même pas voulu raconter quelque chose. Je voulais juste écrire, pour m’amuser.

Quand je relis, je suis content de moi, c’est l’essentiel. J’ai au moins retrouvé le plaisir de calligraphier des mots. Je me suis imposé un rythme d’écriture et je m’y suis tenu.

Encore une fois, la finalité est brutale, inattendue, mais venant d’un fan de How I Met, tu t’attendais à quoi ? Parfois, on s’attend trop à une fin de dingue. On aimerait un retournement de situation incroyable. Mais là, comme ça, parce que je l’ai décidé, je m’arrête.

Ma dernière pensée sera une remise en question de ma relation avec toi et ma façon de la concevoir. Pas très gai, je te l’accorde.

Au moins je pourrais dire, et ce depuis presque un an et demi de vide intersidéral, que j’ai fini un récit.

Bon ok, il n’est pas abouti.

D’accord, j’ai dit que je reviendrai sur d’autres sujets plus haut, mais …

Oui, ça donne l’impression que je baisse les bras au moment où je commençais à trouver cela trop compliqué.

Merde.

Peut-être que je réagis exactement comme avant.

Attends voir … Je ne dois plus me poser de questions, non ? Je veux garder mon âme d’enfant ? Ce truc de tout remettre en doute, bêtement, je ne voulais pas le laisser de côté ?

Non, non, non. Stop.

Si je dois continuer, je m’en occuperai une prochaine fois.

Oui, je le ferai plus tard.

Au pire, j’ai encore le temps.

« Je n’aime pas ce que je fais, mais quand je ne fais rien, je me fais chier et je rêve de faire à nouveau. »

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