Le premier week-end d’octobre.

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Juliette est assise sur ce banc du Square Eugène Varlin, ce banc où finalement tout à commencer. Elle regarde l’eau calme de l’écluse.

Depuis deux ans, chaque premier week-end d’octobre, elle vient ici, pour elle. Depuis deux ans, c’est le même rituel, son livre à la main, « Les gens heureux lisent et boivent du café », sa photo en marque page. Cette année, elle ne lira pas des passages du livre. Elle a autre chose à lire.

Ses parents, pour ses dix-huit ans, lui ont offert leur histoire.

Cette année, elle a quitté le grand pavillon de banlieue, où elle vit encore avec eux, ainsi qu’avec son frère et sa sœur, plus tôt. Elle veut avoir le temps d’apprécier, de savourer les mots.

Et elle finira par la lettre, celle qui lui est adressée par elle.

Elle a dévoré les deux premières parties. Elle a lu avec plaisir les premiers pas de cette liaison amoureuse. Mais surtout, elle en sait un peu plus sur elle, et la suite du récit, qu’elle sait écrite par sa plume, avec ses mots, l’attire encore plus.

Mais elle veut aussi prendre son temps. Elle ouvre le sac à côté d’elle et en sort une bouteille thermos. Elle se sert un café, reclasse les feuillets, séparant leur histoire de la sienne. Elle pose la lettre sur le banc, plus tard, après. Elle boit une gorgée, chaude, douce et amère à la fois. Elle reprend sa lecture, elle va enfin savoir. Elle va enfin savoir qui elle est, à travers ses mots, pas à travers ceux de ses parents. Elle va enfin savoir qui est cette femme, si belle et si douce sur la photo qu’elle conserve précieusement dans son livre, son livre à elle. Elle va enfin savoir qui est cette femme qui la tourmente depuis que ses parents lui ont parlé d’elle. Cette femme qu’elle n’a jamais rencontrée mais qui hante ses nuits, qui comble son cœur d’amour à chaque fois qu’ils lui parlent d’elle.

Mes amours

23 mai

J’en sors, et c’est définitif. J’ai aussi pris ma décision, il doit être heureux, coûte que coûte. J’ai dans mon sac la sanction, je dois passer outre et regarder vers l’avenir, pour lui, pour mon Thomas, mon ange.

Quand j’arrive au square Eugène Varlin, comme tous les samedis matin, il y a une jeune femme sur mon banc. Merde, j’ai pas besoin de ça, je veux juste retrouver mon petit rituel, m’assoir et lire pendant une heure, pour oublier un peu.

Bon, tans pis.

Je lui demande si je peux m’assoir, elle me fait de la place. Et, alors que je commence à m’immerger dans ma lecture, elle essai d’engager la conversation.

Pas envie de ça. Je réponds sèchement, elle se lève et part en me souhaitant un bon week-end.

30 mai

Rien de ce qu’il s’est passé le week-end dernier ne laissait présager de la semaine qui a suivi. J’aurais dû parler à Thomas, mais je n’ai pas pu. Peur qu’il me voit autrement. Et puis il y a cette femme rencontrée au square. J’ai pensé à elle, elle est plutôt jolie, elle a l’air sympathique, avenante. Elle a souri même quand je l’ai froidement rembarrée. Et si c’était elle ?

Je n’arrête pas d’y penser, assise sur mon banc, je guette son arrivée.

J’ai essayé de m’apprêter un peu, pour chasser la mauvaise impression que j’ai dû lui faire. Si elle vient, je dois être sympa. Il faut que je la connaisse un peu mieux.

Ha, la voilà. Café et croissants à la main. Bon, t’es gentille Emilie, tu dois la faire parler d’elle.

Et bien non, c’est elle qui attaque, et plutôt bien en plus. Elle a l’air d’être contente de me voir. Et elle a de l’esprit. Elle m’offre le café en faisant référence à mon bouquin.

On se présente. Elle s’appelle Chloé, sympa comme prénom. Je m’excuse pour la dernière fois. Elle remarque que je suis un peu plus maquillée, et me fais une drôle de réflexion. On dirait qu’elle me drague. Je me suis peut-être trompée.

On discute pendant une heure de Paris, de l’été qui arrive, des gens qui passent. On rit beaucoup, comme deux amies.

Et bien si je me suis trompée, j’aurais au moins rencontré quelqu’un de très sympathique. On se revoie la semaine prochaine.

14 août

Je n’avais vraiment pas prévu tout ça, et ça change légèrement la donne. Même si le but reste inchangé. Et puis, quand j’y pense, ça sera peut-être plus facile, il va juste falloir que je présente bien la situation à Thomas.

Parce que je suis tombée amoureuse de Chloé. Elle délicieuse, enjouée, imaginative. Pas jalouse pour deux sous. Je suis sous le charme, elle ne peut que plaire à mon Thomas.

Chloé est moi avons fait l’amour pour la première fois le 17 juin. Une première pour moi, pas pour elle. Mais elle est bi, donc pas de soucis de ce côté-là. Ca a été magique. Et ça s’est renouvelé, souvent. Parfois, j’ai l’impression de tromper Thomas, mais c’est pour lui que je le fais. Il veut des enfants et moi…. Ben moi, je ne vais pas pouvoir les lui donner.

Aujourd’hui, je dois présenter Chloé à mon Thomas, sagement dans un premier temps. Mais j’espère bien lui faire goûter la douceur de ma Chloé, tous les droit dans un délire amoureux.

On a tout préparé avec Amour, c’est le petit surnom de Chloé. Et en imaginant la soirée à trois, on a fini au lit, repues de plaisir, et on s’est endormies.

C’est quoi cette porte qui claque ?

03 Octobre

Je suis tendue en arrivant devant le petit château dont Chloé m’a donné l’adresse. En descendant du taxi, je me demande ce que je fais là.

Depuis un mois et demi, je suis dans les trente sixième dessous. Thomas est parti après nous avoir trouvées au lit Chloé et moi. J’imagine le choc que ça a dû être pour lui. Ce n’est pas ce que je voulais. Il est rentré plus tôt que d’habitude, sinon il nous aurait trouvées toutes les deux sur le canapé, sagement assises. Et le reste de la soirée aurait pu se passer au lit, mais à trois, et tout irait bien aujourd’hui. Je leur aurais parlé à tous les deux, un peu plus tard, je leur aurais dit.

Au lieu de ça, il est parti, mon ange est parti. Et malgré tous mes efforts pour le contacter, il ne répond pas. J’ai même fait une photocopie de ce putain de courrier, pour qu’il voit ce qu’il m’arrive, et qu’il revienne.

Au lieu de ça, je m’enfonce, et si je tiens encore debout, si j’ai repris le boulot, c’est grâce à Chloé. Elle me tient à bout de bras, attentive, aimante, toujours égale à elle-même. Ces derniers temps, je la trouve même encore plus combative, et elle arrive à me le communiquer un peu.

Mais quand elle n’est pas là, quand je suis seule dans cet appartement qui me rappel tant de souvenir, je continu à déprimer, et pas qu’un peu. J’ai tout loupé, tout. Et plus je lis et relis cet affreux bout de papier, plus je me dis qu’il faut que tout ça s’arrête.

Alors, quand hier soir elle m’a proposé cette soirée libertine, je me suis dis que ce serait bien de lui faire plaisir. Malgré mes doutes. C’est que partager Chloé avec Thomas est une chose, la partager avec des inconnus en est une autre.

J’entre donc dans le bâtiment avec un sentiment mitigé, je veux passer une bonne soirée, mais je flippe.

Ma valise à la main, avec mon costume de none à l’intérieur, on m’indique un vestiaire et je me change. Je suis méconnaissable quand j’en sors.

J’entre dans la salle où se tient la soirée, et mon cœur explose dans ma poitrine.

Juliette repose les feuillets sur ses genoux. Elle lève la tête et regarde l’eau calme de l’écluse. Elle y est, elle va connaitre l’intégralité de ce week-end fondateur. Elle aura ainsi la vision de tous les acteurs, et surtout, elle aura la sienne, celle d’Emilie.

Ses parents lui ont beaucoup parlé d’elle, et de cette histoire qui les a liés tous les trois. Mais découvrir la naissance de cet amour hors du commun, et surtout le découvrir à travers ses mots à elle… Elle aurait voulu connaitre cette femme, elle est certaine qu’elle l’aurait aimée.

Il lui tarde de lire la lettre, et elle prend l’enveloppe sur laquelle figure son prénom. Ses parents lui ont expliqué qu’elle ne devait pas la lire avant d’avoir fini le récit, mais elle en en a tellement envie. Elle sait qu’en plus de ses mots, de ce que cette femme veut lui dire, elle trouvera en plus son écriture, un morceau de plus d’elle.

Juliette repose l’enveloppe et reprend la lecture du récit.

Mes amours (suite)

Il est là. Malgré son déguisement de vampire sexy je l’aurais reconnu entre mille. Il est beau. Il a la chemise ouverte, et j’ai terriblement envie de le toucher, de caresser son torse, de le sentir. Il m’a tellement manqué.

Tout devient clair, Chloé a organisé cette soirée pour que je puisse revoir Thomas. Mais est-il au courant que je suis là ?

Chloé vient de s’apercevoir que je suis là, elle discute un peu avec Thomas et le prend par la main et ils se dirigent tous les deux vers moi. Je tremble d’excitation en les voyant arriver.

Chloé ne me laisse pas le temps de parler, elle lâche la main de mon Thomas, me prend dans ses bras et m’embrasse.

Puis, elle me « présente » Thomas, me confirmant ainsi qu’il n’est pas au courant de ma présence. Je ne sais pas si je dois prendre mal le fait qu’il ne me reconnaisse pas. Mais je décide de profiter de cette soirée.

Thomas part chercher à boire, et Chloé m’entraine au milieu de la salle. Elle m’enlace, je pose la tête sur son épaule.

- Tu vas le récupérer ma douce, lundi, tout sera pour le mieux, je te le promets.

- Si tu es avec moi, avec nous.

- C’est vraiment ce que tu souhaites ?

- Oui, je t’aime, je l’aime.

- Alors, il va nous falloir jouer serré. Tu dois me faire confiance.

- Oui. Depuis quand prépares-tu cette soirée ?

- Depuis mi-septembre, tu étais trop malheureuse.

- Excuse-moi amour.

- Il n’y a rien à excuser, je ne veux que ton bonheur.

- Mon bonheur, c’est toi, et lui.

- Il va bientôt venir, ne dis rien, laisse-moi faire. D’accord ?

Ses mains passent sous ma jupe et la remonte. Elle montre mon cul à Thomas. La situation m’excite. Elle me retourne, je ferme les yeux. Elle passe de nouveau les mains sous ma jupe, me caresse doucement le sexe, enfonce un doigt. Je sens la présence de Thomas, il passe derrière nous. Et puis, ses mains sur mes seins, enfin, il ne m’a pas touchée depuis si longtemps. Je frémis de plaisir. La main de Chloé entre mes cuisses, les doigts de Thomas qui me pincent les tétons, je joui en un rien de temps.

Dans le brouillard, encore pleine du plaisir qu’ils viennent de me donner, je les sens m’emmener hors de la salle, ouvrir une porte et m’allonger sur un canapé. Je m’y recroqueville, je veux garder la sensation de leurs mains le plus longtemps possible.

- Hhhhh Thomas….

Le gémissement de Chloé me sort de ma douce torpeur, je me retourne et vois Thomas agenouillé, la tête entre les cuisses de mon amante. Je me lève, Chloé me tend deux verres de vins que je prends. Je lis dans ses yeux, sur son visage, le plaisir qu’elle est en train de prendre. Aucune jalousie quand je la vois jouir, les mains sur la tête de mon Thomas. Juste une immense sensation d’amour pour ces deux êtres.

Il se redresse, étonné de me trouver là. Chloé se blotti dans ses bras. Puis, il part chercher un autre verre, je me colle contre elle.

- J’ai envie de lui amour. Je voudrais le sucer.

J’entends Chloé lui parler de mon désir, lui dire que je ne parlerais pas pour l’instant, que c’est un jeu. Thomas proteste un peu, croit à de la soumission, dit qu’il n’aime pas ça. Je reconnais bien là mon Thomas, partageur de plaisir, ne voulant jamais prendre sans donner.

Enfin je suis devant lui. Il est assis et je suis à genoux entre ses jambes. Je pose une main sur son sexe, à travers le pantalon. L’absence d’érection me surprend. Il ne me désire plus ? J’en pleure. Chloé vient à côté de moi, me rassure. Thomas m’interroge.

- Tu en as vraiment envie ?

Je souri, j’ouvre le pantalon, il m’aide à l’enlever, le boxer suit. Je le prends en main, le masturbe un peu, il gonfle dans ma main. Je l’aime tellement, je me penche, embrasse le gland, le lèche un peu. Un gémissement de plaisir m’échappe, je le prends en bouche. Plus rien n’existe, je suis dans ma bulle, attentive à son plaisir. Je le sens vibrer, se tendre. Je le regarde. La voix de Chloé, lointaine.

- Tu veux le boire ma douce ?

J’acquiesce, accélère la fellation, aspire plus fort. Son plaisir monte, je tremble, je mouille comme rarement. Il se tend et éjacule dans ma bouche. Je le bois, je le déguste, je le savoure. Je le retrouve, le reconnais, le ré apprivoise. Et je joui de lui, sans un bruit.

Thomas est assis, les yeux clos. Je me relève et vais me blottir dans les bras de Chloé.

- Ca faisait si longtemps. Merci Amour.

J’entends le souffle de Thomas s’apaiser, il s’endort. Chloé me déshabille, je fais de même avec elle. Et nous nous aimons, là, devant mon Thomas, je joui, intensément, pour la troisième fois de la soirée.

Après avoir laissé Thomas dans le salon en bas, je me trouve à côté de Chloé, allongée nue dans la chambre. Je regarde le plafond et je pense à eux. J’ai vu leur complicité naissante, j’ai vu dans leurs yeux le désir qu’ils ont l’un de l’autre. Et ça m’emplie de joie.

La proposition que Chloé vient de faire ne me convient pas. Je ne veux pas que mon Thomas revive cette scène. Il en a déjà trop souffert.

Alors, j’explique ma vision de la suite du week-end après avoir réservé une chambre pour la nuit. Ils doivent s’apprivoiser, mais aussi pouvoir laisser libre court à leur envie l’un de l’autre, sans ma présence qui pourrait parasiter le moment. Il est encore trop tôt.

Avant de partir, j’attache Chloé aux barreaux du lit, l’offrant ainsi symboliquement à Thomas. La voir ainsi, allongée sur le ventre, entièrement nue, m’excite. Et je ne peux m’empêcher de la caresser, de lui donner tout le plaisir qu’elle mérite. Et puis, j’aime tellement la voir jouir.

Ce n’est que quand je voie ses yeux se fermer, quand j’entends sa respiration s’apaiser que je quitte la chambre, non sans lui glisser mon amour dans l’oreille.

- Je t’aime Amour.

J’ai magnifiquement bien dormi. Ça ne m’était pas arrivé depuis très longtemps. Pas d’angoisse, juste le sommeil qui vient. Pas de cauchemars, mais de doux rêves érotiques d’étreintes à trois. J’oublierais presque que ….

Ils sont partis pour la journée, pour se découvrir. Et je mets tout mon espoir dans cette découverte. J’espère qu’ils ont fait l’amour cette nuit, qu’ils se sont aimés.

J’appelle le room service et commande un petit déjeuner. Je ne vais pas sortir aujourd’hui, je ne veux pas prendre le risque de croiser Thomas, pas avant ce soir.

Je mange avec appétit, dévorant ce repas avec la même faim que celle que j’ai pour eux. Je passe le reste de la journée à rêvasser, nue sur le lit. Je pense à eux, à nous, et parfois, me main s’égare sur un sein ou entre mes cuisses. J’ai hâte d’être à ce soir, à la libération. Je suis sûr que Chloé fera tout pour ça se passe au mieux.

Le soir venu, je commande un repas léger que je mange rapidement. Mon rythme cardiaque accélère en entendant sonner mon portable. Je décroche, tremblante. Chloé me rassure encore une fois, me dit qu’elle m’aime. Je quitte ma chambre et me dirige vers mon destin.

Quand j’entre dans la chambre qu’ils occupent, Thomas est allongé sur le lit, nu, attaché et aveugle. Et il bande dur. La nuit est à nous, à nous trois.

Folie érotique, danse sensuelle, émerveillement orgasmique, je suis allée de découverte en découverte. J’ai joui de Thomas, j’ai joui de Chloé, j’ai joui de les voir ensemble, s’aimer. J’ai aimé partager mon Thomas avec Chloé, j’ai aimé partager ma Chloé avec Thomas.

Et, quand il s’est allongé sur moi, j’ai aimé qu’il me fasse l’amour, tendrement. J’ai vu tout l’amour que nous porte Chloé à ce moment-là.

La réaction de Thomas quand elle lui a enlevé le bandeau, quand il m’a reconnu a été un choc. Ses yeux passant de l’une à l’autre exprimaient la surprise, la colère, la déception. Et, quand il est sorti de la chambre, sans un mot, sans un regard, ni pour Chloé, ni pour moi, je me suis sentie perdue.

Je l’ai appelé d’un ton suppliant.

- Thomas …

- Non ! Laisse ma douce, il a besoin d’un peu de temps.

Chloé est là, elle me rassure, elle sait qu’il m’aime. Elle me prend dans ses bras, me berce tendrement, je m’apaise, j’ai confiance en elle.

- Je vais le chercher ma douce, ne t’inquiète pas, tout va bien se passer.

Le récit est fini, il lui reste la lettre. La lettre qui, elle le pressent, lui donnera l’épilogue de leur amour se trouve maintenant dans ses mains. Elle sait déjà que son père a pardonné à Emilie, et que pendant l’année qui a suivi, ils ont vécu tous les trois de fabuleux moments.

A travers ce récit, elle mesure maintenant quelle femme elle était, pleine d’amour et d’abnégation. Pleine de sensibilité et de détermination.

Elle sait aussi pourquoi ses parents l’ont tant aimé. Cette femme est un modèle pour elle. Elle espère parvenir à montrer autant d’amour et de courage dans sa future vie.

Elle sait qu’Emilie a été heureuse jusqu’à la fin, qu’ils ont été heureux tous les trois. Malgré la maladie. Et, bien qu’elle regrette de ne l’avoir jamais rencontrée, de ne pas avoir pu profiter de son amour, elle n’en ressent aucun regret.

Elle aime ses parents, du même amour qu’elle a eu pour eux.

Elle ouvre la lettre avec précautions, veillant à ne pas déchirer l’enveloppe. Elle reste quelques instants à regarder le contenu, puis l’extrait doucement. Elle pose ensuite l’enveloppe sur les feuillets du récit et déplie le courrier. L’émotion la gagne, incontrôlable.

Devant ses yeux, qui commencent à s’embuer, apparait une écriture fine, légèrement penchée vers l’avant. Les larmes, qui coulent maintenant sans retenue, l’empêchent de déchiffrer les mots. Elle ne voit que cette écriture, la sienne, et son prénom écrit un peu plus gros que le reste.

« Ma Juliette »

Elle essaie de se calmer, de réprimer ses sanglots et cette boule qui monte dans sa gorge. Une larme tombe de son menton et évite de peu le papier qu’elle tient à deux mains. Elle éloigne un peu la lettre et souffle pour calmer ses tremblements. Petit à petit, les battements de cœur se calment, les larmes arrêtent de couler. Elle se saisi d’un mouchoir dans son sac et s’essuie les yeux.

Le souffle encore un peu court, elle reprend sa lecture.

« Ma Juliette,

Si tu lis cette lettre aujourd’hui, c’est que tu as atteint tes dix-huit ans. Mais c’est aussi que je n’ai pas pu te raconter notre histoire de vive voix.

Tu as dû lire le récit de ce qui nous a amenés, tes parents et moi à vivre ensemble. Et ils t’ont certainement expliqué la maladie qui m’a empêché de profiter de toi et de te donner tout l’amour que tu mérites.

Mais je sais que tu n’en as pas manqué. Je suis certaine que ton Papa et ta Maman t’aiment plus que tout au monde.

Je vais dans les mots qui vont suivre, t’expliquer rapidement les temps qui ont suivi ce premier week-end d’octobre. Ce week-end qui a été le début d’une merveilleuse année. Malgré la maladie, je peux même dire que se fût la plus belle de ma vie, et tu y es pour beaucoup.

Les mois qui ont succédé à ce week-end ont été magiques. Pleins d’amour et de rire, j’arrivais presque à oublier le mal qui me rongeait. Tes parents n’en ont d’ailleurs rien su jusqu’en janvier. Là, j’ai soudain été très fatiguée, et prise de nausées. J’ai d’abord cru à une évolution de la maladie, et j’allais tout leur dire.

Mais tu connais ta Maman toujours optimiste. En voyant mon état, elle a compris avant moi, et elle est rentrée un soir avec un test de grossesse. Elle a insisté en riant pour que je le fasse, ne me laissant pas placer une parole.

Devant le résultat, positif, je ne savais pas comment réagir, je me suis effondrée. Je leur ai tout dis à ce moment-là. Ma maladie, et ma peur que cette grossesse n’aille pas à son terme. La décision que j’avais prise, en apprenant mon état quelques mois avant de trouver une femme aimante pour ton Papa, une femme qui saurait le soutenir et l’aimer. Je leur ai raconté mes erreurs et mes doutes d’avant ce premier week-end d’octobre.

Tes parents sont des gens merveilleux, tu ne dois jamais en douter.

Dans le mois qui a suivi, nous avons consulté ensembles tous les spécialistes possible. Chloé a fait intervenir ses relations de travail pour obtenir des rendez-vous rapidement. Thomas m’a accompagné à chaque consultation.

Nous avons pris ensemble la décision d’aller au bout, de garder le bébé, de te garder.

J’ai arrêté de travailler, nous avons pris un appartement plus grand pour pouvoir t’accueillir.

Nous avons préparé ta chambre, du moins ils ont préparé ta chambre, ils ne voulaient pas que je me fatigue. Il y avait toujours l’un ou l’autre avec moi, à en devenir presque envahissants. J’en ri encore en écrivant ces mots. Ils m’ont couverte d’amour, d’attention. Je vois aujourd’hui, à un mois du terme, que nous avons eu raison d’espérer.

Tu vas bientôt arriver, et je t’aime déjà plus que ma vie.

Je sais que tu as eu et que tu auras une belle vie mon cœur. Je sais que tu es déjà la plus jolie des jeunes femmes.

Je t’aime mon Ange. Sois heureuse, aime la vie, elle en vaut la peine. Vis pleinement, sereinement, et surtout, aime les gens.

De là où je suis aujourd’hui, où que ce soit, je veille sur toi.

Ta maman qui t’aime. »

Malgré les larmes qu’elle ne peut plus arrêter, Juliette se sent heureuse. Elle lit et relit les derniers mots de sa mère, de sa maman. Elle sait maintenant que sa vie a été belle, et que si elle avait pu être là, elle l’aurait aimée.

En face d’elle, de l’autre côté de l’écluse, un jeune homme se lève. Il observe la jeune fille depuis un moment déjà. Il l’a déjà vu ici plusieurs fois, assise sur ce banc, toujours un livre à la main. Aujourd’hui, il a d’abord été touché par ses larmes, puis il a lu le bonheur quand elle a eu terminé sa lecture. Il traverse l’écluse par l’amont et se dirige vers elle.

Il passe derrière le banc, laissant la main trainer sur le dossier, effleurant le dos de la jeune fille.

Il reviendra, et si elle est là, il l’abordera.

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