Tia Soleil-de-Nuit

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La musique résonne partout dans les rues de Shurug.

Les chants se mêlent aux sonorités des percussions, cordes et instruments à vent. Le grand bazar est en effervescence et a été réaménagé pour l'occasion. Une volonté des différents marchands de marquer le coup. C'est la fin de la période hivernal, Me-ki-gal se termine ce soir pour laisser place à Kin-Inanna. La fin d'un cycle n'est que le début d'un nouveau : alors festoyons !

Debout sur une table, mes pieds nus me permettent de me trémousser. L'alcool accompagne mes pas, car pour rien au monde je ne lâcherais ma coupe en cette soirée ! Je tourne et laisse ma tête partir en arrière. Un rire gras quitte ma gorge alors qu'un peu de vin vient tâcher mon ventre. On avait décidé, avec les commerçants du coin, de se déguiser. Certains sont vêtus comme des symboles de notre histoire, ou de quelque légende de leur petit village. D'autres ont simplement changé de métier. Moi, c'est ce que j'ai fais. Faut dire, je ne suis pas imaginatif pour ce qui est des costumes alors bon. Un passage chez une tisserande et hop-hop : c'était plié !

J'ai troqué ma tenue de caravanier pour une de danseur. C'est franchement un bon début, j'aurais put me la jouer à la mode nudiste ! J'avais hésité d'ailleurs à ne porter que des bijoux et un masque, façon « Artiste Mystère » ... Mais on m'aurait encore dit que je ne faisais pas d'efforts pour respecter le thème.

Donc, tout à ma bonne humeur zestée de mauvaise foi, je m'étais vêtu de quelques voiles et de beaucoup de bijoux. Les couleurs rougeoyantes se fondaient avec le chocolat de mon grain de peau. L'or de mes bracelets et chevillères teinte à chaque mouvement, et je rigole en titillant deux ou trois shamshu sur mon passage. La liesse envahit bien vite les cœurs, le mien en tête de liste.

Au loin, retentit un gong puissant. Il fait écho à d'autres gongs provenant des différents temples. C'est la fin de l'hiver ! Enfin. Pourtant, ce bruit que nous attendions joyeusement nous vrille l'esprit à tous. Serait-ce à cause de l'alcool ? Ou est-ce dû aux encens diffusés ici et là ? A moins que je n'ai trop approché le coin des fumeurs d'opium ?

Le malaise se calme, et je porte un regard nouveau à ces tables pleines de denrées, à tous ces gens qui mangent sans gêne ni honte.

Les musiciens sont perplexes, mais reprennent vite leur labeur.

Moi qui ne faisait que me trémousser, je descends de ma table d'un pas sensuel que je m'ignorais. Non, je ne l'ignorais pas. Après tout, je suis un danseur ! Oui, comme celui de ma Nuit-Voilé que j'avais croqué à pleine dent ! Comment ai-je put douter un instant de qui j'étais ? Moi, Soleil dans la Nuit des gens, je ne peux qu'être un danseur.

« Mes amis, dansons ! » Dis-je, en approchant un autre groupe de danseurs. Ils semblent surpris par mes dires, mais peu importe.

Je fais signe aux musiciens de changer de registre. Ainsi, une flûte retentit. D'une simple musique de fête, nous passons à la mélodie d'un spectacle. Lascif est le bon terme pour qualifier les sons produits. La sensualité s'immisce dans chaque vibration, chaque souffle. Je ferme les yeux un bref instant, et tourne sur moi-même : les voiles de ma jupe claquent dans le vent et attire l'attention.

Mon pied droit glisse devant moi, et la pression que j'y exerce fait teinter les bijoux comme pour accompagné la musique. Mes bras se meuvent avec grâce, glissant le long de mon buste. Mes mains jouent d'habiles mouvements, et mon bassin commence à bouger en rythme. Je me laisse porter par les sons, et glisse sur ce sol un peu sableux. Le danseur en moi s'exprime. Mon art est exposé par un déhancher ahurissant. On me siffle, on m'encourage. Je suis galvanisé. Comme un astre mit ici par Dingir lui-même.

De la sueur glisse finement de ma tempe jusqu'à mon cou. J'ai chaud, mais peu m'importe. Mon regard enfiévré, souligné de khôl, se fait séducteur. Le charme est lancé. Ce rôle me convient parfaitement. Là, je suis le roi du monde. Exposé sous le regard de mes ouailles, je scintille et tinte comme un carillon porté par une brise d'été. C'est l'euphorie. J'esquive quelques mains qui veulent se poser sur ma peau ardente, jouant avec leur frustration et leur désir. Navré mais je suis un homme qui aime se faire désirer vous voyez.

Oui, je danse car je suis un danseur qui ne vit que par mon art. Un nouveau pas glissant et...

« MAIS AIEUUUUH ! »

Par Zura, qui a mit cette amphore sur mon chemin ?! Je vins de glisser dessus ! Une larme au coin de l'œil, c'est que je suis un peu douillet moi. J'en ai mal au dos et aux fesses.

« Et moi qui était en train de bien m'amuser ! »

Je peste et je râle, le visage boudeur. Ma tenue est toute poussiéreuse en plus. La tisserande risque de ne pas apprécier. Qu'on me rende l'onirisme qui m'a fait croire que j'étais danseur. J'ai deux pieds gauches en danse moi ! D'ailleurs, à cette pensée, je repense à mes actions. Ma peau sombre empêche de le voir mais une personne pâle serait écrevisse. Non mais oh, j'suis caravanier moi ! Autant vous dire qu'un éléphant a plus de grâce que moi ! Je suis pataud comme homme, et là j'ai un peu honte. Donc, plutôt que de m'éclipser, je prends une amphore de vin à une table et m'installe parmi d'autres convives l'air de rien.

Tout sourire, j'écoute mon voisin de tablée se présenter comme le premier roi de notre bon pays. Je lui sers du vin, et en boit une lampée. Puis, tapant fort sur son épaule à ce bougre d'âne de mercenaire que j'embauche souvent, je reprends mes habitudes de bavard !

« Buvons l'ami ! Dès demain, c'est direction le désert ! Je t'ai déjà raconté la fois où j'ai dû fuir un groupe pirate en plongeant en pleine mer ? C'était terrible ! Mais les dieux soient loués, je flotte très bien. »

Un nouveau cycle d'aventure se présente à moi.

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