Papillons

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Quand Lola s'offrit à moi dans mon salon, ou du moins quand enfin je consenti à répondre favorablement à ses avances, nous passâmes un moment délicieux. Elle savait y faire, bien mieux que moi, pourtant il était fort désagréable de sentir qu'elle continuait de se tenir à distance affective raisonnable. Je ressentais le peu d'estime qu'elle avait pour moi, un trophée comme un autre, une victoire de sa beauté sur les sens incontrôlés d'un mâle de plus. Ce sentiment m'enlevait tout le plaisir que j'aurais pu avoir à la considérer à mon tour comme un trophée, je n'étais pas dupe.

C'est pourquoi après quelques semaines de ce régime, et bien que Jean-Maxence fut encore en déplacement professionnel je jouais de mon côté la partition de la distance. Pour tout dire je n'étais plus disponible, trop occupé à mettre en œuvre un projet qui m'était cher et auquel elle n'avait jusqu'alors pas daigné s'intéresser. De toutes façons je me refusais à lui en livrer le moindre détail.

Et c'est bien ce qui piqua sa curiosité, comment pouvais-je passer autant de temps à m'atteler à une entreprise dont elle ignorait tout, et comment pouvais-je ne plus goûter ses baisers ? Il était évident qu'elle n'avait que très rarement été refoulée, probablement jamais, ou juste une fois traumatisante dans sa jeunesse, et de laquelle elle avait su tirer les conclusions qui s'imposaient pour ensuite toujours arriver à ses fins. Il n'était pas dur de comprendre que son mariage avec Jean-Maxence était plus intéressé que passionnel.

C'est là qu'elle devint attachante, elle tentait de me séduire en m'offrant ce qu'elle croyait me plaire, mais rien n'y faisait, je n'avais pas le temps pour les concerts ou les films car je me devais de travailler la nuit, c'était mon rythme, et elle commença à douter de la légalité de mon projet. Moi je ne démordais pas de mon secret, elle n'en saurait rien, personne d'ailleurs, c'était personnel et nul être humain sur la planète n'était assez intime avec moi pour en mériter l'affranchissement.

- On n'est pas assez intime ? Je t'ai offert mon corps et tu as joui en moi je te rappelle !

Moi je te rappelle que tu es mariée à Jean-Maxence, le reste officiellement c'est du vent, et moi le vent je ne construis rien dessus.

Il faut que je t'épouse pour savoir ce que tu bricoles la nuit ? Non, mais tu délires, je m'en contrefous de tes Mécanos ou de tes passions morbides ! Reste bien tranquille dans ton appart de nouveau riche et oublie moi, t'es qu'un plouc, si tu croyais qu'une fille comme moi pouvait t'aimer !


Enfin tranquille, je n'en attendais pas moins. Libéré des états d'âmes de cette snob immature je pus enfin avancer dans mes travaux, et surtout leurs recherches inhérentes. Il me fallait souvent le soir quitter mon ghetto de bourges pour aller parcourir les rues de la capitale afin de repérer les lieux et les habitudes sociales afférentes. Un leurre des plus classiques permettait au commun de me croire chez moi, un mannequin penché sur mon bureau, l'air de feuilleter internet comme le moindre geek. Personne ne venait toquer à ces heures en général, mais au cas où, un système de télécommunication me permettait de congédier les improbables importuns en temps réel. Avec Lola-Giuseppe ça aurait été impensable, cette rupture me tirait donc d'un guêpier inextricable.

Mais je savais que ça ne durerait pas, j'avais peut être une haute estime de moi mais surtout je connaissais un peu nos femelles, malgré un manque criant d'expérience je savais lire entre leurs cris.

Quand Lola-Giuseppe revint gratter à ma porte j'étais en repérage place Vendôme, et quelques sueurs froides me lessivèrent alors que je négociais avec elle de la retrouver dans le parc une demi heure plus tard. Bien sûr je ne pouvais être ponctuel, mais ça permettrait de tester son attachement.

Et effectivement elle m'attendait assise sur un banc, j'avais quinze minutes de retard et en temps normal elle ne l'aurait pas accepté, ne serait restée que pour m'incendier, là elle ne pipa mot, piteuse qu'elle était de revenir ainsi vers moi. Pour qu'une fille de son caractère fasse machine arrière il fallait qu'elle ait déjà plus ou moins accepté de laisser de côté une grande partie de son amour-propre. Moi en la voyant je peinais à refluer plus longtemps l'affection que je lui portais, pourtant je devais continuer d'agir en stratège, mon projet n'en serait que plus grand.


Je la serrais dans mes bras, mon étreinte la fit légèrement frémir, on s'aima comme les chasseurs de papillons, au son des bruissements de feuilles répondaient nos halètements saccadés. Enfin elle se laissait aller, et je sentis qu'elle jouissait réellement, j'en fus pris d'un vertige inconnu et cela me donna encore plus de courage pour mettre en application mon entreprise. Elle était ferrée, ce n'était plus qu'une question de temps. Mes repérages étaient presque terminés, nous les achèverions ensemble sans même qu'elle s'en doute. Elle n'avait jamais autant aimé Paris qu'à l'arrière de nos taxis, et reprenait même un peu de ses forces gentiment méchantes en moquant mon photographisme compulsif. Elle fut ensuite fascinée de découvrir comment l'on développe des négatifs, et se révéla même une excellente laborantine, elle avait changé. C'était magnifique à voir, mais au retour de Jean-Maxence cela risquait de poser un sérieux problème. Heureusement elle était également très douée pour jouer la comédie, et, puisque j'étais prêt à accepter qu'elle le câline encore, il n'y verrait que du feu, obnubilé qu'il était par sa carrière et sa femme, deux possessions qui le rendaient presque aussi fier que sa voiture rutilante. Bien sûr je n'étais qu'un homme et devais fournir un gros effort pour ne pas l'imaginer le suçant, c'était, disons, un malheur utile à mon projet, et cela ne durerait pas si je m'activais.

C'est elle qui petit à petit s'éveilla, son esprit se libérait d'une chrysalide bassement matérialiste, et elle se mit à m’observer plus finement, posant moins de questions, elle trouva des débuts de réponses.

- Ton projet c'est un truc peu commun : on est d'accord ?

On peut dire ça

Donc pas forcément légal...

Et pourquoi donc ?

Laisse tomber ! On verra plus tard.



Elle croyait encore pouvoir m'endormir en m'enlaçant, mais je continuais de la laisser seule au lit pour mettre le point d'orgue à mon ouvrage, et elle ne geignait plus, elle avait cessé ses minauderies et s'intéressait plus au révélateur photo qu'à nos étreintes.

Et puis un midi qu'on partageait une salade on observant du coin de l’œil les gamines s'en prendre à un nouvel arrivant elle lâcha :

- Je suis d''accord pour faire la révolution avec toi.

Sans exclamation. Et je ne répondis rien. Ne perdis pas mon sang froid, à son grand dam, mais lui souris gentiment, en plissant les yeux je pouffais d'un soupir. Elle s’empourpra d'avoir visé juste, elle semblait ne plus tenir en place. Je lui serrais la main très fortement, à la tordre, pour lui intimer le calme. Elle fut heureuse de s'en remettre alors totalement à moi, c'était réglé, elle serait ma Florence Rey, et pardon pour elle de la prendre en référence mais les rappeurs l'ont fait en premier.





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