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Le coup fit la une de tous les journaux du pays. Tout le monde en parlait, tout le monde cherchait à comprendre ce qui s'était passé. Car au final, personne ne connaissait le fin mot de l'affaire. L'interview du shérif n'éclairait aucunement ce qui s'était passé dans le coffre de la banque de Bowerston.


Lorsque la milice locale avait fini par pénétrer les lieux, ils avaient avancé avec prudence, libérant les otages un par un. Une fois cela fait, c'est avec la même précaution qu'ils avaient descendu l'escalier menant jusqu'au coffre, où s'étaient apparemment retranchés les bandits. Et là, un obstacle majeur : des pièges magiques par dizaines, grossiers mais efficaces. Il avait fallu les désamorcer un par un, en faisant appel à un érudit versé dans ces choses. Le plus efficace était parfois de simplement faire exploser la rune, ce qui ne faisait que rendre les hommes plus nerveux. Finalement, ils étaient arrivés au coffre entrouvert.


Et dedans, aucune trace des bandits. Seuls quelques billets épars sur la table témoignaient du passage des cinq pilleurs de banque. Un bien maigre butin, mais nul ne savait où ils étaient partis, ni comment. Les lieux furent scellés et une enquête officielle commença. Les fédéraux allaient se mêler de l'affaire, au grand dam de H&G. Au bout de plusieurs semaines, l'affaire finirait par se calmer, les gens comme les journaux se lassant du manque de rebondissements. Le braquage de Bowerston deviendrait un de ces mystères modernes si communs en ces temps-là.


Bien entendu, H&G avait la réponse et savait parfaitement ce qui s'était passé. Leur enquête ne laissait aucun doute sur le sujet. Un groupe de cinq individus, dotés de connaissances et de talents précis, avait pénétré le saint des saints et pillé leur réserve de poussière magique, et ce de manière non négligeable, leur fournissant ainsi un pactole considérable et extrêmement difficile à tracer. Après quoi, ils étaient repartis par là où ils étaient entrés.


Ils avaient attendu la venue de la nuit et, à l'aide de glyphes complexes et discrets, avaient pu confirmer que nul ne montait la garde dans le coffre. Les pièges au dessin si grossier servaient tout aussi bien d'obstacle que de distraction pour ces runes de surveillance plus difficiles à maîtriser. Si vous ne vous attendez pas à trouver quelque chose d'aussi unique et particulier, vous ne le cherchez même pas. Un point sur lequel les voleurs comptait pour pouvoir s'enfuir. Lorsque le soir était tombé, le bâtiment était vide. Ils avaient pu sortir tranquillement, et éviter la surveillance bien maigre que les hommes du shérif portaient à la banque pillée.


Tout ceci, H&G le savait, simplement parce que leurs hommes avaient pu assister à l'attente nerveuse des cinq voleurs. Les six magiciens censés garder le tunnel de toute intrusion avaient repris conscience, ligotés et bâillonnés, privés de leurs réserves de poudre magique et incapables de lancer le moindre sort ou de se débarrasser de leurs liens. Ne pouvant sonner l'alarme, ils avaient attendu avec les pilleurs de banque, espérant que la relève finirait par venir avant que les voleurs ne s'en aillent. Mais les voleurs eurent de la chance, ou bien connaissaient-ils aussi les heures de garde, tant et si bien qu'ils purent partir deux heures avant que de nouvelles troupes n'arrivent. Une affaire rondement menée, qui misait tout aussi bien sur la chance que sur un bon nombre d'informations qui auraient du être tenues secrètes. En haut lieu, nul n'avait de doute sur l'identité de l'individu masqué et tout vêtu de noir. Et Henry Garner comprenait que c'était là sa juste rétribution. Il avait renié sa fille, et au final, elle l'avait frappé au seul endroit où il pouvait encore souffrir. Il passa de longues heures debout, la nuit suivant les faits, après que Stephen lui ait fait son rapport en personne. Il se posait beaucoup de questions. L'introspection n'était pas son fort. Ce n'était pas ce qui l'avait mené aussi loin. Et maintenant, il se retrouvait confronté à lui-même et ses erreurs. Sa femme lui manquait. Sa fille lui manquait.


Pour la première fois depuis des années, il se demanda comment se portait sa fille, en ce moment même.




Jack vint s'asseoir aux côtés d'Ombre. Elle s'était débarrassée de son masque et regardait le ciel nocturne avec mélancolie, dehors dans le noir. Dans la maison abandonnée dans leur dos, les trois autres riaient et papotaient entre eux, partageant le plaisir de s'en être sortis entiers, bien plus riches à la sortie qu'à l'entrée. Cette ancienne ferme au milieu de nulle part était un endroit idéal pour se poser quelques instants avant de reprendre leur route. Il allait falloir écouler la poudre au plus vite, et en plusieurs endroits afin de ne pas être tracé. Ce ne serait pas plaisant.


Jack plongea machinalement la main dans sa poche. Il sortit les cartes et commença à les battre, jetant un coup d’œil de temps à autre à la jeune femme à ses côtes. Ses traits délicats et son teint pâle ne collaient définitivement pas avec son groupe de malappris. Mais où aurait-elle pu aller ?


« Ça va bien ? » demanda-t-il dans un murmure.


Pendant une minute, elle ne répondit pas, le visage toujours tournée vers le ciel. Elle finit par pencher la tête légèrement vers lui, le regard fixé vers les étoiles, avant de répondre.


« Ça va. C'est agréable de ne plus avoir à porter le masque.

  • J'imagine. »


Jack tira une carte et la regarda en haussant le sourcil, intrigué. Il la remit parmi les autres avant de continuer.


« Besoin de quelque chose ?

  • Non, non... Ça ira.
  • Ne mentez pas. »


Discrètement, Jack sortit un couteau de poche et le déplia. La lame refléta l'éclat de la lune pendant un bref instant. La jeune femme considéra l'objet du coin de l’œil.


« Que comptez-vous faire ? Vous débarrasser de moi, au final ?

  • Ne soyez pas stupide. »


Le bandit s'entailla la main gauche. Il grogna mais la plaie était propre et nette. Il montra la blessure à Ombre, qui s'écarta par réflexe, les yeux écarquillés.


« Mais enfin, qu'est-ce que...

  • Je ne suis pas un idiot. Je ne sais pas depuis combien de temps vous n'avez pas bu, mais je sais ce que ça donne un vampire qui se prive volontairement. Alors buvez. Allez. »


Jack avait terminé avec gentillesse. La jeune femme hésita avant d'ouvrir la bouche, révélant les canines pointues caractéristiques de sa condition. Le bandit détourna le regard, gêné, alors qu'elle léchait la plaie. Au bout d'une minute inconfortable, elle finit par repousser sa main en glissant sa langue sur ses lèvres. Jack toussota avant de récupérer un bandage dans sa poche. Tout ceci était bien plus bizarre que ce qu'il avait imaginé.


« Merci beaucoup.

  • De rien. On trouvera un meilleur moyen, hein.
  • D'accord. »


    Jack frissonna. Il tenta de se convaincre que c'était le froid. Une fois sa main proprement emballée, il ne put s'empêcher de toucher ses cartes du bout des doigts, dans sa poche. Valet de cœur. Il se demandait bien ce que cela signifiait réellement, si tant est que cela ait un sens.


    « Dites-moi, Jack...

    • Hm ?
    • Pourquoi ? »


    Le bandit soupira. Pas besoin qu'elle explicite la chose. Il hésita quelques instants avant de finalement répondre, avec un ton solennel qui ne lui allait guère :


    « Chacun d'entre nous a ses raisons pour être ici. Certaines sont évidentes, d'autres non. Au final, nous avions juste besoin de trouver un groupe. De trouver quelqu'un, pour ne plus être seul. De former une famille, aussi improbable soit-elle. Parce que souffrir d'être isolé, nous l'avons chacun vécu. Et je refuse de ne pas tendre la main à quelqu'un dans la même situation. C'est tout. »


    Jack se releva en soupirant. Il regarda la lune, pâle et cachée par quelques nuages. Le temps se rafraîchissait.


    « Est-ce une réponse convenable ?

    • C'était parfait, oui. Rentrons. Il se fait froid. »


    Côte-à-côte, ils retournèrent à l'intérieur. Là où il n'y avait que rires et joie, bien loin d'une société qui ne leur avait causé que des misères. Peut-être qu'avec le temps, les blessures finiraient par guérir.


    En attendant, ils étaient ensemble.

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