Le SDF

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Le bus s'arrête et ouvre ses portes, mais l'homme assis sous l'abris n'a pas une seule pièce en poche, n'a pas d'hier dans sa caboche, ni de demain dans ses baloches. En général il est assez grossier, des insultes plein le gosier, mais aujourd'hui les passants sont graciés. Dans sa tête, il range les meubles, ses bibelots, ses lots de bibles, il débarasse le tapis et dépoussière la table, mais plus il avance dans ses corvées, moins il trouve de place où se lover. Il voudrait se créer un nid de tout repos, lui qui erre dans la rue, pauvre. Il voudrait se nourrir d'idées fraiches, lui qui n'a que des pensées rèches, mais les mots lui manquent et c'est pour cela qu'il préfère ne rien dire. Qui l'écouterait, cet homme, un fou qui loge dans sa propre tête ? Qui pourrait lui donner la solution à son problème d'entête ? Les gens ont assez d'histoires pour une vie, mais lui n'a qu'une vie pour ses histoires. Il n'a donc pas le choix : la solitude n'est pas une si mauvaise compagne après tout. Ce n'est pas elle qui vous abandonnera.

Racontez ce que vous voulez, il n'est finalement pas si mal habillé. Aujourd'hui il ne s'est même pas saoulé et on lui a même filé un billet. Ce dernier venait de sa mère mais tout le monde sait que les mères sont les fans premières. Pour ce qui est de son histoire, il l'a rencontrée par un détour, comme l'on recontre l'amour, alors qu'il s'en allait boire. Dès qu'elle s'est insinuée par tous ses pores, elle a pris contrôle de son esprit et de son corps pour l'amener sans contrainte jusqu'à l'autre bout de Paris. Ils ont marché ensemble jusqu'au soir, ont échangé sans se voir, et il s'est éveillé bien tard, les yeux hagards, au milieu d'un boulevard. Ce rencard l'a porté loin à travers la ville, mais l'histoire a été bonne, malgré sa jeunesse, et il sait que cette nuit, il va coucher. Coucher sur une blanche vierge un récit qui a pris en otage sa vie pour toute une journée, et dormir jusqu'au matin pour découvrir une merveilleuse étrangère. Ou une horrible perte de temps.

Lorsqu'il écrit il est gris, comme mort, mais comme or il étincelle car c'est un homme concentré. Il a plus souvent le nez au plafond que sur son manuscrit, il réfléchit plus qu'il ne rédige et grignote plus qu'il ne pianote. Sur une chaise au design suédois, son corps est immobile de cul à cou. Seule sa tête tourne en tous sens pour trouver une solution à ses absences. Ses yeux sont fixes comme ceux d'un damné, sa bouche tordue par la réflexion endurée. Il ne sait si la fin du récit viendra bientôt, toujours est-il qu'elle se présentera trop tôt. En attendant il mendie quelques mots pour continuer ses fables instables et ses histoires d'un soir.

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