Mon ami "i"

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C'est mon ami, mon seul ami avec un "i". Trois ans que je le connais. Je viens de lui donner une bouteille.

Il s'est littéralement jeté dessus. Depuis le temps qu'il attendait ça. Normalement, j'évite. Trop dangereux, disent certains, juste normal, répondent les autres. Je suis de l'avis des seconds. Il suffit de faire attention et de ne pas abuser. Il est tellement heureux quand je la lui offre !

Il sait déjà que je l'ai, à mon comportement, avant même de la voir, c'est étrange. Il me fixe du regard, interrogateur. Puis attend simplement que je me décide. Il ne demande pas. Il sait d'expérience que ce serait inutile. Alors je la lui présente. Il attend encore, car elle n'est pas prête ; je ne l'ai pas préparée comme il se doit, elle n'est pas dépouillée de tous ses oripeaux : étiquette, bouchon et l'attache.

Voilà, c'est fait. Maintenant ! Il a bondi, gueule en avant, les crocs se sont refermés sur la matière plastique et l'ont déjà broyée en son centre. Elle n'est plus dans ma main mais en sa possession. Je le vois filer direct au panier, fier et guilleret malgré son nouveau handicap qui le fait vaciller sur ses pattes arrières. Il les regroupe en un saut de lapin pour se coucher et le voilà occupé dix bonnes minutes. Ah, ces eaux minérales, un bonheur pour chien une fois bues. Son bonheur est le broyage facile pour la poubelle sélective. Nous sommes donc d'accord, mon seul ami et moi, ce petit cadeau est simplement un jeu, super chouette, s'il est réalisé sous surveillance. Une fois terminée la "mise sous presse", mon chien d'amour la dédaigne. Elle n'a plus aucun intérêt. Pfff ! Quelle misère, cette chose ne fait presque plus de bruit, ne craque plus sous la dent, non vraiment, merci ! Ha ha !

Je l'adore ! Mon ami a changé ma vie. Sa photo, un gros plan de sa tête de gros nounours, figurait dans une revue canine. Un article sur des chiens sauvés d'un chenil atroce où ils avaient passé des années, maltraités, mal nourris, sans promenades, sans soins et pire. Une horreur.

Lui, avait malgré tout un regard d'ange. Son nom sous la photo illustrait parfaitement ses doux yeux : le "bon géant". En m'y plongeant, je sus que c'était mon chien, pas un autre. Je voulus aller le chercher. J'appelai, personne ne l'avais encore réclamé. Cinquante kilos repousse les candidats m'a-t-on expliqué. M'en fiche ! C'est mon chien ! Ça veut dire qu'il fait cinquante kilos d'amour. Tant mieux si les autres ne s'en sont pas aperçus...

Après quelques contrôles de l'association, la L.A.V., très sérieuse d'ailleurs, j'étais convaincue des bons soins qu'il avait enfin reçus à sa sortie de ce camp de concentration, "lager" comme ils disent, et je ne tenais plus en place. Six cents kilomètres nous séparaient encore ! Mais les organisateurs responsable de leur adoption avaient tout prévu. Ainsi, ils amenaient leurs protégés et pouvaient s'assurer sur vingt-quatre ou quarante-huit heures que tout se passait bien. Ils me l'amenèrent, mon trésor. Pauvre boule de poils. Je le vis débarquer de la camionnette, trempé de sueur et tremblant, la terreur faite animale. Son dernier traumatisme, sans doute inévitable, quel malheur. Une cage, ils l'avaient encore mis dans une cage de transport. Aucun de nous ne se lança sur lui. Nous le laissâme descendre, flageolant, retrouver son éducateur canin, Mike, renifler l'air, chercher un peu d'herbe et se soulager, avant d'oser approcher. Mon mari fut le premier sur signe de Mike, puis les enfants, l'un après l'autre, tranquille, tout en douceur. je les avais bien briefés ! J'attendis donc que tous les membres de ma famille se présentent à lui, puis qu'il marche un peu, sente les alentours, se remette juste un peu de ce long et éprouvant voyage, pour pouvoir me présenter à lui, brièvement dehors.

Ce fut à la maison qu'il s'apaisa et d'abord avec l'un de mes fils, auprès duquel il trouva refuge, en décidant de se coucher à son côté. Quelle émotion ! Cet être tremblant, aux yeux fureteurs, qui se pose enfin, près du plus jeune de la famille. C'était comme s'il avait donné son accord pour notre offre d'accueil.

Lorsque nous avons voulu lui donner à manger, sa gamelle se révéla inadéquate. Ses soigneurs n'avaient pas pensé à nous prévenir que durant des années, il avait mangé à même le sol. Piocher sa nourriture dans un récipient à hauts bords le bloquait. Il n'y arrivait pas. Nous prîmes alors un large plat de cuisine à tous petits bords, qui fit très bien l'affaire.

Puis vint notre vraie rencontre, plus tard. Il était si calme mais son poil n'avait aucune allure.La brosse à la main, je m'approchai et lui parlai doucement en lui montrant. Même sale, pas question, malgré tout, de le laver. Sa peur de l'eau l'empêchait d'approcher de la douche ou de la baignoire. Traumatisé au chenil par les jets puissants de nettoyage, il ne fallait pas y penser. Je voulais juste le peigner à l'aide d'une brosse spéciale pour ses longs poils. Nous nous observions, pas très rassurés, ni l'un ni l'autre. Mais tout se passait bien, jusqu'à ce que je m'occupe de sa queue fort emmêlée. C'est là, qu'un grondement sourd nous fit lever la tête à tous deux, surpris. Il avait grogné, d'instinct ! J'avais dû lui faire mal. Mais il réagissait là comme avec perplexité, l'oeil rond. Il me fixait, interrogateur. Alors, je cessai aussitôt, et lui parlai doucement, pour l'apaiser. Notre relation de commença là et je me mis à lire tout ce que je trouvai sur l'éthologie canine. Je voulais à tout prix qu'il se sente bien avec nous, rassuré, en confiance. Et c'est ce qui arriva. J'appris d'ailleurs que j'avais bien fait d'accepter son grognement qui était simplement une expression de son malaise ou de sa douleur.

Aujourd'hui, trois ans après, il ne jure que par nous, surtout moi d'ailleurs, ha ha ! J'ai lu beaucoup et j'ai appliqué ce que j'ai lu. Ça fonctionne : nous nous comprenons de mieux en mieux. Mon doux géant est mon ami comme je suis son soutien dans cette vie, sa référente humaine. Je suis là pour lui.

Il a besoin de moi. Nous avons vite découvert qu'il était malade d'une maladie rare et très grave, qui ne se soignait pas mais se gardait sous contrôle, qu'il avait des problèmes de colonne vertébrale, des tas d'allergies et des problèmes de prostate. Il a fallu le soigner d'urgence, l'opérer et aujourd'hui je me bats pour qu'il survive à sa maladie. La neospora caninum. Saloperie !

C'est mon ami, mon seul ami avec un "i" et je l'aime. Il m'a fait confiance, il me donne tant, chaque jour. Ceux qui n'ont pas de chien en leur compagnie, ne peuvent pas comprendre. Avant, j'étais seule toute la journée, mon mari au travail, les enfants à l'école ou au lycée. Je ne parvenais même plus à me lever le matin. Pour quoi faire ? Les voir partir ? Prendre mon petit-déjeuner seule à la cuisine ? Ecouter le silence me dire combien j'étais inutile ? Tourner en rond dans cette maison froide ? Ranger sans conviction tout ce qui traînait en grommelant, m'asseoir et prendre un livre, histoire de ne pas regarder le temps passer ? Puis m'allonger et me rendormir pour qu'il file plus vite ? Me réveiller en début d'après-midi et m'autoriser à allumer la télévision, manger devant, abandonner le plateau sur la table basse, me laisser porter par un film et être chaque fois surprise par un des enfants qui rentre de l'école, coupable de n'avoir rien fait de ma journée, fautive de m'abrutir à l'intérieur au lieu de sortir m'aérer ?

Fini tout ça, avec mon bon géant ! Le matin débute par une courte balade, se poursuit avec la préparation de la gamelle et des médicaments. Vient mon petit-déjeuner, seulement après. Charité bien ordonnée commence par mon chien ! Et durant cette première prise de contact avec l'extérieur, je reçois déjà nombre de sourires, hochements de têtes, voire quelques mots. Je ne suis plus une parmi tant d'autres, inconnue, non. Je suis l'humaine du bon géant. Oui, la chanceuse. Donc, vient le moment béni du petit-déjeuner, où Maxou, la panse remplie, se couche près de moi, même s'il sait qu'il n'aura rien. Aucune chance, donc il ne réclame pas. C'est aussi simple que cela. Une fois fini, je débarrasse, et m'installe confortablement pour écrire. Il m'a suivie et se couche sur son coussin. En fait de coussin, il ferait plutôt figure de matelas, vu sa taille. Si je me concentre un peu trop sur mon écran, il se charge de me distraire bien vite, un coup de patte sur le côté du fauteuil, il me rappelle à l'ordre. Je dois effectuer deux ou trois caresses de pardon et je peux reprendre mon travail. Lorsqu'une envie trop pressante le décide à se lever, il se plante face à moi et me fixe, immobile et mutique. Ah, il n'est pas turbulent, c'est certain ! Il n'est pas non plus bavard, pas du tout ! Par contre, il sait communiquer. Nous avons appris à nous comprendre, à échanger. D'un regard, d'un geste, d'un placement du corps. C'est canin, mais c'est aussi humain comme langage, il suffit de vouloir observer et de savoir retenir les petites subtilités.

Au départ, je voulais, mais je ne savais pas. J'ai lu pour savoir communiquer avec Maxou. Et nous avons appris tous les deux, petit-à-petit, avec l'expérience. Il nous a fallu du temps, des échecs, des erreurs, des moments de doute et d'incompréhension, mais surtout, de la confiance et de l'amour. Et par-dessus tout, l'absence de sanctions. Les coups, les menaces physiques, la peur, il les a connus, avant. Cela l'avait conduit à la dépression et à la résignation. Il ne sortait que difficilement de sa cage. Ce n'est qu'avec l'amour et l'absence totale de punition qu'il a retrouvé la confiance et l'envie, la joie, le jeu.

Il me les a offerts en retour. La confiance, l'envie, la joie et le jeu, ensemble. Maxou, mon ami avec un "i".

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