Chapitre 24

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Lorsqu’elle rouvrit les yeux sur le monde des vivants, la jeune fille fut aveuglée par la lumière blafarde des néons, la faisant clignoter pendant quelques secondes.

« Amélie ? Demanda doucement sa mère. Comment te sens-tu ? Tu avais une mine effroyable dans les limbes…

- Effroyable comment ? répondit-elle mentalement.

- Une brume noire commençait à se former autour de toi

- Cool. »

Amélie jeta un œil à sa montre, elle avait passé plus de quarante minutes à essayer d’apprivoiser un nouveau jouet. Elle se sentait vidée de toute énergie, absolument épuisée.

« Je t’en prie, ne recommence pas cette folie ! Tu es suffisamment puissante pour te passer de ces créatures-là.

- Je réessaierai.

- Quoi ?! Non ! s’indigna Hélène.

- Si. Et cette fois, je réussirai.

- Non, tu ne réussiras pas ! Tout ce que tu gagneras est de rester coincée dans les limbes, tu…

- Je pense que tu peux y arriver, coupa Denise

- Quoi ? Non, non, non ! Ne va pas lui mettre ce genre de chose dans la tête !

- Je ne lui mets rien dans la tête ! Je l’encourage à persévérer, je lui donne de la confiance pour réussir quand tu ne fais que dénigrer ses efforts !

- Comment oses-tu ! Je suis à ses côtés depuis plus longtemps que toi ! Je l’encourage depuis le début !

La migraine d’Amélie se fit plus lancinante à mesure que cette nouvelle dispute éclatait sous son crâne. Il fallait qu’elle y mette un terme avant que cela ne dégénère, dans son état de faiblesse, une perte de connaissance risquait d’avoir de plus grosses conséquences que la fois précédente.

« FERMEZ-LA ! Si je m’évanouis encore une fois à cause de vous, je vous expulse pour de bon ! »

La menace se révéla plus efficace qu’elle ne l’aurait cru : elles se turent aussitôt.

« Maman, je comprends ton inquiétude, mais tu devrais savoir que lorsque j’entreprends quelque chose, je ne lâche pas tant que je n’ai pas réussi à obtenir ce que je veux ! reprit-elle calmement. Denise, merci de ton soutien. Maintenant, taisez-vous… je me sens si fatiguée…

- Laisse-moi le contrôle pour la journée si tu veux te reposer, proposa Hélène.

Amélie considéra son offre avant de finalement la refuser. Il lui fallait s’endurcir, céder le contrôle n’était envisageable qu’en dernier recours. Elle reporta finalement son attention sur l’enseignante et la chose informe rampant à ses pieds. Un sourire satisfait étira ses lèvres ; elle réussirait, elle le savait.

Jamais un cours de philosophie ne lui avait paru si long. Lorsqu’enfin la sonnerie retentit, elle se leva, le corps courbaturé, exténué. Elle serra les dents et se pencha pour ramasser son sac à dos, elle vit alors les baskets hors de prix de Mévina s’arrêter à sa hauteur. Son jean cachait ses chevilles, mais il ne faisait aucun doute que son charme n’était plus là, elle le sentait.

« Bonjour Amélie, minauda la jeune fille pendant que sa camarade se redressait.

- Bonjour Mévina.

Amélie s’étonna de la sécheresse de sa voix, mais plus encore de la réaction de son interlocutrice qui recula d’un pas en voyant son visage. Était-il possible que sa bataille spirituelle ait laissé des marques sur son corps physique ?

- Pourquoi recules-tu ?

- Je… Ton visage… Elle se retourna rapidement pour vérifier que personne ne les écoutait. Tu n’avais pas ce visage ce matin, ni même l’autre soir quand… heu…tu sais quoi était là… Qu’est-ce qui s’est passé ? Est-ce que ça va ? »

Amélie étudia les traits de sa camarade avec curiosité, elle semblait réellement inquiète ; mais est-ce que cette inquiétude lui était réellement destinée ? Ou bien s’inquiétait-elle pour sa propre sécurité ?

« Tu l’as eu… ? Hein ? »

La nécromancienne hoqueta de dépit. Bien sûr que non ce n’était pas pour elle. Personne ne s’inquiétait jamais pour elle. Quelle audace l’avait piquée pour croire qu’il pouvait en être autrement ? Elle serra les dents, amère tout en soulevant son sac à dos pour le mettre sur le bureau. Un léger vertige la saisit, l’obligeant à se tenir à la table. Mévina ne le remarqua pas, occupée à chercher quelque chose qu’elle ne pouvait pas voir, tandis que la salle de classe se vidait. Elle se tourna finalement vers Amélie et la relança.

« Alors ?

- Oui, tout va bien, mentit la pâle jeune fille.

- Super… souffla finalement sa camarade avec un sourire hésitant.

Tout le monde était parti, les laissant seules. Le malaise se lisait sur le visage de Mévina.

- Tu n’as vraiment pas bonne mine… Hm… Y a-t-il quelque chose que je peux faire pour toi ? »

Le ton sur lequel la question était posée était poli, mais trop forcé pour être sincère selon Amélie. Un râle sépulcral attira l’attention de la nécromancienne vers la chose informe gisant sur l’estrade. Epuisée et affamée, elle passa sa langue sur ses lèvres.

« Tu n’en tiras rien… commenta Denise. En revanche, j’ai beaucoup réfléchi et bien que l’idée ne m’enchante guère, il me semble que tu voulais essayer quelque chose de nouveau : voilà l’opportunité… murmura Denise d’une voix timide.

- Comment ? questionna Hélène avant de comprendre et de s’insurger de ce qui était sous-entendu. Non !

- Je n’aime pas cette idée, mais soyons honnêtes : nous avons pactisé avec un démon pour détruire l’humanité. Il est un peu hypocrite de jouer les effarouchées maintenant. Amélie est complètement exténuée, alors que cette jeune fille est en pleine santé, argumenta Denise.

- Amélie… Je t’en prie, ne l’écoute pas… Je prendrai le relais le temps que tu ailles mieux, mais ne fais pas ça !

- Enfin, elle nous est redevable, conclut Denise, ignorant les suppliques d’Hélène avec superbe.

« Amélie ? demanda doucement Mévina.

Amélie qui avait écouté silencieusement, trop faible pour leur dire de se taire, sursauta soudainement. Elle venait de se rappeler de quelque chose d’intéressant. Comment ai-je pu oublier ?! songea-t-elle.

- Peux-tu sortir et faire le guet devant la salle ? »

Surprise par une requête si simple et lui évitant de rester à ses côtés, Mévina bredouilla vaguement une réponse avant de sortir.

Une fois seule, Amélie se tourna vers la fenêtre qui lui renvoya une pitoyable image d’elle-même : le teint livide, les joues creuses, le regard sombre, les yeux profondément cernés et injectés de sang. Elle se lança un sourire sinistre avant de s’asseoir à nouveau à son bureau. Elle prit une profonde inspiration et ferma les yeux. Sa migraine lui cerclait le crâne, faisait bruyamment pulser son cœur à ses oreilles et lui donnait une nausée terrible. Pourtant il lui fallait faire abstraction. Tant bien que mal, Amélie se concentra et parvint à retrouver le fil d’un lien oublié. Elle tira dessus, commandant à l’être qui en dépendait de se présenter à elle.

Lorsqu’Amélie rouvrit les yeux, elle découvrit le corps spectral d’une vieille femme, son aura n’était pas aussi claire que lors de leur première rencontre, mais cela ferait l’affaire.

« Ah ! Mademoiselle ! Heureuse que vous ayez changé d’avis ! Vous allez m’aider, n’est-ce pas ? C’est votre devoir, n’est-ce pas ? Voyez-vous, j’ai deux fils, l’un est un amour et un modèle d’honnêteté ! Mais l’autre… »

Agacée par le débit et la voix de crécelle de l’esprit, Amélie la musela spirituellement avant de lentement étouffer son libre arbitre. La stupeur et la terreur se lisaient sur le visage de la vieille femme.

La jeune nécromancienne sentait son contrôle vacillant sur l’esprit qui se débattait, mais affamée comme elle l’était, elle le raffermit avec la rage. Elle tendit ensuite sa main droite face à sa proie et matérialisa le lien qui les unissait ; un fin filament argenté apparu, s’étirant du nombril de l’esprit jusqu’au milieu de la main de la jeune sorcière. Amélie dessina de petits cercles du bout de l’index et lentement, la silhouette de l’esprit se dissipa, tandis que le lien devenait plus brillant, plus épais. Lorsqu’enfin l’esprit disparu complètement, le lien se rétracta dans la paume d’Amélie, formant une petite sphère opalescente, chaude et vibrante d’énergie.

Amélie contempla sa création avec gloutonnerie, salivant d’avance, quand un râle sépulcral la détourna de sa contemplation. Le spectre noir rampait lamentablement vers elle, attiré par la source d’énergie dans le creux de sa main. Un sourire carnassier se dessina sur les lèvres de la nécromancienne. Luttant contre la nausée, elle se redressa et s’approcha de lui.

« C’est ça que tu veux ? demanda-t-elle mielleuse en le toisant.

Pour toute réponse, la chose leva vaguement une main affamée en gémissant un son strident.

« Soumets-toi à moi et je te nourrirais. Refuse-moi et tu agoniseras longtemps et douloureusement. »

Ignorant les suppliques horrifiques de l’esprit noir, Amélie baissa les yeux sur son trésor. Elle hésita vaguement avant de finalement plaquer sa paume contre son cœur. L’écraser dans sa main aurait permis à l’énergie de se diffuser doucement, progressivement dans son corps, mais cette méthode-là était plus jouissive. Un frisson d’extase la traversa, accompagné d’une brusque montée d’adrénaline. Elle chancela vaguement avant que Denise ne prenne le contrôle de son bras pour se rattraper à un bureau. Elle savourait la vague de chaleur qui se répandait en elle, faisant battre son cœur plus fort.

Lorsque son rythme cardiaque retrouva une allure presque normale, Amélie retourna à son bureau pour s’emparer de son sac.

« Je suis contente et fière de toi que tu ne te sois pas rabaissée à te nourrir de ta camarade ! Claironna Hélène.

Amélie s’esclaffa avant de répondre intérieurement.

- Ce n’est que partie remise. J’ai peur de trop prendre goût à ce mode de subsistance et je ne veux pas risquer de me laisser emporter. Il est trop tôt pour semer des cadavres. »

La réplique de sa fille coupa l’enthousiasme d’Hélène.

La sonnerie annonçant la reprise des cours résonna en même temps qu’Amélie ouvrit la porte pour sortir, faisant sursauter Mévina. Elle s’étonna d’ailleurs que celle-ci soit vraiment restée.

« C’est pas génial, mais tu as meilleure mine… l’informa la jeune fille avec un faux sourire.

- Je sais. »

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