* Chapitre 13 *

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« La suite ? demanda-t-elle d’un ton qui se voulait doux et innocent.

- NON ! JE REFUSE ! » Cria l’intéressée en sanglot, l’aura plus sombre que jamais.

Amélie exerça de nouveau une pression spirituelle, plus forte cette fois-ci, ce qui arracha un hurlement de douleur à Orianne. Amélie jeta un œil à Mévina, elle ne semblait rien entendre, les yeux humides et rougit, elle attendait la suite.

« Quelque chose ne va pas ?

- Non, tout va bien, ta sœur cherche ses mots, tout cela la trouble aussi ! » Rassura Amélie, sans pour autant relâcher sa contrainte sur l’esprit d’Orianne.

Après une longue minute, Amélie relâcha son emprise. L’esprit d’Orianne était vacillant, trouble, comme prêt à se déchirer. Amélie songea qu’elle y était peut-être allée un peu fort. Face à ce terrible spectacle, Amélie sentit sa mère et Denise frémir, horrifiées par le tourment que subissait Orianne.

« Tu vas trop loin Amélie, arrête ! Cette pauvre fille est vraisemblablement morte dans de terribles conditions, laisse-la reposer en paix ! »

Supplia sa mère. Cette intervention irrita Amélie qui rappela sa mère au silence.

« Je ne t’ai pas demandé ton avis ! J’ai un service à rendre et je m’y emploie comme bon me semble ! »

Bouleversée, sa mère se tue néanmoins. Amélie regarda son téléphone portable, voilà plus d’une heure qu’elles avaient commencé leur session de spiritisme. L’excitation ressentie au début avait disparu, la fatigue commençait à lui peser, sans parler de son mal de tête qui revenait à la charge. Elle ferma les yeux et ouvrit son troisième œil spirituel, il était temps de poser un ultimatum.

« Ecoute-moi, je me suis montrée patiente et indulgente. Maintenant, parle ou je te fais parler. »

Elle n’attendit pas la réponse de l’intéressée et revint à elle, face à Mévina. Elle jeta un regard froid et interrogateur à Orianne. Pour toute réponse, cette dernière la fusilla du regard, gardant les lèvres closes. Très bien, tu l’auras voulu. Songea Amélie. Elle se concentra sur son lien avec l’esprit face à elle, laissant sa volonté ramper vers elle, étouffer son libre arbitre, l’esprit d’Orianne se débattit vaguement, mais en vain. Pour s’être maintes fois exercée, Amélie excellait dans cet art. Lorsqu’elle reprit la parole, elle lui appartenait, elle était sous son contrôle, elle lui donna son ordre :

« Parle, comment es-tu morte ? »

La question, posée sèchement fit sursauter Mévina, mais elle eut l’effet escompté : la stature d’Orianne se redressa mollement, son visage était lisse de toute émotion, elle reprit son discours d’un ton morne, là où elle l’avait laissé.

« Une camarade de promo m’a alors parlé d’un site web pour rencontrer des hommes, souvent mariés, qui se montraient généreux en échange de faveurs sexuelles. J’ai hésité, mais mes dettes sont rapidement devenues très importantes et je ne trouvais pas de travail. Je me suis inscrite. J’ai été contactée par de nombreux hommes, j’ai refusé les plus vieux et les plus moches pour finalement discuter avec trois hommes différents. Ils n’ont pas tardé à demander que l’on se rencontre. Cela m’angoissait, mais cela m’arrangeait aussi, car j’avais besoin d’argent. »

Le ton neutre avec lequel Orianne débitait son histoire, sans le moindre ménagement, avait quelque chose d’assez perturbant, même pour Amélie, elle se réjouit que Mévina ne puisse pas entendre sa sœur et s’efforçait de reprendre les propos de la défunte avec plus de tact… Quand vint la partie la plus sordide, où elle essaya maladroitement d’être moins abrupte, omettant volontairement certains détails.

« J’ai entretenu des rapports sexuels avec ces trois hommes pendant deux mois, le temps d’éponger mes dettes. Mais cela devenait trop chronophage, alors j’ai cessé d’en voir deux d’entre eux pour ne garder que le plus fortuné, je n’avais plus de dette, mais j’avais pris goût à un certain niveau de vie. C’était une erreur, il était également le plus détraqué dans ses fantasmes. Petit à petit il a introduit des accessoires dans nos rapports : des godemichets, des plugs anal, des menottes, des cordes… Puis un soir il est venu chez moi sans prévenir, il était très énervé. Il m’a proposé 2000€ en échange de mon corps, sans poser de question. J’ai accepté. »

Amélie reprit les propos d’Orianne avec autant de retenue que possible, elle connaissait la fin de cette histoire et songea que Mévina s’en était certainement fait une idée, mais devoir reprendre ces mots mettait Amélie très mal à l’aise. Elle n’était plus vierge depuis quelque temps maintenant et avait une idée assez large de toutes les pratiques sexuelles existantes, ce n’était pas ça le problème. Ce qui la troublait c’était de s’approprier une telle histoire en la racontant à la première personne. C’était d’avoir le regard de Mévina braqué sur elle, tremblante et larmoyante, comme prête à la supplier d’arrêter son discours et pourtant ne le faisant pas… Laissant les larmes inonder ses joues. Elle en sait assez, pourquoi se torturer à vouloir tout entendre ? C’est insensé… Orianne, toujours sous l’emprise d’Amélie, restait insensible à ce qu’elle racontait, tel un sinistre automate.

« Il m’a déshabillée brutalement avant de me bâillonner et de m’attacher sur mon lit. Je l’ai vu se déshabiller et s’approcher de moi sans préservatif, je me suis alors débattue, il m’a crié de me calmer et comme je me débattais toujours, il m’a giflé très fort, plusieurs fois. Je me suis calmée. Je me suis retenue de pleurer, car je savais que cela l’énervait. Il m’a prise brutalement. Lorsqu’il a eu fini, il s’est assis pour fumer une cigarette. Il tremblait. Je me suis un peu débattue pour qu’il me détache. Il m’a dit qu’il n’avait pas fini. Il a écrasé sa cigarette, puis il m’a retournée et il a attaché mes pieds. J’avais la tête dans l’oreiller et avec le bâillon, j’avais du mal à respirer. J’ai voulu tourner la tête pour respirer, mais avec une main il m’a remis le visage contre l’oreiller et il m’a prise par-derrière. Fort. Douloureusement fort. Puis il a mis ses deux mains autour de mon cou. Il a serré. Fort. Douloureusement fort. Je n’arrivais plus à respirer du tout. Je n’avais aucun moyen de lui faire savoir. Pas de double tapes, pas de safeword, rien. J’ai perdu connaissance, il ne s’en est pas aperçu. Je suis morte asphyxiée. »

En prononçant ces derniers mots, Amélie sentit un frisson traverser son échine. Elle était troublée, mais ce n’était rien face à Mévina dont le visage était aussi blême que celui de sa sœur.

« Son nom ? » gémit Mévina dans un souffle.

Amélie se tourna vers Orianne et lui posa la question. Toujours sous la contrainte, Orianne répondit qu’elle ne connaissait pas son vrai nom, il utilisait un pseudonyme et payait toujours en espèce. Mévina s’effondra dans les bras d’Amélie et éclata en sanglots. Amélie releva les bras, elle détestait les contacts physiques, cet épanchement l’avait libérée de toute empathie ! Ne sachant pas trop comment se comporter dans ces moments, elle fit de petites tapes amicales dans le dos de Mévina, ponctuées de « Là ! Là ! » maladroits. Lorsqu’elle se redressa, Amélie constata avec dégoût qu’elle avait trempé son jean de larmes… et de bave. Beurk ! Elle se pencha sur sa table de chevet pour attraper un mouchoir que Mévina lui prit pour se moucher. Amélie serra les dents et se saisit d’un autre mouchoir pour essuyer le trop-plein d’émotion que sa camarade avait laissé sur son jean. Elle constata bien vite que c’était trop tard, son jean avait tout absorbé et était désormais désagréablement humide. Combien on parie qu’elle ne va pas s’excuser d’avoir trempé mon pantalon ?! songea-t-elle pour elle-même, mais Denise se saisit de cette question pour intervenir.

« Elle ne s’excusera pas et elle n’a pas à le faire ! »

Amélie sursauta presque, surprise par le ton offusqué de Denise.

« Je te demande pardon ? Je lui rends service, je prends un risque important en m’exposant ainsi et elle ? Elle me couvre de ses fluides écœurants, mais je ne dois pas m’offusquer ?

- Non ! Cette pauvre fille a perdu sa sœur il y a peu et elle vient tout juste de revivre ce traumatisme avec tous les détails ! Je sais que tu n’es pas philanthrope…

- Oh non !

- …Mais fais un effort ! Montre un peu de compassion !

- Non. Elle n’a jamais montré le moindre intérêt, la moindre compassion pour moi avant d’avoir besoin de moi. Elle s’est servie de moi et je me servirai d’elle en temps voulu. Nous ne sommes pas amies, je ne lui dois rien.

- Tu as…

- SILENCE ! Cela suffit ! Toi et ma mère m’avez causé assez de souci pour aujourd’hui ! »

Amélie ressentait la rage et la frustration de Denise et de sa mère, mais ces dernières culpabilisaient encore suffisamment pour le malaise engendré dans l’après-midi pour s’abstenir d’intervenir davantage.

Alors que Mévina se mouchait bruyamment entre deux hoquets, le corps parcouru de spasmes, Amélie se sentait perplexe. D’un côté, elle s’était souvent demandé si elle était capable de s’attacher, d’aimer une personne au point d’en souffrir la perte, mais d’un autre côté, elle pensa froidement que d’être seule lui évitait bien des tracas et des souffrances.

Amélie se tourna vers Orianne, cette dernière était toujours sous son contrôle et n’arborait aucune expression, attendant ces ordres. Qu’allait-elle faire d’elle ? Son aura était si sombre, elle ne tarderait pas à devenir un esprit noir. La consommer ? Non, elle en savait trop sur elle, cela la gênait, étrangement. Mévina la sortit de ses réflexions.

« Est-ce qu’elle est toujours là ?

- Oui, pourquoi ? Tu as autre chose à lui demander ?

- Si ça ne te dérange pas… ? »

Mévina semblait sincèrement gênée.

« Je dois admettre que je suis fatiguée, mais si tu as des questions c’est maintenant ou jamais. » Amélie marqua une pause. Mévina n’était pas son amie, mais elle n’avait jamais eu de comportement hostile envers elle non plus et, chose étonnante même pour elle, elle avait envie d’être honnête avec elle, bien que cela induise quelques révélations sur le monde des morts. Aussi, elle rendit une partie du libre arbitre à Orianne qui retrouva sa liberté d’expression, son corps, lui, restant figé.

« Espèce de garce ! Comment as-tu osé me faire ça ? Elle n’avait pas besoin de savoir tout ça ! Je vais te le faire payer ! »

Amélie lui jeta un regard condescendant. Ignorant le flot d’insultes, toutes plus créatives les unes que les autres, que lui adressait l’esprit d’Orianne, Amélie retourna son attention sur Mévina et la coupa avant qu’elle ne prenne la parole.

« Choisis bien tes questions. Quand je te dis que c’est maintenant ou jamais, je te le dis non seulement parce que je n’ai pas forcément envie de recommencer tout ça tous les deux jours… Mais aussi et surtout, car l’esprit de ta sœur est instable, fragile. »

À ces mots, Amélie reçut la pleine attention des deux sœurs.

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