Chapitre 10

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Elles arrivèrent rapidement au domicile d’Amélie. Sergei était déjà rentré, Amélie l’entendait parler au téléphone dans la cuisine, elle alla le rejoindre, suivie de près par sa camarade. Alors qu’il vit sa fille arriver, il abaissa son téléphone, ses yeux s’écarquillèrent quand ils se posèrent sur Mévina.

« Salut papa ! J’ai… heu… J’ai oublié de demander hier soir, désolée… Mais avec Mévina, on a un devoir à rendre demain, ça ne dérange pas si on travaille dans ma chambre ?

- Non ! Pas du tout ma puce ! » Il affichait un sourire ravi, c’était la première fois qu’Amélie ramenait « une amie » à la maison, sa femme et lui désespéraient de voir leur fille toujours seule. « Enchanté Mévina, tu veux rester diner ce soir ?

L’intéressée se mit à rougir, pas préparée à cette rencontre ni à cette familiarité si soudaine. Elle tourna les yeux vers Amélie, en quête d’un indice sur la réponse à donner, mais cette dernière avait le même regard interrogateur. Le malaise l’emporta.

« Enchanté monsieur… Non, c’est gentil, j’ai dit à mes parents que je ne rentrerai pas trop tard.

- Comme tu veux. Je vous laisse travailler tranquille ! »

Tandis qu’il se tournait et reprenait son téléphone en s’excusant, Amélie attrapa un paquet de gâteau dans un placard et prit la direction de sa chambre. Alors qu’elle refermait la porte derrière elles, Mévina se mit à scruter la pièce, déconcertée par la décoration très minimaliste et visiblement peu personnelle : un cadre avec une photo de famille où Amélie semblait âgée d’à peine 10ans, le regard terne, le sourire vide ; sur un autre mur, une peinture, jaunie par le temps représentant des chatons et des pelotes de laine et… un crucifix en bois, fixé à côté de la fenêtre accrocha son regard.

« Je ne savais pas que tu étais chrétienne ? » Demanda Mévina, le ton enjoué, ravie de découvrir un point commun avec cette fille étrange.

- Je ne le suis pas. Ce sont mes parents qui l’ont accroché.

- Ah… »

Amélie avait fait une croix sur toutes les religions, elle se rappela avec amertume l’inutilité du crucifix alors qu’elle le brandissait devant les esprits et qu’elle ne maîtrisait rien.

« Tu as amené ce que je t’avais demandé ?

- Oui ! Tiens ! »

Elle ouvrit son sac en hâte et sortit une petite pochette. Amélie s’en saisit, à l’intérieur elle trouva une photo, un bracelet et une bouloche de cheveux rouge.

« Tu es sûre que ce sont les siens ?

- Oui, je les ai pris sur sa brosse, il n’y a qu’elle qui avait les cheveux teints à la maison. »

Amélie acquiesça d’un signe de tête. Dans son don, il y avait une grande part d’instinctif dont elle était incapable d’expliquer comment et pourquoi elle savait qu’il fallait agir de telle façon selon les circonstances ; il en était ainsi du pouvoir du sang, elle savait qu’un grand pouvoir résidait dans son sang et que le verser en offrande lui permettait de réaliser de nombreuses choses, mais personne ne lui avait expliqué cela, sa mère lui avait même déconseillé d’en faire usage, la magie du sang étant un tabou chez les sorcières. Par la suite, avec la rencontre de Denise, elle avait découvert et acquis d’autres compétences, d’autres savoirs. À cet instant, elle n’était sûre de rien quant à la procédure à suivre. Elle avait demandé une photo pour avoir une image, un visage sur lequel se concentrer, quant aux cheveux ou au bracelet, ils avaient été en contact avec la personne, partagé une intimité ou fait partie d’elle. Amélie regarda la photo avec attention, elles se ressemblaient beaucoup, exceptée cette teinture fantaisiste, elles partageaient les mêmes traits de visage.

« Comment s’appelait-elle ?

- Orianne. »

Amélie s’empara d’une trousse de couture dans un tiroir et s’assit en tailleur sur son lit, elle fit signe à Mévina de faire de même.

« Tu n’as pas besoin d’obscurité pour faire ça ?

- Non.

- Ni de bougie ?

- Non.

- Ni de faire de dessin ?

- Non.

- Ni de sel ?

- Non !

- Ni de Ouija ?

- Non ! Stop, plus de questions ! Oublie ce que tu as lu ou vu ! Pas besoin de tous ces accessoires de charlatan, tout ce dont on a besoin on l’a déjà.

- Je ne risque pas d’être possédée par un mauvais esprit ? »

Agacée, Amélie se tapa le front du plat de la main.

« Elle n’a pas complètement tort d’avoir peur, si je peux me permettre, Amélie. Inutile de perdre de l’énergie à détruire un esprit si cela arrivait, il suffit que tu la marques pour la protéger… »

« Ok, ok ! C’est bon, j’ai compris. » Répondit-elle à voix haute pour Denise, puis elle tourna son regard sur Mévina. « Tu seras rassurée si je te donne une protection ?

- Heu… Oui… Désolée de t’embêter…

- Pas de souci. Mais ne pose plus de question. » Mévina hocha vivement la tête.

Amélie prit la petite trousse de couture et l’ouvrit, révélant des lames de rasoir et plusieurs longues et épaisses aiguilles. Mévina écarquilla les yeux, craintive, son cœur se mit à battre plus fort.

« Qu’est-ce que…

- Chut ! J’ai dit plus de question ! »

Amélie prit une lame neuve et fit une entaille sur son pouce, elle se pencha sur Mévina et barra son front albâtre d’un trait écarlate. Rien ne sort, rien ne rentre. Intima-t-elle au sang. Elle ne put en revanche réprimer un ricanement en voyant la moue de dégoût de Mévina.

« C’est toi qui l’as demandé ! »

Mévina continua à faire la moue, mais ne dit mot. Amélie décida de l’informer un minimum de ses intentions.

« On va d’abord essayer la méthode douce. » Mévina hocha la tête, bien qu’elle n’ait aucune idée de ce que cela pouvait signifier.

Amélie prit la photo d’une main, de l’autre la boule de cheveux, dont elle imprégna son sang. Une fois le visage d’Orianne retenue, elle ferma les yeux, laissant son esprit l’appeler telle une onde, un écho… Orianne… Elle sentit son esprit traverser des esprits, mais ils ne répondirent pas… Elle se concentra davantage et renouvela son appel avec plus de force. Elle crut sentir vaguement quelque chose, mais rien ni personne ne répondit. La troisième fois sera la bonne ? Elle renouvela l’appel. Les minutes s’écoulèrent, mais rien. Elle rouvrit les yeux et découvrit que trois esprits s’étaient présentés, mais Orianne n’en faisait pas partie. Il s’agissait de l’esprit de deux vieilles femmes et un esprit noir, ce dernier ne s’intéressait pas à Amélie, mais tournait autour de Mévina, l’entourant d’un voile obscur, cherchant une faille pour la toucher, la posséder. Amélie déglutit, et songea qu’elle avait été sage d’écouter Denise.

« ça y est ? Elle est là ? demanda timidement Mévina.

- Non. Ne bouge pas. »

Il lui fallait se débarrasser de ces gêneurs, sans quoi Orianne risquait de ne pas venir.

« Mademoiselle, j’ai entendu votre appel ! Je sais bien que ce n’est pas moi que vous attendiez, mais si vous pouviez m’aidez, je…

« Pardon de vous déranger jeune fille, mais malgré… »

« Taisez-vous. Partez ou je vous détruis ! Je n’ai pas de temps à perdre avec vos remords, il fallait y penser avant de caner ! »

Les deux esprits s’offusquèrent et leur apparence devint plus opaque, plus sombre, l’air ambiant devint plus froid. Bon… Il va falloir leur montrer ce qui les attend… Elle se tourna vers Mévina qui la dévisageait, inquiète.

« Fais-moi confiance, ne bouge pas. » Lui intima-t-elle calmement.

Amélie tendit sa main droite devant elle, paume en avant, face à Mévina et à l’esprit noir qui l’entourait et n’avait rien remarqué. Cela faisait un moment qu’Amélie n’avait pas détruit d’esprit noir (elle avait renoncé à s’en nourrir, ils ne lui apportaient que très peu d’énergie et ils lui laissaient un sentiment oppressant de mal-être pendant plusieurs jours), elle se demanda si elle était toujours capable de le faire. Elle fit abstraction de ce qui l’entourait, ne se concentrant que sur le voile sombre face à elle, elle fit le vide, ne préservant que son désir de destruction. Avant même de s’en rendre compte, elle sentit comme un courant d’air la traverser avant de faire imploser l’esprit noir en face d’elle, faisant sursauter Mévina dont les cheveux s’ébouriffèrent légèrement, comme électrique.

« Qu’est-ce qui s’est passée ? » La voix aiguë, Mévina entoura son corps de ses bras, elle était réellement apeurée.

- Fais moins de bruit, mon père n’est pas sourd ! Détends-toi, j’ai juste détruit un esprit noir qui rôdait… »

À force d’observation, Amélie avait compris que les esprits ne peuvent se voir entre eux à moins d’avoir eu un lien fort de leur vivant. En revanche, ils ressentaient la présence des uns et des autres, de même ils pouvaient ressentir la destruction d’un esprit. Elle jeta un œil aux deux autres esprits qui semblaient avoir compris la menace, car ils s’éloignèrent avant de disparaître. Elle reporta son attention sur sa camarade, curieuse.

« Qu’est-ce que tu as ressenti exactement ?

- L’air s’était déjà rafraîchi pendant que tu fermais les yeux et là, l’air est devenu glacial et j’ai senti un souffle froid, tellement froid…

- Tu n’as pas eu mal ?

- Non, je…

- Alors tout va bien. Pour revenir à ta sœur, elle ne veut pas répondre quand je demande doucement. Alors je te pose la question : est-ce que tu veux vraiment lui parler ? Est-ce que je dois la forcer à venir ? »

Mévina, qui n’avait plus aucun doute sur les dons d’Amélie, commençait tout juste à peser le poids de sa demande. Sa sœur ne répondait pas, devait-elle respecter ce choix ? Cela signifiait-il qu’elle avait trouvé la paix et qu’elle risquait de la déranger ? Ou alors c’était l’inverse et elle était en détresse… Mévina était perdue. Plus que tout elle voulait parler à sa sœur, lui dire adieux, l’aider à trouver la paix si elle errait… Mais avait-elle le droit de la forcer, juste parce qu’elle le voulait ? Elle se sentait terriblement égoïste…

Voyant le tiraillement dans le regard de sa camarade, Amélie s’étira et regarda son réveil, une demi-heure s’était écoulée. Elles avaient encore le temps.

« Je comprends que ce soit une décision importante pour toi. » Dit-elle doucement, elle saisit le paquet de gâteaux qu’elle avait emporté dans sa chambre et l’ouvrit. « Rien ne presse, prends un gâteau, respire un peu et quand tu auras pris une décision, dis-le-moi. Si tu ne te sens pas prête ce soir, on fera ça une autre fois. »

Amélie dévora elle-même quelques gâteaux et s’adossa contre son oreiller. Elle ne savait pas de combien de temps avait besoin Mévina pour faire son choix, elle allait mettre ce temps à profit et voir ce que faisait Mutu. Elle ferma les yeux et se projeta dans son corbeau.

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