Chapitre 7

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En arrivant chez elle, elle fut surprise de voir que ses parents adoptifs étaient déjà rentrés. Chantal était secrétaire médicale dans un cabinet dentiste, habituellement elle ne rentrait pas avant 19h. Quant à Sergei, il était infirmier et avait des horaires particulièrement anarchiques. Les avoir tous les deux à la maison à cette heure était plutôt inhabituel et, elle le pressentait, ne présageait rien de bon. Elle les découvrit tous les deux assis dans la cuisine, la mine sombre.

Amélie n’avait jamais su comment se comporter dans ce genre de moment, même avec eux. Ils l’avaient adoptée alors qu’elle avait déjà presque 7 ans, elle s’était pliée à leurs désirs de les appeler « papa » et « maman », mais elle n’avait jamais ressenti d’affection pour eux, ni même venant d’eux. Ses parents adoptifs avaient toujours répondu à tous ses besoins et assuraient leurs responsabilités de parents. Petite, elle avait cherché leur fierté, leur approbation, leur amour… en vain. Aujourd’hui, sachant qui elle était et ce qu’elle était, elle se demandait parfois si c’était à cause de cela qu’ils ne l’avaient jamais vraiment aimé, comme un parent aime son enfant. Elle s’était par ailleurs demandé qui elle serait devenue, si elle avait été vraiment aimée par quelqu’un, ou même si elle avait été élevée par sa vraie mère… La découverte de ses dons avait été une véritable révélation pour elle, mais cela l’avait également plongée dans une profonde tristesse à l’époque, il ne faisait nul doute que si elle n’avait pas su transformer cette tristesse en rage et en désir de vengeance, elle se serait laissée dépérir. Face à leurs mines sombres et au silence pesant régnant dans la petite cuisine, elle commença à se retourner, faisant l’impasse sur son envie de grignoter, pour se diriger vers sa chambre.

« Amélie, viens un instant, s’il te plait. » Demanda doucement Chantal. Elle s’exécuta à contrecœur et prit place autour de la table de la cuisine.

« Quel est le problème ? » Demanda-t-elle d’une voix qui se voulait inquiète. Autant en terminer le plus vite possible.

« Tu sais que ton père a récemment passé des examens de santé, notamment une biopsie. » Amélie hocha respectueusement la tête, mais en réalité il y avait maintenant un moment qu’elle ne prêtait plus attention à ses parents. Son attitude sembla satisfaire sa mère qui lui adressa un sourire timide. « Il s’avère qu’il s’agit bien d’un cancer… » Sa voix déraillant, elle ne put terminer sa phrase.

Sergei, qui se tenait droit et fier, lui serra la main sur la table. Ses apparences ne trompèrent pas Amélie qui lisait la terreur dans son regard et c’était bien compréhensible ; étant infirmier, il devait avoir une bonne idée de ce qui l’attendait. Il poursuivit les propos de sa femme en regardant Amélie dans les yeux.

« Je vais devoir être opéré pour enlever la tumeur et je vais devoir faire une peu de chimiothérapie. L’opération n’a rien d’inhabituel, les chirurgiens ont l’habitude de la faire régulièrement. »

À ces mots, Chantal hoqueta un sanglot. Amélie s’évertua à paraître inquiète, car c’est ce qu’ils semblaient attendre, mais elle n’avait aucune idée de ce dont il parlait. Elle était néanmoins un peu curieuse de savoir pourquoi quelque chose comme un cancer aussi banal pouvait autant les inquiéter. Sergei détourna son regard, ses parents parvenaient à la regarder dans les yeux plus longtemps que la moyenne, mais comme tout le monde, il ne supportait pas son regard, cela depuis toujours. Il embrassa délicatement le front de sa femme avant de reprendre la parole.

« Bref, je vais être opéré la semaine prochaine et si tout se passe bien, je rentre une semaine après. »

Amélie perçut une faille dans la conversation et s’y engouffra pour s’échapper. Elle prit son air le plus triste et se leva pour brièvement serrer son père dans les bras.

« Je suis sûre que tout ira bien ! » murmura-t-elle d’un ton qui se voulait compatissant. Elle quitta rapidement la pièce en tâchant de ne pas montrer son visage, comme pour masquer des larmes.

Une fois dans sa chambre elle poussa un long soupir. Tous ces comportements protocolaires la fatiguaient, elle ne les comprenait pas vraiment, en revanche elle avait vite compris que s’y plier un minimum lui permettait d’avoir sa tranquillité.

« Tu pourrais te montrer un peu plus reconnaissante et plus compatissante. Ces gens ont fait de leur mieux pour toi ! »

Le problème était surtout celui-là. Si sa mère et Denise tâchaient de rester le plus silencieuses possible pour lui assurer de garder raison ; elles ne pouvaient parfois s’empêcher de commenter, critiquer ses actions, surtout sa mère, comme si cette dernière essayait de jouer son rôle malgré son trépas. Et malheureusement pour Amélie, elle n’avait nulle part pour se cacher de cette mère-là, en permanence à ses côtés, à connaitre ses vraies pensées. Amélie voulut l’ignorer, mais elle lui répondit finalement intérieurement.

« Libre à toi de leur être reconnaissante d’avoir élevé ta fille, mais tu n’es pas sans savoir qu’élever un enfant ne se résume pas à le nourrir, l’habiller et lui apprendre à compter… Ils m’ont adopté par dépit pour jouer au papa et à la maman, je suis la seule qui leur a été possible d’adopter après des années de demandes. Ils ne m’ont jamais aimé, je ne peux leur rendre ce qu’ils ne m’ont pas donné. Je les respecte et ne causerai pas directement leur trépas, c’est déjà bien. »

Sa mère n’approuva pas, mais sembla comprendre, car elle n’insista pas.

La jeune fille ouvrit son sac à dos et sortit son agenda, en attendant que Mutu accomplisse sa mission, elle avait son rôle d’élève modèle à tenir. Elle résolut le devoir de mathématique en une heure, avant de se pencher sur son devoir d’histoire, il lui fallait faire une dissertation sur un personnage historique important dont les actions avaient eu des conséquences sur l’ère contemporaine. Après un long quart d’heure de réflexions, elle décida de faire son devoir sur la comtesse Élisabeth Bathory et son influence indéniable sur Bram Stocker qui influença lui-même grandement la littérature de sa génération et des suivantes. Elle entendit plusieurs fois Denise glousser tandis qu’elle rédigeait son devoir, Amélie prit cela comme des encouragements.

« Un peu plus et tu pourrais la faire passer pour une féministe victime de son époque » murmura-t-elle.

Amélie pouffa en se relisant, Denise n’avait pas tort, restait à savoir si son professeur allait être convaincu.

Ses devoirs faits, elle ferma les yeux et chercha son corbeau. Ce dernier survolait toujours l’autoroute, mais la grande métropole se dessinait déjà à l’horizon, bientôt elle verrait Mutu dans Paris. Elle était folle d’impatience !

Voler par l’intermédiaire de ses corbeaux avait quelque chose de terriblement grisant et de frustrant en même temps : elle profitait de la vue magnifique depuis les cieux, pouvait entendre le vent siffler à ses oreilles, mais le reste de ses sens restaient bêtement enfermés dans son corps à elle ; elle pouvait survoler la mer, mais son odorat et son toucher restait celui de l’endroit où elle se trouvait.

Elle resta néanmoins un moment dans la tête de son corbeau qui volait lentement mais sûrement jusqu’à Paris où les lumières s’allumaient petit à petit, tandis que le soleil se couchait derrière lui, camouflé par d’épais nuages gris. Elle s’allongea doucement dans son lit, savourant cette fausse sensation de vol, de liberté.

Durant le repas du soir, ses parents restèrent plutôt silencieux. Alors que sa mère commençait à débarrasser, elle se tourna vers elle, la voix incertaine.

« On va au cinéma avec ton père ce soir… Tu veux venir avec nous ? »

Encore une question de protocole. Amélie voyait pertinemment dans le regard de Chantal que celle-ci ne voulait pas d’elle, qu’ils voulaient une soirée pour eux, ce qu’elle était capable de comprendre, alors pourquoi prétendre le contraire ? Lasse, elle joua le jeu et répondit ce qu’elle attendait certainement :

« Non, merci c’est gentil. J’ai école demain.

- Comme tu veux ! »

Amélie s’empressa de débarrasser la table avant de retourner dans la chambre où elle patienta, dans l'attente de leur départ. Elle laissa alors Denise prendre possession de son corps. Une grande complicité et un profond respect liaient les deux jeunes femmes, toutes deux victimes de la stupidité de l’humanité. Amélie n’avait aucun problème à laisser la jeune sorcière profiter de son corps pour renouer avec les plaisirs de la vie, qu’il s’agisse de se doucher ou d’apprécier une soirée film pop-corn, comme elle s’apprêtait à le faire.

Finalement, les parents d’Amélie rentrèrent tard, Denise avait fini ses popcorns et s’était endormie devant une rediffusion de « N’oublie jamais », la larme à l’œil.

La nuit fut aussi tourmentée que la précédente, les trois esprits revivant en boucle tantôt la mort de Denise sur le bûcher, tantôt celle d’Hélène, étouffée alors qu’elle accouchait.

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