Chapitre 1

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« Viens, ce n’est plus très loin ! »

D'un pas incertain, il reprit la marche. Cette fille était vraiment canon, mais il y avait quelque chose d’étrange à s’enfoncer toujours plus loin dans cette forêt lugubre. L’automne avait déjà soufflé toutes les feuilles des arbres et dérobé une grande partie de la lumière du jour. Il serait bientôt six heures de l’après-midi, le soleil avait déjà largement amorcé son coucher, nimbant l’horizon d’un orange flamboyant.

Elias s’arrêta de nouveau, fit mine de regarder sa montre.

« Ecoute Amélie, je t’aime bien, mais il commence vraiment à se faire tard, on n’a pas de lampe, je n’ai pas envie de galérer pour retrouver le chemin du retour. »

La jeune fille soupira d’exaspération et se tourna vers lui. La lumière du soleil filtrait à travers sa chevelure, donnant l’illusion que celle-ci flamboyait autour de son visage angélique, accentuant sa pâleur. Seuls ses yeux ressortaient réellement, si sombres et pourtant si pétillants. Ses lèvres faisaient la moue, mais son regard brillait de malice.

« Je ne te savais pas poule mouillée…

- Je ne suis pas une poule mouillée !

- Alors, suis-moi ! Tu verras, c’est grandiose ! » Elle se rapprocha de lui d’un pas langoureux, fit serpenter sa main sur son torse avant de murmurer doucement à son oreille « Et je ferai en sorte de rendre la chose agréable pour toi… »

Elias est un homme. Les hommes sont faibles. Elias est faible. Elias reprit sa course après la jeune fille rousse qui avait accéléré le pas au cas où son prétendant changerait à nouveau d’avis.

Alors que le soleil laissait lentement place à la lune et aux constellations, Amélie s’arrêta brusquement. Le jeune homme s’appuya à un arbre pour reprendre son souffle. Ses yeux balayèrent la zone. Il passa de la perplexité à l’inquiétude.

« Qu’est-ce que c’est que cet endroit… »

Il s’agissait d’une petite clairière, un espace vide au coeur de la forêt, dépourvu de la moindre trace de végétation. Il remarqua que les arbres alentour n’étaient pas seulement nus en raison de l’automne avancé, ils étaient morts. Voyant la moisissure qui couvrait l’arbre sur lequel il s’était appuyé, il retira vivement sa main et l’essuya machinalement sur son jean. Il remarqua un gros sac de sport noir au pied d’un arbuste.

« C’est excitant comme endroit, tu ne trouves pas ? » minauda la jeune femme.

Elias lui lança un regard abasourdi, elle ne le releva pas. Elle défit ses chaussures et ôta son manteau. Il remarqua alors qu’il faisait effectivement étrangement chaud à cet endroit de la forêt. Il y avait quelque chose de malsain dans la moiteur de l’air.

« Je dois t’avouer que j’apprécie vraiment ta confiance. Tu n’es pas comme tous ces gens qui se méfient de moi… Même si tu n’es là que rarement, je suppose que tu en as entendu parler… ? » Elias hocha brièvement la tête. Elle lui adressa un sourire triste. « Tu aurais dû les écouter. Désolée. »

Elias sentit son cœur faire un faux bon. Il la dévisagea un instant, puis feignit de rire.

« OK, je suppose que c’est une forme de bizutage dans votre bled, c’est ça ? Faire peur au petit Parigot ?! OK, c’est bien joué, j’y ai cru un instant ! C’est pas super sympa, mais je le prends avec fairplay ! Allez, maintenant rentrons, cet endroit est glauque et il commence à faire sombre… »

Elias fit mine de se tourner, mais il manqua de perdre son équilibre ; ses jambes ne répondaient plus, d’énormes racines s’étaient enroulées autour de ses pieds, les immobilisant. Il se redressa, le cœur battant de plus en plus fort, en proie à une angoisse grandissante. Tant bien que mal, il s'efforça de n'en rien montrer. Amélie s’approcha de lui.

« Tu as le droit de paniquer. Tu peux même crier si tu veux, nous sommes seuls. Pour l’instant. » Sa voix était calme avec comme une note de triomphe après un dur labeur. Elle enleva ses gants, révélant de longues et nombreuses cicatrices dans sa main gauche. « Je dois me préparer, mais nous avons un peu de temps, alors je vais te raconter une histoire, mon histoire. Après tout, je t’ai promis de rendre la chose agréable, non ? Peut-être même que tu seras compatissant envers moi ?

- Heu… le prends pas mal, mais là : je m’en tape ! Je veux juste rentrer chez moi ! Donc, aide-moi à virer ces racines et tirons-nous d’ici !

- Des racines ? Ah ! Oui, il fait sombre… Disons que ce sont des racines oui… Et non, je ne les enlèverai pas. Tu restes là, avec moi. »

Elias tenta un mouvement rapide pour l’attraper par les cheveux et la contraindre à l’aider. Elle esquiva avec grâce, mais son visage se renfrogna.

« Ce n’est pas sympa ça ! Je te croyais gentil, civilisé ! Mais tu ne vaux pas mieux que les autres ! »

Sans savoir pourquoi, Elias sentit son sang se glacer. Il comprit instinctivement qu’il fallait rattraper le coup ou il risquait de payer cher son imprudence.

« Pardon ! Pardon ! J’ai paniqué, je suis un peu claustrophobe et sentir mes pieds enfermés ainsi me fait me sentir mal ! »

Elle le jaugea du regard.

« Umh. Je te pardonne parce que je suis de bonne humeur. Bon ! Tu veux entendre mon histoire ou pas ?

- Oui, bien sûr. »

Sa réponse était faussement enjouée, mais cela sembla contenter la jeune femme. Elle jeta un œil à sa montre, soupira et leva les yeux au ciel. Les dernières lueurs du crépuscule caressèrent doucement son visage.

« Comme tu le sais peut-être, je suis adoptée. Mon père a quitté ma mère quand elle était enceinte de moi et elle est décédée en me mettant au monde. »

Elle s’arrêta, les yeux sur lui. Il comprit qu’il devait participer à son histoire. Il décida de répondre à ces attentes. Pour l’instant. À la moindre opportunité, il l’attraperait et la mettrait hors d’état de nuire.

« Oh… je suis désolé, cela a dû être difficile !

Amélie sembla satisfaite de sa réponse.

- Oui, difficile… Grandir en passant de famille d’accueil en famille d’accueil, sans savoir qui je suis vraiment. Bien sûr, je posais des questions, mais personne n’avait de réponse sur mon père et encore moins sur ma mère. Pire, alors que je grandissais, les adultes me regardaient avec méfiance. Puis un jour, j’ai vu une ombre.

- Une ombre ?

Cette fois la curiosité était réelle dans la voix du jeune homme.

- Un mort. » Elle lut l’incompréhension dans le regard d’Elias. « Un fantôme si tu préfères. Je longeais un cimetière pour rentrer chez moi. Mais ce qui m’a le plus intriguée alors, c’est que lui aussi m’a vue.

Un frisson parcourut l’échine d’Elias.

- Qu’as-tu fait ?

- Qu’aurais-tu fait à ma place ? Je me suis enfuie en courant, j’ai nié, j’ai fait semblant de ne pas voir. Mais ces ombres se sont multipliées autour de moi : dans la rue, à l’école, chez moi… dans ma chambre. Jusqu’au jour où l’une d’elles m’a touchée. J’ai alors été capable de les entendre. »

Elias se sentait partagé à l’écoute de tout ce baratin : ces lieux, la nuit, ces étranges racines… Tout cela était digne d'un film d’horreur, mais il était une personne sensée, le monde n’avait rien de magique, il n’y avait rien après la mort... n’est-ce pas ? Il continua de marcher dans le jeu de cette folle de provinciale.

« Et qu’est-ce que cet esprit t’a dit ?

- Il s’agissait de ma mère. Elle m’a raconté tout ce que je désespérais de savoir et plus encore. Elle m’a appris qu’elle n’était pas morte en me donnant naissance. Pas exactement. L’une des sages-femmes qui l’aidaient au travail avait profité de son état de faiblesse pour l’étouffer, ma mère est morte de suffocation alors que j’étais toujours liée à elle. Ce qui m’a sauvée c’est l’excès de zèle de la seconde sage-femme qui a coupé le cordon et m’a fait respirer. »

Elias sentit sa gorge se serrer.

« Pour simplifier, ma mère était une sorcière. Or, la ville où je suis née a une longue histoire de chasse à la sorcière, les gens d’ici ne sont d’ailleurs pas si différents, ils ont comme un sixième sens pour les détecter. Ma mère l’ignorait et en a fait les frais. »

Amélie marqua une pause et leva les yeux vers la lune pour juger de son ascension. Elias surprit une larme au coin de ses yeux. Elle l’essuya machinalement de son index. Elle semblait réellement croire les choses qu’elle racontait. Elias, lui, était perplexe. Était-ce une farce des jeunes du coin ? Des préliminaires de provinciaux ? L’un comme l’autre étaient de mauvais goûts ! Mais… Et si tout ceci était vrai ? En songeant à cette ridicule éventualité (ridicule oui ! La sorcellerie n’existe pas, hein ?!), il ne pouvait s’empêcher de sentir une peur viscérale, animale même, le saisir. En effet, quel rôle avait-il à jouer dans cette histoire ?

« Et toi ? T’en es une ? Ils le savent ? »

Sa voix tremblait bien plus qu’il ne l’aurait voulu. C’est le froid. Essaya-t-il de se convaincre, mais difficile de se mentir à soi-même, surtout quand il fait plutôt chaud. Elle plongea son regard dans le sien, du moins le crut-il, la nuit étant tombée, il distinguait mal ses traits dans l’obscurité.

« A ton avis ? »

Son sang se glaça. Il lui sembla que toute chaleur avait quitté son corps. Elle reprit la parole d’une voix douce.

« Je vais te donner un indice. »

Il vit sa silhouette s’éloigner dans l’obscurité. Il entendit un bruit de fermeture éclair, elle semblait fouiller dans le sac qu’il avait vu en arrivant, puis il l’entendit se déplacer lentement, avant de revenir face à lui. Elle claqua des doigts et il la vit apparaître devant lui, une bougie dans la main gauche.

Il lui fallut quelques secondes pour s’accoutumer à cette nouvelle source de lumière, mais une fois habitué, il la dévisagea. Elle était réellement belle. Il y avait même quelque chose d’effrayant dans sa beauté froide. Elle lui sourit et claqua de nouveau des doigts : une dizaine de bougies s’allumèrent autour d’eux. Il songea qu’il n’y avait rien de magique là-dedans, il avait lu un truc, quelque part, sûrement sur internet qu’avec des produits chimiques… Le fil de sa pensée se figea quand il réalisa que les bougies flottaient au-dessus du sol. Elle claqua une fois de plus des doigts et plusieurs corbeaux vinrent se poser derrière elle. À la lumière des bougies, il vit que l’un d’entre eux était à moitié putréfié : un œil lui manquait et sa cage thoracique était ouverte, laissant voir ce qui lui restait d’entrailles.

À présent, il avait peur.

« Qu’est-ce que tu comptes faire ? demanda-t-il en essayant de camoufler sa frayeur.

Toujours parée de son terrible sourire, elle secoua doucement la tête.

- Pas la bonne question. Tu connais la bonne question. Pose-là. »

La peur se mua doucement en terreur dans le cœur du jeune homme. Contre son gré, des larmes se mirent à couler sur ses joues, trahissant ses émotions. Il sentit sa vessie le presser, mais il serra les dents, quoi qu’il arrive, il resterait digne. D’une voix faible, tremblante, il posa la question qu’elle voulait entendre et dont il craignait la réponse.

« Qu’est-ce que tu comptes faire de moi ? »

Le sourire de la jeune fille s’agrandit, dévoilant ses dents blanches, parfaitement alignées. Elle exultait, ravie de le voir participer à son plan.

« Oui ! Bravo ! » Elle lui donna une franche accolade. « Quand je t’ai vu à cette fête foraine, je savais que je pourrais compter sur toi ! Tu es juste parfait pour ce rôle ! »

Elle prit une inspiration, lâcha la bougie qui se contenta de flotter dans l’air, et recula pour se saisir de l’un des corbeaux. Elias ne put s’empêcher de remarquer qu’il s’agissait de celui qui était putréfié. Elle le caressait avec affection. A présent qu’il le voyait de près, il pouvait constater à quel point la putréfaction était avancée, sans parler de l’odeur.

« Comme ma mère, je suis une sorcière, mais le don s’est développé de façon particulièrement intéressante chez moi. En effet, ce n’est pas pour rien que je peux voir les morts. Je peux aussi les contrôler, les faire venir à moi, les bannir d’un endroit, les détruire. Et je peux ramener à la vie ce qui est décédé. Je te présente Kévin, mon premier familier. Comme tu peux le voir, je maîtrisais mal la décomposition au début. Mais à force d’entraînement, je me suis beaucoup améliorée ! »

Ça sent mauvais, ça sent vraiment mauvais ! paniquait Elias, et par là, il ne pensait pas qu’à l’odeur infecte du volatile.

« Toi ! »

Il sursauta.

« Tu vas m’aider. »

Je ne comprends pas ?! songeait-il, paniqué.

« Tu vas me permettre de devenir plus puissante »

Comment ?

« En invoquant un ancien démon ! »

Hein ?!

« Tu seras mon sacrifice. »

Et merde !

Elias sentit le sang quitter ses pieds, ses mains, tandis que son cœur battait la chamade. Sa vision s’assombrit, pourtant les bougies étaient toujours allumées ? Amélie le gifla, le ramenant brutalement à la réalité. Il sentit une sorte de flux étrange et froid traverser son corps, rétablissant sa circulation veineuse. Amélie semblait légèrement contrariée.

« Ce n’est pas le moment de me décevoir ! Tiens bon encore un peu ! Laisse-moi finir mes explications et après tu t’évanouiras, ce n’est pas grave si tu n’es pas conscient pendant le processus… Mais bon… ce serait dommage de manquer ça ! »

Elias hocha mollement la tête pour donner le change. Il ne savait pas quel sort elle lui avait lancé, mais cela avait eu le mérite de le sortir de la torpeur dans laquelle il s’était enlisé. Le plus calmement et le plus discrètement possible il étudia les alentours. Ses heures (minutes ?) étaient comptées, il lui fallait absolument partir d’ici. La bougie ! Celle qu’Amélie avait tenue dans sa main flottait toujours à la même hauteur, non loin de lui, il pourrait l’atteindre en se penchant légèrement. Il allait guetter le bon moment. Il fallait qu’il continue de feindre la faiblesse, attendre qu’elle se rapproche pour l’attraper et mettre feu à sa chevelure ! Oui, c’était un bon plan ! Ensuite, il improviserait. Il profita qu’elle lui tourna le dos pour vérifier que ses mains, ses bras, que tous ses muscles répondaient. Bien. Approche maintenant, sorcière !

Amélie s’était placée au milieu des bougies, au centre de la clairière. Elle lui fit face. Elle ne souriait plus, son visage était sombre. Alors qu’elle reprenait calmement la parole, Elias eut l’impression que la lumière des bougies s’atténuait.

« Il y a longtemps, environ 700 ans, Mutu, démon de la maladie et de la mort, a répandu la peste en Europe, réduisant de moitié la population humaine, faisant des millions de morts. Les sorciers sont naturellement mieux immunisés contre les maladies, pourtant beaucoup d’entre eux périrent aussi. Ceux qui restèrent se réunirent ici et ils parvinrent à créer une forme carnée pour le démon, ils emprisonnèrent son éther dans cette carnation et ils la précipitèrent vivante dans un caveau de pierre qu’ils scellèrent et enterrèrent. Juste ici. »

« L’ironie dans tout ça fut qu’un grand nombre des sorciers ayant participé à ce rituel furent brûlés vifs sur le bûcher pour sorcellerie et pour demander à Dieu de purifier la terre de la peste… »

Elias transpirait de peur. Il fallait que cette folie s’arrête au plus vite ! Une fois de retour à Paris, il ferait une croix définitive sur les voyages en province. Et sur les rousses.

Amélie enleva ce qui lui restait de vêtements et se rapprocha lentement de lui, ses mouvements étaient empreints de sensualité, telle une lionne s’approchant doucement de sa proie. Ses yeux sombres pétillaient d’excitation, ses lèvres affichaient un léger sourire. Malgré sa terreur, Elias ne put s’empêcher de la trouver désirable.

Ce désir fut la cause de sa perte.

Envouté par le regard de la sorcière, il se défit de son manteau sans le réaliser et le jeta négligemment un peu plus loin. Il n’avait d’yeux que pour elle. Il ne vit pas le couteau glisser au sol, longer sa jambe pour venir se loger dans sa main droite. Il ne la vit pas non plus s’entailler la main gauche. Elle était à présent tout près de lui. Sans le quitter des yeux, elle l’embrassa langoureusement, tout en étalant son sang sur le front de sa victime. Alors qu’elle sentait sa proie répondre à ses baisers, elle cligna lentement des yeux, rompant volontairement le charme.

Retrouvant ses esprits, Elias réalisa que c’était maintenant ou jamais pour agir ! Tant pis pour la bougie, il lui fallait improviser ! Il leva les mains et parvint à saisir son cou, il commença à serrer : elle ne se débattait pas ! Elle semblait même vouloir l’enlacer ! C’est du moins ce qu’il crut jusqu’à ce qu’il sente une lame se planter dans sa jugulaire, lui arrachant un hoquet de surprise. Elle ôta la lame aussi vite qu’elle l’avait plantée, jeta le couteau à terre et mit sa main sous la plaie pour collecter le sang dans ce qui semblait être un récipient invisible.

Alors que le sang commençait à s’écouler avec moins d’abondances et de façon plus saccadée, elle s’écarta laissant le jeune homme s’écrouler, face à terre.

Elias sentait son énergie le quitter lentement, inexorablement, pourtant il s’efforça de lever la tête, il la vit lui tourner le dos, elle marchait lentement, avec précaution. À défaut de m’en sortir, je crèverais en matant son cul ! furent ses dernières pensées.

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