Chapitre neuf : Je suis fort./Validus sum.

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10 ans plus tôt

-Papa ! m'écriai-je en courant dans les bras de mon père.

-Viens là, toi ! me dit-il, tout sourire en m'étreignant tendrement. Alors, tu as passé une bonne journée ?

Bien évidemment que j'avais passé une bonne journée ! Pour moi comme pour ma sœur, c'était les vacances, après tout ! Je hochai donc la tête positivement.

-C'est bien. Viens ! Il est l'heure de ta leçon.

Sortant son livre de sa sacoche, mon père qui portait sa toge blanche que je trouvais si élégante, se dirigea jusqu'à la fontaine se trouvant à l'extérieur, au milieu de la cour qui devançait notre jolie maison aux proportions modestes comparées à d'autres demeures. Mes parents n'aimaient pas l'extravagance. Je m'assis en premier et mon père fit de même sur le bord. Il faisait beau, nous étions en plein été et en fin de journée, la petite brise qui me caressait le visage me faisait du bien après une chaleur cuisante.

-Alors... Nous en étions à l'histoire de l'esclave Spartacus... Dis-moi son nom en grec.

-Spártakos[1] !

-C'est ça ! Spartacus fut à l'origine de la troisième guerre servile. Quelles furent les deux premières ?

-Heu... La première était due à l'esclave et prophète Eunus. Elle dura de 139 à 132 av. J.-C. Lui et des centaines d'esclaves se sont révoltés contre leurs maîtres et ont pris la ville d'Henna. Eunus est devenu roi sous le nom d'Antiochus. Son royaume gênait Rome pour... l'approvisionnement en blé et l'armée romaine a fini par les assiéger. Ils ont été massacrés, beaucoup se sont suicidés et Eunus est mort en prison.

-En gros, c'est ça. Et la seconde ?

-Ben... Je sais plus... admis-je après de longues secondes d'attente.

J'entendis mon père soupirer.

-Bon, je vais te la raconter de nouveau mais dans un bref récapitulatif et la semaine prochaine, je t'interrogerai dessus, alors écoute bien.

Je hochai la tête, content de ne pas me faire disputer.

-En l'an 104 av. J.-C. a eu lieu le soulèvement dirigé par un ancien esclave portant le nom de Salvius Tryphon. Cette guerre dura jusqu'en l'an 100 av. J.-C. et fit 20 000 morts. Elle s'est déclarée dans une période spéciale. Des peuples germaniques menaçaient l'Italie. Des tensions régnaient et dans ce climat, des esclaves se sont révoltés et ont tué leurs maîtres. Salvius, connu pour être devin et musicien, s'est emparé de cette révolte et l'a dirigée. Il s'est proclamé roi de son nouveau royaume en Sicile et porta le nom de Tryphon. Tryphon finira par mourir sans doute de maladie et son bras droit, Athénion lui succédera. Le consul Manius Aquillius va finir par intervenir et le tuer, mettant ainsi un terme à cette guerre. Les points communs entre la Première et Deuxième guerre serviles étaient le soulèvement des esclaves, bien évidemment et également le souhait d'établir le modèle Hellénistique mais nous verrons cela plus tard. Maintenant, je vais te raconter l'histoire de la plus célèbre de ces trois guerres serviles, celle de Spartacus.

Autant du haut de mes treize ans, je ne trouvais pas l'histoire de la Seconde guerre servile très intéressante, autant j'attendais avec impatience celle de ce gladiateur ! J'en avais déjà eu quelques échos à l'école !

-Il s'agit de la seule guerre qui menaça véritablement le cœur même de l'Italie ! Elle dura de 73 à 71 av. J.-C. À Capoue, Spartacus, un esclave gladiateur, complota avec ses compagnons pour s'évader avec succès. Ils se réfugièrent alors sur les pentes du Vésuve. Des milliers d'esclaves finirent par les rejoindre, beaucoup étaient des gladiateurs mais aussi des bergers. Les gladiateurs, meneurs de la révolte, amenèrent à eux une grande partie des esclaves de l'Italie du sud, ils furent ainsi très nombreux. Faisant preuve d'ingéniosité et de combattivité, ils vainquirent toutes les attaques armées contre eux. Ils finiront tout de même par perdre face au préteur Crassus et ses hommes. Spartacus mourra en combattant, affaibli par une flèche qu'il avait reçue. Sans doute pour montrer l'exemple, des milliers de survivants furent crucifiés sur la route qui liait Capoue à Rome... Spartacus, le gladiateur thrace et meneur des esclaves, devint alors un symbole important, celui de la lutte contre les opprimés et de la lutte pour la liberté. Lui et ses compagnons avaient cherché à se libérer d'une vie dure dont ils étaient prisonniers à une époque où l'esclavage était vu comme étant normal et courant.

Mon père fit une pause, semblant perdu dans ses pensées. Puis il reporta son regard sur moi et me sourit chaudement.

-Que faut-il retenir de cette histoire, Nathan ?

-Que... Tout le monde doit être libre ?

-Exactement ! Aucun être humain n'est supérieur à un autre ! Si trois guerres serviles ont eu lieu durant l'antiquité, c'est justement parce que ce que vivaient les esclaves était profondément injuste ! À mes yeux, ces révoltes montrent plusieurs choses importantes. La première est qu'il est contre-nature de priver une personne de son entière liberté. La seconde, c'est que malgré cela, il faut quelques règles mais de bonnes règles équitables et justes, sans distinction sociale ni de genre, pour régir un minimum notre société car l'être humain peut être capable du pire. L'antiquité romaine que j'aime tellement étudier, l'illustre bien avec ses combats de gladiateurs qui galvanisaient les foules avec des meurtres, de la violence et du sang, par exemple !

Je hochai la tête, attentif aux paroles de mon père, ne pensant pas une seule seconde qu'un jour, moi aussi, je perdrais ma liberté.

-Mais papa, le Gouverneur ne va-t-il pas rétablir de mauvaises choses du passé comme l'esclavage ?

-Non, bien sûr que non ! Le Gouverneur est un homme bon ! Enfin, je le pense... Sa manière d'avoir pris le pouvoir était violente, certes, nous ne pouvons pas dire le contraire, mais du moins, son objectif est noble ! Il désire améliorer notre société qui était si pervertie par l'argent et manipulée par de mauvaises personnes au Gouvernement ! Il s'est inspiré de mes recherches et m'a offert un poste important pour l'aider. Certaines rumeurs courent en ville comme au Parlement mais... je n'ai rien vu pour l'instant qui aille dans ce sens... Ne t'inquiète pas ! termina rapidement mon père dans un sourire en m'ébouriffant les cheveux.

Pourtant, quelque chose me tracassait... À l'école, un camarade de classe avait raconté que son cousin avait disparu après avoir blasphémé contre le Gouverneur devant les Gardiens du nouveau monde. Ces Gardiens avaient la réputation de ne pas rigoler ! Ils étaient chargés du maintien de l'ordre mais aussi du respect des nouvelles règles régissant la société. Ils faisaient en sorte que les lois soient respectées et parcouraient régulièrement les rues de notre ville comme toutes les villes importantes afin de nous surveiller et que nous soyons en sécurité. Mais... Ils étaient assez effrayants dans leur uniforme noir avec leur arme apparente, marchant en rythme au cœur de la ville... Je n'aimais pas les croiser. Et parfois, j'avais du mal à croire qu'ils étaient vraiment là, autour de nous, dans le seul but de nous protéger...

Du coup, j'avais cru à ce que le garçon de ma classe avait raconté lorsqu'il nous avait dit dans la cour à la récréation, que son cousin n'était pas le premier à disparaître après avoir fait quelque chose d'interdit. Il avait entendu ses parents parler de rumeurs sur des soi-disant esclaves qui auparavant, étaient des personnes libres comme nous mais qui n'avaient pas respecté la loi... Mais bon ! Si mon père pensait que le Gouverneur était gentil, alors c'est que c'était vrai !

-Nathan ?

-Quoi ?

-Tiens. Je t'ai apporté un livre qui parle de Spartacus plus en détails, me dit-il en me le tendant. Il s'agissait d'un homme à qui l'on avait tout pris. La société de son époque en a fait un homme violent mais malgré cela, je veux que tu voies plus loin que les faits qui y sont décrits, que tu comprennes que nous sommes tous égaux, que personne n'a le droit de priver une autre personne de sa liberté, de sa vie, de ses proches, de ses propres choix. Je veux que tu comprennes qu'il est important de rester un homme droit, un homme bon, que l'on ne doit pas faire preuve de méchanceté ou d'arrogance, que nous sommes tous égaux, mon fils. La violence, l'argent et le pouvoir peuvent pervertir, il faut être aux aguets. Si plus de personnes bienveillantes constituaient notre monde, alors il n'en serait que plus beau, tu ne crois pas ?

-Si !

-Bien. Souviens-t-en, alors. Allez, va jouer ! Je vais aller voir ta sœur. Je sais qu'elle est jalouse des leçons que je te donne mais elle est encore trop jeune. Dans trois ans, elle entrera dans l'adolescence et je lui apprendrai les mêmes choses qu'à toi.

Je hochai la tête et partis en courant sous le regard attendri de mon père jusqu'à ma chambre dans laquelle je déposai mon livre sur le lit. Je m'assis en tailleur et les yeux pétillants, je l'ouvris, prêt à découvrir un peu plus de la vie de ce gladiateur si connu...

À cette époque heureuse, dans la candeur de ma jeunesse, je ne comprenais pas encore tout à fait la portée des paroles de mon père. Je n'avais pas compris qu'il était inquiet, qu'il essayait de se persuader que le Gouverneur, l'homme qu'il admirait tant, ne lui cachait rien de grave et qu'il n'était pas ce monstre dissimulé sous un beau sourire et une apparence solide, rassurante et charmeuse. Mais maintenant, je savais. Et je comptais bien mettre un terme à sa dictature répugnante. Combien de vies avait-il gâchées ? Des milliers sans aucun doute au fil des années...

Oui, il me fallait agir. Je n'allais sans doute pas y survivre, cet homme était bien entouré, mais ce n'était pas important. Il fallait souvent des sacrifices pour sauver des vies et la mienne ne m'apportait plus aucune joie, alors autant qu'elle serve à d'autres...

Ce furent sur ces tristes pensées après m'être souvenu des paroles de mon père lorsque je n'étais encore qu'un jeune garçon, que je commençai à ôter mes vêtements, ne voulant absolument pas que Wolf me les retire lui-même pour la punition qui m'attendait. Grâce à l'horloge accrochée au mur, je pouvais voir que nous étions arrivés à l'heure du banquet. Ils commençaient tous à la même heure, suivant certains rituels inspirés de l'antiquité comme les libations mais au lieu qu'elles soient faites pour remercier les dieux, à mon époque, elles étaient destinées à remercier les nouvelles lois et le nouveau monde ainsi qu'à apporter de la chance dans nos vies… Ça en était carrément risible… La chance... Seuls les fortunés en avaient.

À peine mon sous-vêtement tombé sur le sol, j'entendis un bruit de clé... Je pris une grande inspiration et me tournai vers celui qui se considérait comme étant mon dominum[2]. J'étais totalement gêné d'être nu devant lui mais aussi de repenser à ce qui s'était passé ce matin sur le lit et sans que je ne puisse l'empêcher, mes joues se colorèrent lorsqu'il entra. Face à ma nudité, je vis l'étonnement se peindre dans son regard sombre mais aussi... De l'admiration ? Cet homme... Je n'arrivais réellement pas à le cerner.

Je restai bien droit, complètement nu, offert à son regard qui glissait sur mon corps sans gêne. Je refusais de lui montrer ma peur et je gardais mon air déterminé sur le visage.

-Je vois que tu es prêt, Nathan. C'est bien, me dit-il en avançant.

Il ne s'arrêta qu'à quelques centimètres de moi avant de poser une boîte noire et rectangulaire sur la table. Il l'ouvrit et je pus découvrir ce qui était prévisible : un torquem[3]... Il le prit dans ses mains et je le détaillai, un peu curieux de ce que j'allais devoir porter ce soir. De la SEULE chose que je porterai ce soir... Il était beau, je pouvais l'admettre. Il s'agissait d'un tour de cou noir assez fin. Au centre, se trouvaient les lettres « E » et « W » entrelacées et cousues de fil d'or, ce qui n'était guère étonnant puisque ce collier servirait à montrer à tous que j'appartenais à Wolf.

Il était également serti de petites pierres très fines en forme de losange et de couleur bleue. Attendez... Elles étaient si belles... Est-ce que ces pierres étaient DES SAPHIRS ?!! Je l'entendis rire et les yeux ébahis, je relevai la tête pour trouver un regard moqueur et un sourire. Je ne m'y attendais pas !

-Je vois ton regard surpris. Je pense que tu l'as deviné, ce sont des saphirs. Je trouvais qu'elles iraient parfaitement avec la couleur de tes yeux magnifiques.

Sous ses paroles, mes joues chauffèrent encore plus. Je n'avais tellement pas l'habitude des compliments ! Pourtant, je ne devrais ressentir aucune émotion bizarre face à cet homme cruel qui m'avait fait toutes ces choses dégoutantes ce matin même ! Cet homme… Il me troublait et ça m'énervait ! Je ne devais pas oublier qu'il était un dominum[4] prêt à tout faire pour m'asservir totalement !

N'oublie pas, Nathan. N'oublie surtout pas tout ce que tu as vécu. Méfie-toi de lui. Il est sans doute plus dangereux que tes anciens dominos[5]

Pris dans mes pensées, je ne le vis pas s'approcher encore plus et je me figeai lorsqu'il me mit le collier. Son visage était si proche du mien... Trop proche ! Je me forçais à ne pas bouger mais c'était dur. Heureusement, mon calvaire ne dura pas et je me retrouvai bien vite orné de cette marque de possession sur mon corps. Le fermoir était à présent scellé tout comme mon destin. Seule la clé, que mon dominus[6] possédait, pouvait l'ouvrir à présent.

-Comme je le pensais, il te va superbement, me dit-il d'une voix rauque en me regardant étrangement.

C'était étrange mais avec ce collier, je me sentais un peu moins nu...

-Nathan, je ne te punis pas parce que je suis ton dominum[7] ou pour te montrer le pouvoir que j'ai sur toi mais pour te protéger de mon père. Je ne prends aucun plaisir à te faire du mal mais si c'est le seul moyen pour que tu comprennes que tu dois faire attention, que ta vie est menacée en étant un servum[8] désobéissant, alors je le ferai.

Le ton de sa voix était sans appel… Je ne savais que penser, je n'arrivais pas à réfléchir. Trop d'événements trop vites ! Mon esprit était plein de pensées, de souvenirs, de réflexions. Alors, sans que je ne m'y attende, il accrocha une laisse noire à mon collier. Je n'avais même pas vu qu'il en avait une ! Elle devait être dans la poche de sa veste...

-Bien. Nous sommes attendus.

Il se tourna vers la porte et me tira à sa suite comme si je n'étais qu'un animal domestique. Et malgré ça, je n'opposai aucune résistance. À quoi cela aurait-il servi ? Je savais ce qu'il me restait à faire...

[1] Grec ancien : Nominatif singulier=Spartacus.

[2] Accusatif singulier de "dominus"=maître.

[3] Accusatif singulier de "torques"=collier.

[4] Accusatif singulier de "dominus"=maître.

[5] Accusatif pluriel de "dominus"=maîtres.

[6] Nominatif singulier=maître.

[7] Accusatif singulier de "dominus"=maître.

[8] Accusatif singulier de "servus"=esclave.

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