Conclusions

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 Au terme de longues heures au cours desquelles d’innombrables blessures lui furent infligées, le Grand Glacier s’effondra finalement sous son propre poids. Il respirait encore péniblement, mais semblait rapetisser de minutes en minutes. Ses trois adversaires se positionnèrent autour de lui, prêt à reprendre la bataille, mais ce ne fut pas nécessaire. Bientôt, le Grand Glacier n’était plus qu’un simple sanglier tout ce qu’il y a de plus normal. Si ce n’est peut-être sa voix.

 — Comment osez-vous… je règne depuis des siècles sur ces terres… je suis le maitre des glaces… Des petits jeunes comme vous ne peuvent pas… me remplacer…

 — Nous ne te remplaçons pas, lui répondit Jura en prenant son apparence humaine. Bientôt, ton nom même disparaitra du folklore majore. Seul notre Culte subsistera.

 — Vous me dégoutez… et toi plus encore, créature du Denimope… Tu vends donc ton âme à ces fous… Tss… Méfiez-vous. Dans une autre vie, les choses ne se passeront pas de la même manière.

 — Si tu as en terminé avec tes palabres, je vais t’achever comme il se doit, lui répondit Vausturn qui maintenait une bulle en main depuis un moment. Adieu, Grand Glacier, que les générations futures oublient ton existence.

 Il souffla et la bulle flotta en direction de l’animal déjà blessé. Lorsqu’elle éclata à son contact, une petite explosion retentit, dont le son fut étouffé par le pouvoir de Jura mais qui envoya tout de même de la neige dans tous les sens. Il tombait ainsi des flocons pour saluer la mort de celui qui avait régné sur les hommes du Denimope depuis si longtemps.

 — Maintenant que cela est réglé, j’aimerais savoir ce que le Roi des Loups fait aussi loin de son Denimope natal, lança Jura. Tu t’appelles Friner, c’est bien ça ?

 — Oui, confirma le concerné à la grande surprise de Skuld qui entendait sa voix pour la première fois. Je peux m’incarner en chacun de mes enfants et, lorsque j’ai compris quel vilain tour vous aviez joué à cette enfant, j’ai voulu lui venir en aide.

 — Oui, la petite Skuld… Lui venir en aide, venant de celui qui a dévoré l’homme qui l’avait élevé, c’est assez risible.

 — Peut-être désires-tu te mesurer à nous aussi, demanda Vausturn qui tenait une nouvelle bulle dans la main. Nous débarrasser d’un second rival ne nous dérange pas.

 — Au contraire, je souhaiterais me plier aux exigences du Culte. Mais à plusieurs conditions.

 Jura et Vausturn perdirent leur sourire assuré et échangèrent un regard. Ils paraissaient honnêtement surpris, curieux même. Pendant ce temps, Skuld n’avait toujours pas bougé, appréhendant la suite.

 — Donne nous tes conditions, nous verrons ce que nous en ferons.

 — Tout d’abord, je souhaite que vous teniez vos engagements envers Skuld.

 — Bien évidemment, confirma Jura alors que Vausturn roulait des yeux.

 — Je veux être considéré égal à vous deux et vos autres camarades, sous le nom de Colosse.

 — Si ce n’est que ça.

 — Enfin, je veux que vous épargniez le Denimope d’une Croisade telle que celle qui a lieu en ce moment en Majorique.

 — Ça, cela risque de poser problème, ricana Vausturn.

 — J’imposerai le Culte dans mon pays d’une autre manière. Laissez-moi au moins essayer et si, dans un demi-siècle, le Denimope ne s’est pas plié aux règles du Culte de lui-même, alors je n’interviendrai pas dans la Croisade que vous y mènerez.

 — Un demi-siècle, le temps qu’il nous faudra pour avoir totalement la main mise sur ce pays-ci, alors… Eh bien, c’est d’accord, n’est-ce pas, Vausturn.

 — Si tu le dis, mon très cher frère… Mais je pense qu’Elle voudra tout de même le rencontrer pour donner sa bénédiction.

 — Evidemment. Quant à toi, petite Skuld…

 L’enfant tressaillit et s’agenouilla de peur de leur manquer de respect, priant pour qu’ils ne lui fassent pas de mal.

 — Tu as accompli à bien ta mission. Comme promis, ta bulle restera sous cloche, en sécurité. Tu ne mourras donc jamais. Et c’est pour cela que nous aimerions que tu continues d’agir pour nous, simplement en tant qu’observatrice. Conserve se miroir et le bocal. Le premier te permettra de nous contacter et le second de conserver à l’intérieur autant de matière que tu le souhaites. Qui sait, cela pourrait t’être utile ?

 Ainsi donc s’achève la première mission de celle qui sera appelée par les générations suivantes Sainte-Skuld. Son histoire fut romancée et l’aide que lui avait apportée Friner fut oubliée de tous, car celui-ci avait sa propre histoire à jouer au cœur du Denimope. En hommage à son chaperon et à son long voyage pour honorer le Culte, elle devint la sainte patronne des pèlerins qui porteraient désormais un vêtement semblable au sien.

 Aujourd’hui encore, Sainte-Skuld parcourt la Terre des Murmures pour le compte de la Mort et du Silence. Elle est leurs yeux sur les évènements qui méritent sa présence alors qu’elle reste à l’abri de ceux qui l’entoure grâce à son fabuleux vêtement. Parfois, aussi, elle pousse le destin selon les ordres des Colosses jumeaux et provoque des incidents dont on ne soupçonne même pas son implication. Sans vraiment le vouloir, Skuld est devenu l’un des instruments les plus importants et les plus efficaces du Culte.

 Cependant, lorsque les Colosses jumeaux n’ont exceptionnellement pas besoin d’aide, c’est la compagnie d’un autre qu’elle recherche, dans un Denimope qu’il a unifié en secret.

 Quant au Grand Glacier, plus personne n’évoqua jamais plus le nom de celui qui, comme Friner, aurait pu devenir un « Colosse du Culte ».

 Une morale à cette histoire ? Il n’y en a pas. L’histoire de Skuld est ce qu’elle est : le destin d’une enfant engagée par des forces qui la dépassent et forcée d’y obéir jusqu’au dernier moment de sa vie. Des choix, elle n’en a pas eu beaucoup, et c’est trop tard aujourd’hui pour en faire d’autres. Même si elle a trouvé la compagnie, et même l’amitié, d’un être aussi puissant que ses premiers employeurs, elle ne peut plus avoir de happy end. La vie éternelle n'est rien d'autre qu'une entrave particulièrement sordide. Un jour, pourtant, peut-être Skuld parviendra-t-elle à se défaire de ses chaines ? Qui alors s’en mordra les doigts ? Elle ou ceux qui se croient au-dessus des hommes ? L’avenir, peut-être, nous le dira…

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