Toutes les semaines j’achète un ticket de train. J’ai des bons prix sur les tickets de train (mais que les régionaux) alors j’en achète. Chaque semaine, j’attends sur le quai, avec un petit sac à dos Eastpak. Dedans je mets un sandwich au saucisson et un sachet de BN. J’aime bien les BN, avec leurs visages différents sur les biscuits, je les regarde, et je mange que ceux qui sourient. Je veux leur voler leur joie. Mes préférés, c'est ceux à la fraise. J’aime bien au chocolat aussi. Mais je préfère à la fraise.

  Chaque semaine, je choisis la même destination. J’achète le ticket le lundi. Au guichet automatique, toujours le même : celui qui est à gauche de l’abri, à l’entrée de la gare. Même si je dois attendre plus longtemps, je ne prends jamais mon ticket sur l’autre machine. Jamais. Celle de gauche, elle est gentille, elle a une jolie voix, alors je vais toujours vers elle. Elle a pas beaucoup de conversation mais elle est très polie. Maman dit que c’est important d’être poli dans la vie. Elle dit aussi que si je ne suis pas poli, c’est sur elle que la faute elle retombe. Je sais pas trop ce que ça veut dire… Mais j’ai pas envie qu’une faute lui tombe dessus. Surtout si ça fait mal.

  Quand j’ai mon ticket, j’ai une semaine pour faire le trajet. J’attends le train qui va à Nantes. Je suis jamais allé à Nantes. Maman dit que c’est la plus grosse ville près de chez nous. Elle est vieille Maman. Alors il faut que je prenne le train pour me débrouiller tout seul tu sais. Si j’arrive à prendre le train, c’est une bataille de gagnée qu’elle dit Maman. Alors toutes les semaines j’attends. Aujourd’hui, je vais monter dedans, pas seulement le regarder passer. Je vais monter dedans et je vais m’assoir. Du coté de la fenêtre, comme ça je verrai passer les vaches et les paysages.

  J’ai déjà pris le train. Mais jamais tout seul...

  Le ticket il est tout rabougri à force de le toucher t'as vu ? Et toi tu vas où ? À Nantes aussi ? Je peux m’assoir à côté de toi dans le train ?

  Chloé lui sourit et lui tapote l'épaule d'un geste amical. Elle a l’habitude de le voir ici. D'entendre son discours. Il l'émeut. La première fois, elle a eu un peu peur. Aujourd'hui, elle aimerait bien qu’il monte ; elle aimerait bien partager avec lui cette victoire, comme il partage avec elle l’attente. Mais toujours il reste assis là, sans bouger, le billet froissé entre les doigts...