Grandir et apprendre

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Au bout d'une marche sans peine qui dure un certain temps, Ninon trouve l'Ancien.
Sa cime lointaine s'appuie contre une paroi de pierre, comme si elle tenait la montagne. Le vieil arbre millénaire domine et ombrage le sol ; il est un ciel.
« -Le vent est fort par ici, dit la petite fille, et cet arbre est si grand… »

Ninon pensait qu'il suffisait de parler pour que le géant lui réponde. Mais elle est insignifiante. Depuis longtemps, le chêne dédaigne la vie des hommes.

Elle s'approche de son pied. Elle pense, le plus fort qu'elle peut :
« Tu dois m'aider, tu dois m'aider, TU DOIS M'AIDER ! »

Silence en réponse et le vent :
« -TU DOIS M'AIDER ! TU DOIS M'AIDER ! »

La colère saisit Ninon, elle se lève et cogne l'écorce à coup de pied, à coup de poing. Se défoulant, il lui semble frapper le dieu ardent.
L'aïeul sent-il quelque chose, lui que les tempêtes indiffèrent ?
Épuisée Ninon se laisse glisser au sol…

Là-bas, le jeune chêne s'en mêle. Il veut aider la petite fille parce qu'elle l'a touché. Et puis il déteste le Feu.
Il pousse ses racines pour trouver l'une ou l'autre de son arrière-grand-père. L'aïeul le reconnaît immédiatement :
« Ha ! Petit ! Plus tôt, il m'a semblé que tu ne dansais plus et que tes proches on fait de même, tu sais pourtant que c'est important…
— C'est la petite fille ! Son chagrin m'a figé…
— Quelle petite fille ?
— Elle est à tes pieds, tu ne la sens pas ?
— Ah ? Peut-être oui… Attends j'écoute… Oui son chagrin est profond, elle s'inquiète pour ses parents… On dirait qu'elle demande mon aide…
— …
— Les Hommes ne m'intéressent pas.
— Elle veut trouver l'enfer du feu, elle veut retrouver ses parents... »

Surpris le vieil arbre vibre ses racines. Il n'aime guère le "dieu Brûlant" et le craint :
«— C'est hors de question : j'ai une alliance avec le feu… Je garde sa porte et en échange, il ne me menace pas... ni ma famille !
— Que ferais-tu si le dieu brisait l'alliance ?
— Ce n'est pas un dieu, c'est un enfant puissant et capricieux. S'il trahissait, j'appellerais les démons pour qu'ils le reprennent. Ils le cherchent : le feu leur a volé quelque chose et s'est échappé ; il ne leur obéit plus. »

Le jeune chêne reflue sa pensée vers son être.
Il ne saurait dire pourquoi il est si désireux d'aider l'enfant ou pourquoi cela lui semble impérieux. Mais c'est un arbre curieux, il a poussé les griffes de sa souche bien au-delà du bois : il avait très envie de connaître les habitudes de ces mystérieuses créatures mobiles, ces détachées du sol : les Hommes.

Les frères du chêne et les Hommes ne vivent pas la même temporalité, c'est pour ça que les gens, jamais, ne pénètrent dans le noyau de la forêt enchantée, que jamais ils ne la voient.
Mais Ninon des Brumes a une grande magie en elle : son chagrin traverse le temps.

C'est en les observant, les Hommes, grâce à ses antennes souterraines et ses oiseaux, que le jeune chêne a senti des choses. Il n'en a jamais parlé car l'aïeul l'aurait obligé à sécher ses racines déployées jusqu'au village.
Et quelle horreur ! Les Hommes utilisent le bois arraché aux forêts pour créer des maisons, des objets.
Ils blessent cruellement les frères. Ils coupent, coupent et coupent des troncs, des branches, laissant à peine la force aux blessés de pousser des rejets malingres.

Et puis il a découvert que les Hommes adorent le feu, qu'ils peuvent l'appeler à n'importe quel moment pour profiter de ses faveurs. Le dieu Brûlant semble les aimer aussi… la plupart du temps.
Ça ne l'empêche pas toujours de se laisser aller à sa nature de destructeur. S'il est mécontent, il peut tout calciner autour de lui. Le vieux chêne a semble-t-il raison, en partie : le dieu Brûlant est un enfant capricieux… Ninon des Brumes a enduré son humeur détestable.

Mais ce qui est vraiment terrible, c'est que pour appeler le feu, les Hommes brûlent le bois.
L'aïeul n'en sait rien, il ne s'intéresse pas aux Hommes et lui, comme les chênes de sa famille, sont protégés des atrocités : ils appartiennent au noyau de la forêt enchantée.
Aujourd'hui le jeune chêne connaît la nature de cette magie, il s'agit du pacte avec le feu.

Le feu comme une menace, le feu comme un protecteur…

Par ses discrètes radicelles, évitant les grands trajets de sève, le jeune arbre chuchote un conseil à la petite fille :
« Mon aïeul garde la porte des enfers du feu et il croit que le dieu respecte une vieille promesse : laisser les forêts en paix. Notre père à tous ne sait pas que les Hommes aident l'ennemi à se gaver de son peuple… L'esprit du vieux chêne est hors du temps, il n'a rien vu des mensonges du Brûlant... Appelle le feu au pied de l'arbre, Ninon et dis-lui que toi et les tiens obéissez aux flammes… Et, quand ce sera fait, sauve-toi... le plus vite possible...
— Je ne sais pas faire du feu.
— Alors tu dois apprendre.

Forêt enchantée de la Terre Lointaine, enchante l'âge de Ninon des Brumes.
Alors qu'elle s'éloigne du noyau et approche le village, franchissant le temps, elle n'est plus une petite fille et des feuilles l'habillent.

Au hameau, elle aperçoit quelques enfants qu'elle côtoyait parfois et Étienne, il n'a pas changé…
et lui l'a reconnue d'un regard :
«— Excuse-moi de t'aborder ainsi, c'est que je suis troublé : tu ressembles tant à Ninon des Brumes. Elle avait huit ans quand elle et ses parents ont brûlé dans leur maison. Je l'aimais beaucoup, je ne l'ai pas oubliée…
— Je suis Ninon des Brumes, et j'ai toujours huit ans. Mais la forêt qu'on ne voit pas m'a touchée, elle est magique, comme le disait maman, j'ai grandi dehors, j'ai grandi dedans… Étienne apprends-moi à faire du feu... »

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