Meredith (Morgane Stankiewiez)

4 minutes de lecture

Résumé : Caleb est promis à un avenir tout tracé contre lequel il lutte en vain. Son père a promis de le déshériter s’il n’épousait pas Prudence, qui par malchance est aimée de son meilleur ami. L’arrivée de deux voyageurs au comportement mystérieux va remettre en cause tout cela. Caleb tombe sous le charme de la fascinante Alathea, pour qui il pourrait renoncer à tout : aux plaisirs coupables des filles de joie, à la fortune familiale, et même, à son humanité...

Meredith est le troisième roman de Noir d’Absinthe que je lis, mais sûrement pas le dernier ! Je suis avec beaucoup d’intérêt la production de ces nouvelles maisons françaises qui s’intéressent au côté « dark » de l’Imaginaire. Asphodel de Louise Lebars est l’un des tout premiers livres que j’ai chroniqués : il est même lié à la genèse de ce blog, car c’est en voyant les attaques injustes dont il faisait l’objet que j’ai eu envie de prendre la plume pour le défendre. J’avais donc hâte de lire Meredith, découvert sur le stand de la ME aux Imaginales… et je n’ai pas été déçue ! Plutôt agréablement surprise, car le roman s’inscrit en plein dans mon thème favori...

Ce que j’ai aimé :

- le thème. Mon favori en littérature de l’imaginaire, et en littérature tout court d’ailleurs… je n’en dis pas plus pour ne pas spoiler le roman (mais vous avez peut-être deviné)

- L’écriture riche et très imagée, notamment dans les passages au bordel. J’ai d’ailleurs bien apprécié ces passages, que j’ai trouvé traités avec justesse : ils sont décrits avec réalisme et invention, sans chercher à être particulièrement excitants ou trop cliniques. Un petit extrait :

« Les draps étaient rêches et tachés, les fenêtres sales, les tapisseries délavées et empestant la fumée des précédents clients : on pouvait presque apercevoir la silhouette rachitique de la déesse Syphilis au pied du lit, nimbée de sa putride auréole, nymphe souillée par les offrandes poisseuses de ses fidèles. » (p. 8)

- la liberté totale dans l’écriture : j’apprécie de plus en plus les auteurs qui laissent aller leur plume et échappent au « formatage » éditorial ou au politiquement correct qui, je le déplore, a tendance à rendre uniforme et insipide la production actuelle. Morgane Stankiewiez s’inscrit définitivement dans le mouvement contraire.

- les personnages de femmes, comme Alathea, mais surtout Julia, la prostituée d’origine iroquoise et la réflexion sur la liberté et le libre arbitre. Les femmes de Meredith offrent un contraste saisissant avec les hommes, qui sont tous englués par le patriarcat à des degrés divers : Caleb, hédoniste qui ne considère (au début) les femmes qu’en fonction du plaisir qu’elles vont lui apporter (il dédaigne Prudence pour cette raison), Jonathan « éternel romantique » qui pense d’abord à lui et non au bonheur de la femme qu’il aime, le patriarche Abraham, pour qui les femmes (comme les hommes d’ailleurs) sont des pions, mais aussi Elias, qui s’arroge des droits inaliénables sur sa « fille » Alathea… Les femmes, que ce soient la chaste Prudence, la sulfureuse Julia ou la fascinante Alathea tentent de se libérer de cette emprise, mais elles n’y arrivent pas. Caleb, épris de liberté, n’y arrive pas non plus : prisonnier de son père au début, puis d’Elias, il finit par arrêter de se débattre et par céder au destin.

Ce que j’ai moins aimé :

- le côté condensé. Tout va très vite, d’ailleurs, le roman est très court (101 pages). Cela peut-être un avantage pour certains lecteurs pressés : il se lit vite, les chapitres sont courts et dynamiques…

- le manque de développement sur Alathea et son « père ». On sait qu’ils ont une backstory, mais elle est finalement laissée de côté au profit de personnages que j’ai trouvé moins intéressants (mais nécessaires), comme Jonathan et Prudence. De la même manière, j’ai été interpellée par le personnage de Julia, mais finalement on la voit très peu.

- un petit détail qui m’a un peu gêné à la lecture au début : le grand nombre de phrases à la structure similaire, ce qui instaure un rythme monotone. J’ai pensé que c’était peut-être fait exprès, afin d’appuyer sur le morne quotidien du protagoniste.

Mon bilan

Ce court roman s’adresse à des lecteurs appréciant les ambiances gothiques, sulfureuses, et « sombres » (ce terme un peu dévoyé en SFFF de nos jours à une réelle signification ici, puisque l’histoire s’enfonce progressivement dans un maelstrom de noirceur aussi suffocant qu’une noyade dans un lac). Le livre prend un peu le contrecoup de ce type d’histoire, car elle met en premier rôle un protagoniste mâle, qui va basculer dans le surnaturel en passant de la fascination à l’horreur (qui surgit d’un coup au milieu du roman pour ne plus repartir). En cela, il se place à part de la production actuelle sur le même sujet (les v…), tout en s’inscrivant dignement dans cette tradition réjouissante du « néo-gothique francophone » (ou nouvelle horreur francophone?) qu’on voit émerger ces dernières années avec des auteurs au style à la fois foisonnant et horrifique, sans limites, comme Vincent Tassy, Morgane Caussarieux, ou Louise Lebars.

Pour aller plus loin :

La captive de Dunkelstadt, de Magali Lefèbvre, de la même maison d’édition est un livre que je trouve intéressant de lire en parallèle (il se trouve que je l’ai lu immédiatement après, car il se trouvait en deuxième place de ma pile à lire des Imaginales). Il s’agit de deux variations sur le même thème : un jeune homme romantique promis à une vie rangée et un mariage morne succombe au charme sulfureux d’une « démone », qui va l’aimer en retour et le protéger contre les forces maléfiques qui l’entourent, et qu’il va, pour sa part, tenter de délivrer… Les deux proposent une réflexion sur la dépendance et la liberté, prise au sens strict : celle d’aller où bon vous semble et d’être soi-même. Une thématique qui semble chère à cette maison d’édition, donc, et qui donne envie de continuer à explorer le catalogue !

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