LE TABLEAU QUI PARLE

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Sohaïl était passionné de mode depuis aussi loin que remontaient ses souvenirs. C’était sûrement venu avec son amour des Magicals et l’envie de savoir confectionner lui-même ses déguisements. En grandissant, il avait conservé ce désir de créer des tenues fantastiques, mais pour des artistes de scène.

C’était ce qui l’avait mené à se faire traîner dans un musée temporaire par Olive pour son projet de fin d’année alors qu’il était à peine levé. Parfois – comme ce jour-ci –, il regrettait ses études de mode.

La jeune femme avait débarqué en trombe, bien déterminée à l’emporter jusqu’à cette foutue exposition aux allures des siècles passés. Et évidemment, comme toujours, elle avait réussi. Sohaïl enrageait de sa faiblesse face à elle.

« Mais puisque je te dis que je ne suis pas intéressé ! râlait-il sur la place qui précédait le musée. Il n’y a rien de « captivant » chez de vieux portraits de gens morts et même pas connus !

– Je comprends mieux pourquoi tu te plantes à chaque épreuve d’histoire, se moqua ‘Liv. Tu parles d’un styliste modèle.

– Je suis un styliste modèle ! Seulement, je n’ai pas les mêmes inspirations que toi alors ça ne m’intéresse pas. Allez ‘Liv, je ferais tout ce que tu veux mais ne m’emmène pas là-dedans, par pitié ! geignit le Magical.

– Très bien. »

Elle lâcha le bras du brun, qu’elle maintenait jusque là pour ne pas qu’il s’enfuit, et Sohaïl en profita pour remettre ses vêtements en place. Puis il croisa les bras sur le torse en attendant sa suggestion. Le sourire d’Olive ne lui disait rien qui vaille.

« Tu as le choix : soit tu me donnes toutes tes paillettes – et je dis bien toutes, Sohaïl Dukon – pour le reste de tes jours, soit tu viens avec moi dans ce musée pour l’après-midi.

– Tu n’oserais pas, souffla Sohaïl en reculant d’un pas, horrifié.

– Tu penses ? »

Devant son regard ferme, le brun souffla du nez et lui emboîta le pas. Entre la confiscation d’une de ses raisons de vivre et une visite chiante, le choix était vite fait. Et puis plus vite il serait entré, plus vite il serait sorti.

Lorsqu’ils pénétrèrent dans la petite salle sombre, Sohaïl remarqua immédiatement quelques détails un-usuels, mais n’en dit rien. Alors qu’Olive payait, il se pencha d’un peu plus près sur le petit escalier de l’entrée.

« Je savais que ce musée te plairait, dit ‘Liv en arrivant dans son dos. Par contre, je ne pensais pas que les marches te captiveraient autant. »

Elle tapota le billet de Sohaïl contre sa joue. Il s’en saisit et la suivit en traînant les pieds.

Comme il l’avait deviné, l’exposition était barbante : des portraits d’artistes étaient accrochés aux murs blancs, accompagnés de plaques qui résumaient leur vie. Pour faire plaisir à Olive, il fit semblant de se passionner pour les mannequins miniatures miteux sur lesquels étaient exposées les répliques des plus belles tenues de ces créateurs.

Peu à peu, il se prit au jeu. Il lui demanda de prendre des notes sur tel ou tel point et s’il pouvait photographier cette coupe pour tenter de la reproduire. Il ne se rendit pas compte que rapidement, il ne resta plus qu’eux deux dans la salle.

Il arriva au dernier inventeur et prit le temps d’observer les mannequins sous toutes les coutures. Curieusement, ces ensembles lui semblaient familiers et étaient très modernes en comparaison au reste de l’exposition. Il avait une impression de déjà-vu sans savoir d’où elle lui venait. C’était comme s’il regardait quelque chose qu’il n’aurait jamais dû voir.

Alors il s’approcha du tableau qui dépeignait le créateur de ces œuvres particulières. Il ne le reconnut pas, il n’en avait jamais entendu parler. Mais ce portrait avait quelque chose d’étrange, presque effrayant ; on dirait qu’il le regardait. Pour chasser cet effet, Sohaïl se décala légèrement vers la droite, puis vers la gauche… mais à sa grande surprise, le portrait sourit.

Sohaïl brandit immédiatement son sceptre et le pointa vers le cadre.

« Salut Sohaïl, dit la peinture d’une voix mielleuse. Je crois que c’est la première fois que nous nous rencontrons.

– Ça ne fait aucun doute, répondit le brun. Vous êtes le premier tableau parlant qui m’aborde de ma vie.

– Magical Jaune, n’est-ce pas ? Il paraît que tes pouvoirs sont puissants. »

Alors que l’homme du tableau parlait tout seul des incroyables capacités du héros, Sohaïl réalisa que cette agitation aurait dû attirer l’attention d’Olive. Au lieu de s’enorgueillir des compliments de la peinture, il lança un coup d’œil dans son dos et découvrir qu’il était seul. Pas encore, gémit-il en pensée.

« Écoute Monsieur Tableau, je ne sais pas qui tu es, ni ce que tu veux, ni même comment tu me connais, mais ce serait sympa que tu redeviennes juste un simple tableau, maintenant. S’il te plaît ? ajouta-t-il d’un ton hésitant.

– Comment je te connais ? Mais enfin, tu es l’un des meilleurs stylistes de ta génération !

– Oh, c’est gentil ça ! » s’exclama Sohaïl en se grattant l’arrière de la tête avec un sourire fier.

Le tableau sourit également, et le Magical se souvint que les conseils venant d’un portrait n’était pas exactement ce dont il rêvait. Il se ressaisit et prit de nouveau position, sceptre vers la toile en scrutant son entourage. Où avait bien pu passer ‘Liv ?

« Pour répondre à tes autres interrogations, tu peux m’appeler Rôti. Je suis une ancienne connaissance de votre « Chef ».

– Chef a beaucoup « d’anciennes connaissances », répliqua Sohaïl. Est-ce que, par hasard, tu connaîtrais le Bon Goût, Rôti ?

– On m’avait dit que tu n’étais pas très futé, mais je constate que mes sources n’étaient pas très fiables. C’est vrai que pour un Magical, tu as l’air malin. »

Sohaïl renifla. Toute cette histoire sentait très mauvais. Ce tableau était trop bien renseigné sur les Culs Pailletés.

« Je fais partie du Bon Goût, lâcha le portrait avec un grand sourire hautain. Et je te remercie de t’être jeté droit dans ce piège. Tu as l’air malin, mais l’es-tu réellement ? Te pointer avec ta petite copine dans une exposition de soi-disants grands artistes sortis de nulle part, voilà qui est parfaitement stupide.

– Ferme ta gueule. »

Ce gars avait des allures de Chef. Même s’il n’avait pas précisé qu’ils se connaissaient, Sohaïl aurait fait le lien. Il ne quitta pas le tableau du regard, même en entendant clairement les portes de l’exposition se refermer dans son dos. Il se mordait les doigts de s’être laissé avoir si aisément. Tout ça parce qu’il n’avait pas su s’imposer devant Olive.

Quoique non. Il avait très bien fait de venir. Si Olive était venue seule, elle aurait été dans un danger plus grand encore.

« Mais dis-moi Sohaïl, tu n’en as jamais marre ? reprit Rôti d’une voix doucereuse.

– Marre de quoi ? répliqua-t-il hargneusement.

– Qu’à cause de toi, Olive disparaisse une nouvelle fois ? »

Une explosion de paillettes plus tard, Sohaïl avait planté le tableau du bout de son sceptre. Il récupéra la baguette et tourna sur lui-même à la recherche de Rôti. Il en avait vu, des choses étranges, depuis qu’il avait intégré le groupe. Mais il savait pertinemment qu’un portrait qui te tapait la discut’, ça n’existait pas sans machination. Le cadre était vide, entièrement blanc. Et les uns après les autres, tous les portraits s’effaçaient.

Sauf un, juste à coté de celui où il se tenait, sur lequel Sohaïl bondit. Il allait déchirer la toile, mais Rôti s’esquiva pour apparaître plus loin. Le Magical retint son coup, coupant seulement un filet du tableau, pour pivoter vers son ennemi.

« Si j’étais toi, je ferais très attention.

– Ah bon ? Et pourquoi ça ? »

Rôti ricana de ce ton malfaisant digne d’un méchant de dessin animé – ce qui rappela au passage à Sohaïl qu’il avait raté son épisode des Totally Spies ce matin, et l’énerva encore plus.

« Olive n’est pas très loin. Si tu te loupes en essayant de déchirer une toile… oups ! Ta petite amie pourrait y perdre la tête !

– De un, ce n’est pas ma petite amie. De deux, rends moi ‘Liv, grillade trop cuite.

– La politesse, jeune homme.

– Tu ressembles trop à Chef, ça me donne envie de gerber. Tu penses vraiment que je vais ajouter « s’il te plaît » ? »

Rôti lui lança un regard plein de colère, si bien que Sohaïl ne put retenir un rictus de victoire. Il n’avait aucune idée du lien qui unissait Rôti à Chef, mais il n’hésiterait pas à se servir du Magical Bleu si cela pouvait lui permettre de remporter la victoire.

« Ne joue pas au plus malin avec moi, Sohaïl.

– Et sinon quoi ? »

A peine eut-il fini sa phrase qu’une toile à sa gauche se déchira d’elle-même en lambeau. Une encre rougeâtre, presque sanglante, se mit à couler des coupures. Cependant, il en fallait plus pour affecter le Magical Jaune. Il avait été infirmier pendant trois mois, avait vaincu nombre de redoutables ennemis et survécu à des situations bien plus terrifiantes.

« Comment je suis sensé récupérer ‘Liv ? s’enquit Sohaïl en cherchant sur quelle toile Rôti se matérialiserait cette fois-ci.

– Je suppose que tu t’en doutes : accepte de mettre tes forces à notre service. Ou je prendrais ton sceptre en même temps que la vie d’Olive.

– Quels objectifs claqués. » railla le brun.

Sohaïl se demanda comment il allait bien pouvoir utiliser son pouvoir afin de retourner la situation en sa faveur. Ses pouvoirs de soins ne lui seraient d’aucune utilité, et il ne voyait pas comment ses illusions pourraient affecter un tableau. Il lui restait sa Vision, mais même souci : comment atteindre une toile mouvante ?

Il analysa la salle du regard : un battant de fer avait fermé la seule issue du bâtiment, les mannequins étaient renversés au sol pour la plupart, deux toiles étaient désormais déchirées, une troisième égratignée. Ce qui signifiait qu’il restait encore cinq toiles derrière lesquelles Olive pouvait se trouver – trois face à lui, une à sa gauche et l’autre à sa droite. Cela seulement si Rôti avait dit la vérité.

Sohaïl n’avait pas la moindre envie de chercher à savoir ce qui était un mensonge ou non. Et puis, de base, il ne réfléchissait pas car ça le fatiguait. Rôti était réapparu dans la toile de gauche. Devait-il utiliser son joker et lancer une Vision ?

« Tu as pris ta décision ? » demanda le portrait.

Le Magical Jaune sourit de toutes ses dents. Il saisit un flacon de paillettes accroché à sa ceinture, le déboucha et projeta son contenu au-dessus de lui pour rendre sa réponse plus sensationnelle.

« J’accepte de te donner tout ce que tu souhaites, mais je veux ‘Liv d’abord.

– Tout ce que je souhaite ? répéta Rôti. Tu vas me faire croire que tu as les baguettes de tout tes alliés en main et que tu peux invoquer Chef en claquant des doigts ?

– Oh, je ne vais pas seulement te le faire croire : j’en ai le pouvoir. »

Il leva son sceptre à hauteur d’yeux et souffla sur le soleil qui l’ornait. Un filet de paillettes voltigea dans la pièce, se déposant uniquement sur les toiles. De son autre main, il vida un second flacon de paillettes sur la table au centre de la pièce. Il sut que son pouvoir était à l’action quand il vit le regard béat de Rôti. Il n’avait pas la moindre idée de ce qu’il voyait, mais il espérait que cela colle avec ses propos tenus plus tôt.

Toujours était-il que pour récupérer les sceptres, il faudrait que son ennemi sorte du tableau. Tant que Sohaïl serait là, Rôti ne se risquerait pas hors des toiles.

« Maintenant, rends-moi Olive, ordonna-t-il d’un ton ferme.

– Ajoute ton sceptre aux autres, et je la relâcherai. »

Sohaïl dodelina de la tête, soupira et fit mine de déposer sa baguette sur la table au centre. Au lieu de la lâcher, il en profita pour la rendre invisible et la rangea dans sa ceinture, ni vu ni connu. Pour rendre l’illusion parfaite, il se détransforma.

« Bien. Regarde derrière toi. »

Sohaïl plissa les yeux avec méfiance. Désarmé, il était une proie facile. Il recula légèrement et se retourna pour voir ce dont parlait Rôti. Il ressentit immédiatement un immense soulagement l’envahir. Il n’avait pas remarqué le dernier tableau de la salle duquel Olive sortait en décalant le cadre. Elle avança doucement, évitant le moindre mouvement brusque. Puis une fois à portée de main, Sohaïl l’attira contre lui.

« On peut y aller maintenant ? »

Rôti sembla hésiter un instant. Cela dura une éternité. Même avec ses pouvoirs, Sohaïl n’avait pas de force brut et, par conséquent, ne pouvait pas défoncer la porte au besoin. Il pria pour que la Vision tienne encore un long moment. Il s’y était beaucoup exercé.

« Sohaïl, dit Rôti. Passe un message à Chef pour moi, tu veux ?

– Pas de soucis.

– Dis lui qu’on ne m’écrase pas si facilement. »

Le Magical acquiesça. La porte de fer s’ouvrit et il poussa Olive dehors. Il resta un instant dans l’entrée, les yeux dans ceux du portrait en se demandant quel lien le manipulateur de ces toiles avait avec leur Chef. Il se demanda si ce qu’il avait pour mission de rapporter ferait chier Chef. Il renifla et sortit à son tour.

« Tu vois, j’avais raison quand je te disais qu’aller au musée n’était pas une bonne idée, lâcha-t-il pour faire retomber la pression.

– Oh, ta gueule, râla ‘Liv.

– Tout va bien ? »

La brune vacillait légèrement.

« J’ai beau avoir l’habitude de ce genre de merdes, ça reste compliqué.

– Ne dit pas que tu en as l’habitude. S’il te plaît. »

Sohaïl l’attrapa par la taille pour l’aider à tenir debout. Elle sourit tristement.

« En tout cas, tu avais raison.

– Comme toujours, parce que je suis un beau-gosse génial, rit Sohaïl.

– C’est ça. »

Elle rit à son tour en prenant sa main. Elle tremblait légèrement. Sohaïl décida qu’il ne pouvait pas faire de débrief de la situation pour le moment. Il attendrait d’être rentré pour parler de Rôti aux autres.

A cet instant, Olive avait besoin d’une pause pour souffler. Alors il lui proposa d’aller manger des glaces car il avait besoin de sucré après avoir combattu un rôti. Elle explosa de rire. Il entoura ses épaules d’un bras, déposa un baiser sur son crâne, et ils se mirent en marche.

AOUT 2020

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