Rencontre et première nuit.

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Le jeune homme s'occupa tranquillement le reste de la journée. Un copain de classe lui envoya les devoirs et après avoir mangé un simple sandwich, il joua en ligne avec ses potes.

Pendant qu'il s'amusait, Émeline rentrait en car, ignorant que quelqu'un était chez elle. Pour fuir le bruit environnant, elle avait vissé ses écouteurs dans ses oreilles et ils diffusaient du Noir Désir tout en relisant ses cours. Par chance, son nouveau logement se trouvait près d'un arrêt. Elle rangea ses affaires et sortit. Elle se fit siffler par un crétin mais continua son chemin, passant outre. Les clefs en main et les yeux sur l'écran lumineux, elle ne remarqua pas la voiture stationnée et la lueur dans le salon.

Il pensa à un voleur quand elle rentra et saisit le cutter qui lui avait servir à couper le scotch de ses cartons. Il stoppa sa partie en se déconnectant puis se souvint qu'il ne vivait pas seul et que ça devait simplement être elle.

La musique dans ses oreilles, elle ne s'aperçut de rien. Elle déposa ses chaussures au pied d'un fauteuil et en levant la tête elle le vit. Son cutter toujours en main, la lame sortie. Elle cria de surprise et de frayeur et son téléphone tomba par terre arrachant les écouteurs. Le seul bruit dans la pièce fut celui de l'écran plat qui diffusait le jingle du jeu. Pour se remettre de ses émotions, elle s'assit sur le sol, et le carrelage froid lui fit du bien. Il jeta son arme improvisée et courut lui chercher un verre d'eau. Elle entendait son coeur battre la chamade et les placards claquer. Elle esquissa un sourire quand il pesta car les verres étaient introuvables. Ayant déjà tout mémorisé, Line alla en chercher un dans le seul tiroir qu'il n'avait pas fouillé.

Elle se servit donc elle-même son verre d'eau fraîche. Il s'était senti alors un peu bête mais se reprit vite. Elle entama une conversation, sa frayeur passée :

— Heu, moi c'est Emeline. Tu, (elle inspira et prit de l'assurance pour finir sa phrase) tu es le deuxième locataire, c'est ça ?

— Oui, c'est ça. John, précisa-t-il en tendant la main.

Elle la serra et pensa intérieurement : que je suis bête, bien sûr qu'il est locataire, sinon il ne serait pas en train de jouer avec ses affaires déjà rangées dans la maison... ! Elle sourit, accueillante. Comme il ne disait rien, elle poursuivit :

— Tu as déjà mangé ?

— Oui, et toi ? Tu as besoin de quelque chose ?

Son approbation la prit au dépourvu. Elle refusa sa proposition, voulant montrer qu'elle pouvait se débrouiller seule. De toute manière, il aurait probablement mis trop de temps à trouver une casserole et des pâtes... Autant le faire elle-même. Em prépara donc son propre repas. Pas très causant, se fit-elle la remarque.

Au bout de quelques minutes, elle avait perdu espoir qu'il reprenne la parole, et ses rêves de colocataires s'étaient de nouveau volatilisés. Pourtant, il relâcha son attention de son téléphone pour la regarder et contre toute attente, lui parla. Elle apprit qu'il était au même lycée, qu'il avait pris sa journée pour emménager. Il s'excusa, chose qu'il n'avait pas faite avant, pour lui avoir fait peur. Elle l'informa, après qu'il l'ait plusieurs fois nommée par son nom complet, que son entourage préférait l'appeler Em ou Line et qu'elle souhaitait qu'il fasse de même. John révéla que quelques personnes pouvaient l'appeler Jo et lui donna ce privilège. Il fit ensuite des commentaires anodins sur le logement, pour éviter de parler de lui. Les couleurs de l'intérieur étaient sobres et neutres, ce qui lui convenait. Le sujet "occupation du bureau" fut abordé.

— On peut le transformer en chambre d'amis pour dépanner... Ou on rajoute une table et une chaise et comme ça on le partage, proposa Em.

— C'est une bonne idée. La deuxième, je veux dire.

Il tourna la tête un instant et ferma les yeux. Rapidement, il lui refit face et continua :

— Je n'ai pas beaucoup d'amis, ça m'étonnerait qu'on ait besoin d'une chambre pour ça. Autrement, on achète un matelas et l'invité dort dans la chambre de l'hôte.

— D'accord. Je ne te juge pas, tu sais. J'ai peu d'amis aussi, mais ce sont des vrais amis. Honnêtement, je veux bien te le laisser pour toi tout seul, car je préfère travailler dans ma chambre, tranquillement. Non pas que tu me déranges !, s'écria-t-elle confuse. Mais je suis plus à l'aise, en plus j'aime bien travailler sur mon lit...

Finalement, John accepta le bureau pour lui en lui assurant quand même que si elle en avait besoin, la pièce serait aussi à elle. Elle le remercia, et pour le décoincer, elle décida de parler de sa vie, en se disant que s'il en savait plus sur elle, il parlerait. Sujet qu'il avait réussi à esquiver pour l'instant. Elle se lança :

— J'ai une soeur, Jade. Mon père s'est remarié après la mort de ma mère. Si je suis ici, cette année, c'est que je n'avais pas trop le choix, enchaîna Emeline, je devais aller à l'internat puis être chez moi. Je n'avais pas envie. Il y a trois semaines je pensais qu'il n'y avait pas d'autre alternative, je n'ai pas de copain donc pas de possibilité d'habiter avec quelqu'un. Heureusement, ma meilleure amie Lyane, a trouvé cette maison et je ne la remercierais jamais assez ! Ce lycée est bien, en plus les gens ne sont pas racistes, ce qui m'arrange ! Je suis en terminale littéraire. Et toi ?

Elle était à court de choses à raconter à un homme qu'elle connaissait à peine et comme lui, il y a des sujets qu'elle préfèrait éviter. Les deux derniers mots furent tout ce qu'elle avait trouvé pour lui passer la parole. Il s'humecta les lèvres et se redressa en passant sa main dans ses cheveux bruns. Elle remarqua que ceux-ci étaient impeccablement taillés, sans doute un passage récent chez le coiffeur. Il fit une moue étrange, due au fait qu'il se mordait l'intérieur des joues, hésitant et effectuant un combat intérieur.

— J'ai une vie plutôt compliquée... commença Jo. Je crois que ma grand-mère est la seule personne qui compte vraiment pour moi. Je vais t'épargner le côté familial, je pense que je n'aurais pas la force d'en parler de toute façon... Je suis aussi en terminale littéraire. Si je suis ici, c'est grâce à mon coiffeur.

Bingo ! songea son interlocutrice avant de se reconcentrer sur ses paroles.

— Je ne peux et veux pas loger chez moi donc chaque année je cherche un logement étudiant. Je viens de le trouver, c'est pour ça que je n'étais pas en cours. J'ai un peu flippé en sachant que j'allais être avec une fille, mais en fait ça va, tu es sympa.

Elle observa le sourire franc, le premier vrai sourire de la soirée, qui illuminait le visage de John. Il vit que Line ne put s'empêcher de répondre à son sourire. Comme plus personne ne parlait, elle alla ranger la vaisselle. Ils rirent losqu'ils bâillèrent ensemble. Il lui fit un clin d'oeil en ajoutant que ce serait pour une prochaine fois. Elle acquiesça, demain étant mercredi, ce qui signifiait une demie journée de cours mais quand même ! Du repos serait bien mérité ! Elle se changea dans sa chambre verrouillée et lui dans la salle de bain. Presque prête, elle sortit en direction de la salle d'eau, il n'y était plus. Elle se brossa les dents se mit de la crème de nuit et retourna vers sa chambre. Jo se tenait au chambranle de la sienne, attendant quelque chose. Elle se reprit : quelqu'un ; moi, et se retint de froncer les sourcils. D'une voix rauque, déjà ensommeillée, il lui souhaita une bonne nuit et partit. Elle le lui souhaita aussi et il fit volte-face. Emeline ne sut pas déchiffrer son regard en entier mais eu l'impression qu'il y avait une lueur d'ironie dans le mélange vert de ses yeux. Elle referma la porte et ses sourcils se froncèrent, dessinant une ride profonde sur son front. Elle s'enfouit sous la couette et se laissa emporter par Morphée.

De son côté, John laissa échapper un léger rire amer. Elle m'a dit "bonne nuit". Putain... Si elle savait, pensa-t-il. Sa paupière droite tressauta, nerveusement. Il posa ses doigts froids dessus, et s'efforça de se calmer. Après ses exercices de respiration, il se coucha et ferma les yeux en vidant sa tête. Morphée, sans doute bien occupé par sa voisine, tarda à venir le prendre.

Toutes les pièces étaient plongées dans le noir et le silence. Les volets gris et électriques étaient baissés. Du couloir, on pouvait parfois entendre les draps se froisser ou un petit ronflement. Dans les herbes courtes du jardin, des criquets chantaient et une chouette hulula dans des arbres proches. Un petit vent se leva mais resta discret. La nuit avait visiblement décidé d'être calme et reposante pour les deux pseudo-adultes. C'est alors qu'un hurlement puissant brisa le charme de la nuit parfaite. En même temps qu'il avait crié, John s'était redressé. Il avait repris son souffle après que sa voix se soit brisée. Encore ce cauchemar, ce putain de cauchemar. Je n'en peux plus. Il cacha sa tête et ses larmes dans ses paumes moites. Il se plia vers l'avant, vers ses genoux et gémit à fendre l'âme.

Emeline s'était réveillé à cause du cri. Comme le silence était retombé, elle crut avoir rêvé. Elle tendit l'oreille puis consulta son réveil : 3 h07. Quand John gémit, fort, elle sut qu'il y avait un problème... Un gros problème. Elle sortit de son lit et frissonna, elle n'avait pas froid mais elle commençait à s'imaginer des scénarios. Un intrus s'en prenait à son voisin, ou celui-ci se transformait en monstre... Non, reste rationnelle, reste calme, ça va aller, tout ira bien, se répéta Line. Elle déglutit fortement et manqua de s'étouffer avec sa salive, de panique. Arrivée à la porte, elle faillit faire demi-tour et se précipiter sur son lit mais elle se motiva avec la certitude que Jo allait (très) mal. Traverser le couloir lui parut interminable tandis qu'elle entendait sangloter et gémir. Dans quoi est-ce que je m'embarque ? Ce gars est super musclé, n'oublie pas qu'il t'a accueillie avec un cutter. Un CUTTER, Em... Réfléchis, trouve une solution, vite ! Elle était bloquée devant la ladite chambre, avec, en prime, son cerveau paniqué. Elle inspira à fond et toqua, en apnée.

— John ? Je peux entrer ? Je... Je t'ai entendu crier...

Elle se mordit la lèvre. Seul un grognement vague lui répondit. La peur enfantine d'un monstre revint au galop. J'ai lu trop de livres... Allez, ouvre cette putain de porte Line !! Heureusement, elle avait eu la décence de se saisir de son smartphone avant de trouver le courage d'avancer dans le bâtiment plongé dans l'obscurité. Elle appuya sur la poignée et fut déstabilisée qu'elle s'ouvre aussi simplement. Elle activa la fonction "lampe" pour voir clair et pour ne pas éblouir son colocataire. Elle crut qu'il n'était pas là car elle ne le vit pas sur le lit. Elle s'approcha et le découvrit au bord de son lit, tout au fond, dans le coin du mur. Ses jambes musclées repliées contre son torse nu et la tête dans ses mains, elles aussi sur le dessus de ses genoux, ce fut tout ce qu'Em vit de John. Ses cheveux bruns étaint désormais en bataille contrairement à quelques heures plus tôt. Il émettait toujours des bruits entre le gémissement, le cri et les larmes. La douleur, c'est le bruit de la douleur. Le pauvre...

— Qu'as-tu ?

Quelque chose ressemblant à un soupir l'informa que ce n'était pas la bonne question. Elle retenta :

— As-tu besoin de quelque chose ? Veux-tu que je m'en aille ?

Un son évoquant un "non" résonna dans la pièce et John dégagea un de ses bras pour la chercher à tâtons et attraper son poignet. OK, ça veut dire que je dois rester. Tout ce qu'elle trouva à faire fut de caresser son dos et de le frotter. Il s'était figé et tendu quand sa main s'était posée sur lui mais il l'avait laissée faire. Le silence gagnait du terrain. La respiration saccadée se calma petit à petit. Emeline l'observait avec un regard inquiet, et elle avait l'impression que c'était Jade et non John qu'elle avait à côté d'elle. Cette image lui donna un pâle sourire. Son compagnon finit par relever son visage. "Dévasté" fut le seul mot qui vint à l'esprit de la jeune fille. Avant, elle n'avait pas vu, mais il avait de gros cernes sous ses yeux désormais rougis et gonflés par les larmes qui venaient de couler. De la morve coulait de son nez. Ses joues un peu creusées contrastaient fortement avec sa musculature et son physique général ; grand et imposant. Malgré ça elle le trouva joli... En pleine forme il doit être beau... Quel esprit tordu et pervers... Il est au plus bas devant toi et tout ce que tu penses c'est qu'il est joli, non mais sérieusement ?! Morigéna sa conscience. Elle mit sa pensée de côté mais ne la regretta pas pour autant. Une voix cassée l'interrompit :

— Emeline, peux-tu allumer la lampe de chevet ?

Elle s'aperçut de l'effort qu'il avait fourni pour prononcer cette phrase sans pleurer ni bégayer et répondit doucement :

— Oui, bien sûr ! Attention aux yeux...

Elle-même fut éblouie par la lumière vive et crue. John déplia ses jambes et elle mata ses abdos, et détourna le regard quand elle s'en rendit compte.

— Me... Merci d'être restée.

Elle ne s'y attendait pas et bafouilla :

— Heu... Bah... De rien... Hum !

Un vague sourire étira les lèvres de l'homme assis près d'elle. Comme il avait l'air mieux elle demanda :

— Je peux retourner dormir, ou tu préfères que je reste encore un peu ?

John détourna le regard, certain que si elle le regardait, elle verrait ce qu'il pensait et ce dont il avait envie. Il répondit néanmoins qu'elle pouvait aller dormir. Dès qu'elle referma la porte, il posa sa tête à l'endroit où elle s'était tenue. Son odeur, imprégnée sur le tissu, le rassura et il se rendormit rapidement, à sa grande surprise et à sa grande joie.

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