Sam

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Des nappes de poussières s’élevèrent de l’allée caillouteuse qui menait au bar Chez Richard. Lorsque la voiture fit halte, Daniel scruta d'un œil attentif ses rétroviseurs obstrués par la saleté. Après que le moteur gémissant fut coupé, le silence se fit.

"Aucun véhicule, songea Daniel. C'est bon signe."

— Qu'est ce qu'on attend ? J'ai soif.

Pris dans ses pensées soucieuses, Daniel en avait presque oublié la présence de Sam.

— Depuis quand t’es assoiffé toi ? Je t’ai retiré cette fonctionnalité, tu me coûtais trop cher en whisky, grogna Daniel en sortant du véhicule.

La chaleur se faisait étouffante. Le soleil, haut dans le ciel, dardait des rayons que Daniel ressentait comme de véritables coups de fouet sur son crâne dégarni. Alors que Sam venait d'ouvrir la portière à son tour, Daniel intima à son robot de rester dans la voiture.

— Tu restes là ! (Il désigna l'établissement d'un doigt menaçant). On ne sait pas ce qui s’y cache.

— Mais, Daniel, vous avez dit qu’on pouvait lui faire confiance.

— Oui, mais nous ne sommes pas certain qu’il soit seul. Reste dans la voiture et attends que je revienne.

La moue boudeuse, le robot referma la portière. Daniel, le front déjà luisant, s’engagea d’un pas hésitant dans la petite allée. Arrivé devant la porte en bois, il jeta un coup d'œil à sa voiture et franchit la porte.

Dans le bar sombre, la climatisation entretenait une température agréable. Après avoir pris une bouffée d’air frais, le visiteur se dirigea vers le comptoir. À plusieurs reprises, il balaya du regard l’établissement silencieux, et, après un soupir de soulagement, il s’avoua enfin qu’il était le seul client. Alors qu’il commençait à se demander si le propriétaire était vraiment présent, Richard, un torchon à carreaux posé sur l’épaule, surgit de l’arrière cuisine en sifflotant.

— Pas de panique, je suis là, j’ai entendu la porte qui…

Bouché bée, le propriétaire s’immobilisa, puis, après un court silence, poussa une exclamation de joie.

— Daniel ! Quelle bonne surprise. Depuis le temps, je savais qu’un jour ton vieux Richard te manquerait.

— Qui te dit que je suis venu pour toi ? Je suis peut-être juste ici pour manger un bout et me désaltérer car ce fichu bar est le seul sur deux cent kilomètres.

Les deux vieux amis se mirent à rire puis, naturellement, s’enlacèrent en se tapotant le dos.

— Tu transpires, constata Richard en rejoignant le comptoir. Tu peux prendre une douche si tu veux. Tu peux même dormir ici ce soir. Je te rappelle que je fais aussi hôtel et, comme tu peux le voir, les clients manquent cruellement ces temps ci. D’ailleurs, tu ne m’as pas dit ce que tu faisais dans les parages.

Tournant les talons, Daniel se dirigea vers la sortie.

— Malheureusement je suis pressé, dit-il en passant la porte du bar.

Là, il disparu sans explication, faisant naître tout un tas de questionnements dans la tête de Daniel. Puis, avant que le propriétaire ne se rue vers l’entrée du bar pour vérifier si son ami n’avait pas déguerpi aussi vite qu’il était arrivé, la porte s’ouvrit à nouveau, dévoilant la silhouette de Daniel, accompagné de son robot.

Le verre à pied s’échappa de la main du barman et se brisa d’un bruit harmonieux. Alors qu’un silence venait de s’établir, le robot prit la parole.

— Je peux le réparer si vous voulez. Cette option est comprise dans mes programmes. Mon maître boit beaucoup et il lui arrive souvent de…

— Tais toi ! lança sèchement Daniel.

Après avoir difficilement repris ses esprits, Richard, toujours muet, s’éclipsa dans la cuisine, puis ressortit avec un balais et une pelle.

— Écoute, dit Daniel d’une voix coupable, je comprends que je te fais prendre un risque. On peut partir sur la champ si tu veux.

— Je croyais que les robots avaient tous disparu.

Sa voix s’était faite aiguë. Alors qu’il ramassait les morceaux de verre, ses mains tremblaient. En se relevant, il s’efforça de ne pas croiser le regard du robot.

— Effectivement, en deux ans, les huit milliards de robots présents sur Terre ont tous été saisis par les autorités, sauf moi, déclara Sam avec fierté. Je suis le robot le plus recherché au monde. Une prime de plusieurs millions…

— Ça suffit ! hurla Daniel. Si tu continues, je te débranche.

Le robot baissa sa tête métallique vers le sol.

— Tu es dingue Daniel, soupira Richard en allant jeter les débris à la poubelle. Pourquoi tu prends tous ces risques ?

— Ils n’avaient aucune raison de le faire. C’est un véritable génocide auquel on assiste depuis deux ans, et personne ne réagit !

— Ils devenaient dangereux pour l’humanité, tu le sais. On ne va pas revenir là-dessus !

La voix de Richard se faisait agressive.

— Bon, allez, on y va, décréta Daniel à l’attention de Sam qui scrutait toujours le sol, comme un enfant qui boude.

Accompagné d’un geste précipité, Richard les interpela.

— Ça va, ça va. Après tout, on est amis depuis plus de quarante ans. Le prochain bar est à quatre heures de route. Je ne vais pas vous chasser comme une vieille paire de chaussettes, surtout dans ce four à ciel ouvert.

— Merci infiniment, dit Daniel. On ne sera pas long.

Richard dégota une bouteille de whisky et servit deux verres généreux.

— Voilà de quoi patienter, fit Richard. Je vais nous préparer à manger.

Avant de disparaître, le propriétaire, avec des sourcils interrogateurs, désigna Sam du doigt.

— Non, fit Daniel. Il ne mange pas.

Après avoir avalé son verre de whisky d’un trait, Daniel s’essuya la bouche en tapotant le dos métallique du robot qui boudait encore.

— Allez, fais pas cette tête. Je t’ai pas interdit de parler. Et tu sais bien que je prends tous ces risques pour toi.

Le sourire revint sur les lèvres du robot qui se redressa aussitôt, balaya le bar du regard et déclara:

— Regardez Daniel, un jeu de fléchettes, comme on en faisait autrefois. Je suis certain que je peux vous battre.

— Je n’en doute pas une seconde, avoua Daniel. Mais on a pas le temps pour ça. Je te rappelle que tu es le robot le plus recherché au monde.

Tout à coup, le sourire de Sam s’évanouit. Il resta silencieux un moment, sembla s’absenter mentalement. Daniel, qui admirait la beauté et la simplicité de l'établissement boisé, mit du temps à remarquer l’attitude absente de son robot.

— Sam, est-ce que ça va ?

Au terme d’un nouveau silence, le robot reprit ses esprits.

— Oui, maître.

— Et arrête de m’appeler maître. Tu sais bien que je n’aime pas ça.

Peu après, Richard surgit de l’arrière cuisine, une assiette fumante dans chaque main.

— À table ! déclara-t-il.

Daniel s’efforça de ne pas avaler son assiette en une bouchée. Lui et son ami relatèrent leur passé à l’armée, énumérèrent les multiples anecdotes qui les avaient lié. Ils finirent sur les raisons qui les avaient poussés à s’éloigner l’un de l’autre une fois leur retraite arrivée, Richard à ouvrir son bar dans ce qui s’appelait l’Arizona avant l’unification des Etats Occidentaux, et Daniel à profiter de sa modeste retraite au fin fond de la Provence française. Puis il y avait eu la loi d’octobre 2078 qui avait poussé Richard à remettre aux autorités ses deux robots de compagnie. Daniel, lui, n’avait rien voulu entendre. Pour rien au monde il ne se séparerait de son robot, confident et meilleur ami.

— Merci encore pour tout, conclut Daniel en confiant deux bouteilles d’eau à Sam.

Daniel adressa un regard à son robot.

— Toujours rien dehors ?

Après avoir consulté l’un des écrans qui ornaient son avant bras droit, Sam répondit par l’affirmative.

Mais, cette fois-ci, il ne regarda pas son maître dans les yeux, ce qui interrogea Daniel. Son robot n’avait presque pas ouvert la bouche du repas, ce qui ne lui ressemblait guère.

Après d’ultimes remerciements, Daniel se dirigea vers la sortie, Sam et Richard lui emboîtant le pas. En passant la porte, tout se passa très vite. Derrière lui, il entendit Richard protester, demander à Sam de le détacher.

Là, à droite, à gauche, en face, une multitude de voitures de police, stationnées silencieusement. Tandis que des hélicoptères s’élevaient au loin, le soleil luisait sur les armes pointées.

— Vous êtes cernés, rendez-vous ! hurla l’un des policiers, un haut parleur à la main.

Alors que la terreur tétanisait Daniel, Sam s'accroupit, approchant sa tête de celle de son maître.

— Nous avons peu de temps, hurla Sam en dominant le tumulte. Ecoutez-moi attentivement.

Hors de lui, Daniel jeta un regard vers la porte du bar.

— Je vais le tuer ! hurla-t-il.

Sam posa ses deux mains sur les épaules de Daniel.

— C’est trop tard, il vous a trahi. L’un de mes programmes a intercepté l’appel tout à l’heure, mais je n’ai pas pu couper la liaison. Alors j’ai fait ce que j’ai pu. Les policiers pensent que c’est vous qui les avez prévenus. J’ai modifié le numéro appelant, et remplacé sa voix par la vôtre. Heureusement, Richard n’a pas donné d’autres informations, faute de temps. J’ai modifié ma mémoire afin d’apporter les preuves que Richard me cachait dans ce bar depuis deux ans. En sortant, je l’ai attaché à un des piliers.

— Et toi dans tout ça ?

Mais il connaissait la réponse.

— C’est fini pour moi, Daniel. Me métamorphoser en humain n’est pas prévu dans mon algorithme.

Les hélicoptères se posèrent autour de l’établissement, repoussant la poussière brûlante. Leurs armes toujours menaçantes, les policiers ordonnèrent aux deux amis de se mettre à terre.

— Il est à l’intérieur ! hurla Daniel. C’est moi qui vous ai appelé !

— Il a attaché mon maître à l’intérieur, ajouta le robot en simulant des sanglots.

Sam échangea un clin d'œil avec Daniel, les yeux embués de larmes.

— Mettez-le à couvert ! commanda le chef à ses hommes en désignant Daniel du menton. Emportez le robot dans le véhicule blindé et téléchargez sa mémoire avant de le détruire.

Alors que des policiers prenaient d’assaut le bar, Daniel se laissa escorter. La tristesse lui serrait le cœur. Des sanglots le saisissant, il regarda une dernière fois Sam se faire emporter par les hommes armés. Avant de monter dans le camion blindé, le robot envoya un dernier clin d'œil métallique à son maître.

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