Chapitre 21 - 1162

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Après un dérapage qui fait crisser les gravillons du parking sous les pneus de ma moto, je file vers un étroit sentier de terre. Mila n'ayant pas de casque, je ne veux pas prendre le risque de passer par les routes, autant choisir les chemins de traverse. Je m'enfonce rapidement dans le petit bois qui jouxte le lycée me levant sur mes cales-pieds à chaque trou que je prends soin de ne pas éviter. Mila est secouée et râle fortement tandis que je ris.

— Baudry, espèce d'enfoiré ! Tu vas nous tuer... dit-elle en me frappant dans le dos.

Il a encore plu cette nuit et en passant sur les flaques d'eau, les crampons de ma moto nous aspergent de boue. Les bas de mon pantalon sont tâchés. Ceux de ma coéquipière ne doivent pas être mieux. Nous arrivons à l'orée d'un petit talus où les branches épineuses des aubépines me griffent les manches du blouson.

Mila s'agrippe de plus belle à ma taille et pose sa tête dans mon dos pour se protéger le visage. Je n'aime pas sentir une présence derrière moi. Je déteste cette sensation de chaleur qui se répand en moi. Je préfère ralentir, je veux que Mila me lâche, je n'aurais jamais dû la laisser monter. Heureusement, nous ne sommes plus très loin de chez elle. J'aperçois le carrefour au bout du chemin. Je coupe le moteur pour terminer à pied. Nous descendons tous les deux de moto. Je retire mon casque et l'accroche au guidon.

— T'es fier de toi ? me demande Mila en détaillant ses baskets et son legging tout trempé.

Je hausse les épaules, puis je pousse sur le guidon pour avancer. Ma moto est lourde, mais c'est plus prudent. Je ne voudrais pas tomber sur les flics et me prendre une amende.

Mila marche à côté, les bras croisés. Parfois, je suis mal à l'aise quand on est en tête-à-tête. Je ne sais pas quoi lui dire alors je préfère me taire. Pourtant, ça n'a pas toujours été ainsi. Lorsque nous étions plus jeunes, nous avions moins de filtres. Quand on est enfant, on se pose moins de questions, on agit instinctivement, sans réfléchir. Les discussions sont plus limpides, sans a priori.

— Baudry, tu ressens quoi pour Margaux ?

Je soupire bruyamment... Pourquoi mes sentiments intéressent-ils autant de monde ? Damien et surtout Flavien sont constamment en train de me questionner sur cette fille.

— Je l'aime pas ! Pourquoi ?

— Je sais pas, parfois j'ai l'impression que tu es amoureux d'elle et que tu te venges parce qu'elle ne veut pas de toi.

J'arrête ma moto et je la mets sur béquille.

— Tu plaisantes ? Je déteste cette fille ! Elle m'a fait chier tout le collège. Elle est mauvaise, rabaissante, orgueilleuse... Quand elle est dans les parages, j'ai envie de la gifler. Il y a autre chose que tu ne sais pas sur miss parfaite : c'est une droguée !

— Qu'est-ce que tu racontes ?

Je m'appuie sur ma moto. Mila est face à moi, intriguée par ce que je lui dis. J'ai peut-être trop parlé...

— Non, rien ! Laisse tomber.

Je soupire en repensant à cette histoire de clé USB.

— Bah, si, tu as l'air d'avoir des informations intéressantes.

J'hésite, j'ai bien envie de tout déballer. Ça permettrait à Mila d'ouvrir enfin les yeux. Au pire, qu'est-ce que je risque ? Margaux ne va pas se vanter que j'ai pris son sac, elle ne peut que démentir. M'accuser, serait reconnaître que je dis la vérité sur les drogues qu'elle a pris..

— Margaux prend parfois des amphétamines pour pas grossir...

— Comment tu sais ?

— Je sais, c'est tout !

Mila réfléchit en fronçant les sourcils et en se mordant la lèvre. Elle a des petites mimiques qui lui vont plutôt bien. Je ne devrais pas la regarder comme ça avec insistance mais j'ai du mal à la quitter des yeux. Parfois elle est énervante et d'autre fois, comme en ce moment, je ne sais pas quoi penser d'elle.

— D'accord ! finit-elle par dire. Moi, j'ai rien remarqué. Et je pense que si c'était vrai, je l'aurais vu.

— Sauf que c'est pas régulier.

— Bon arrêtons de parler d'elle. Baudry, tu me dois un pantalon et une paire de chaussures ! Je suis dans un état pitoyable... Tu vas donc payer !

Je souris en la voyant minauder devant moi. Ça l'énerve que je me moque d'elle et pour se venger, elle prend son élan et saute dans la flaque juste devant moi pour m'éclabousser. Je reçois de la gadoue jusque sur mon visage.

— Hey, mais t'es malade ? râlé-je en m'essuyant d'un revers de manche.

— Pas plus que toi sur ton bolide ! Et je te rappelle que c'est moi la plus forte !

Mila m'affronte du regard mais je préfère l'ignorer.

— Dans tes rêves...

— Montre-moi ! À moins que tu aies oublié comment on se bat ?

Mila fait un pas en avant et positionne ses deux mains comme pour attraper ma garde, sa main gauche sur ma manche droite et sa main droite sur mon col, du côté gauche de ma tête. Je préfère couper court à sa tentative d'attaque ou d'approche. Je m'échappe en me délivrant de son emprise. Je tourne sur moi-même et j'annonce :

— Bon, je vais y aller...

— Pourquoi chaque fois qu'on aborde le sujet du judo, tu esquives ? On a passé des supers moments, non ?

Je ne veux pas parler de cette aventure, et encore moins avec Mila. Je prends mon casque mais Mila me retient avec ses paroles :

— Baudry ! Pourquoi tu as arrêté ? On s'amusait bien. On partait en compétition, on avait une bonne équipe. Et tu étais plutôt bon, donc je ne comprends pas.

Je ne réponds pas. Jamais elle ne pourra comprendre comment le judo a détruit ma vie.

— Baudry, tu ne peux pas rayer tous les bons moments comme ça. On se marrait bien. Tu te souviens de la bataille d'eau géante du stage de Judo à Mont-de-Marsan ? On était censés se doucher avant de rejoindre les dortoirs. Ça avait complètement dégénéré : les filles contre les garçons. Jean-Marie, notre prof de judo, t'avait coursé avec un seau d'eau glacée.

Mila se moque de moi et s'esclaffe gentiment mais je n'ai pas envie de rire. Je conclus sèchement en lui demandant :

— Tu peux finir le chemin sans moi ?

J'enfile mon casque et Mila, qui ne comprend pas ma réaction, pose sa main sur mon avant-bras pour me retenir.

— Je dois y aller…

J'appuie violement sur le kick pour fuir. Je veux simplement oublier. Ma vie a changé, je ne suis plus cet adolescent.

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