Prologue (1502 mots)

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— Je t'ai dit de pas me regarder ! hurlé-je furieusement dans les oreilles de Margaux.

Je la maintiens contre le mur. Une main sur sa gorge, je l'empêche presque de respirer. Je contiens l'étranglement, juste assez pour que son teint devienne rouge et que ses yeux me supplient d'arrêter. Sous mes doigts, je sens son sang pulser dans ses veines. Son pouls s'accélère progressivement. Si je n'étais pas habité par cette haine qui me consume quand je suis face à elle, je m'attarderai à remarquer la douceur de sa peau, l'odeur fruitée de son parfum ou même la belle couleur bleue de ses yeux. Son corps frémit sous mes gestes et je me sens puissant. Quand je lui fais mal, je me venge de tout ce que j'ai subi et ça purifie mon âme de la colère qui y siège. Je la contrôle.

— Baudry, s'il te plaît, marmonne-t-elle avec difficulté.

Depuis longtemps, elle a saisi que pendant nos affrontements, elle ne devait pas bouger. Plus elle se débat et plus je resserre mon emprise. Alors elle préfère pleurer silencieusement, reniflant par intervalles irréguliers. Les larmes ruissellent sur ses joues et viennent caresser délicatement mes doigts crispés autour de son cou. Lorsque ses yeux rouges et emplis d'effroi, à demi-masqués par ses longs cheveux défaits, plongent dans les miens, je ne le supporte pas.

Je la gifle sauvagement, lui ordonnant :

— Me regarde pas, je t'ai dit ! Tourne-toi ! Tourne-toi !

Je ne me maîtrise plus. La violence circule dans mes veines gonflées et la rage prend possession de mon corps tendu. Nous sommes seuls à l'intérieur du vestiaire. Midi est passé et personne ne viendra nous déranger avant une bonne heure. Je relâche à peine ma prise, juste assez pour que Margaux pivote promptement sur elle-même. Avec violence, je me presse contre son dos. J'ai envie qu'elle connaisse l'enfer que je vis, je veux lui faire mal et la faire souffrir. Je souhaite tellement la punir de l'humiliation que j'ai supportée par sa faute en cinquième...

***

Quelques années plus tôt.

— Suite aux plaintes des professeurs, concernant un excès de bavardages, j'ai revu le plan de classe, nous annonce fièrement Madame Delta, mon professeur principal de cinquième.

Pendant qu'elle déballe les affaires de sa sacoche en cuir, je me permets un regard en direction de mon voisin. Il hausse ses sourcils noirs et épais ce qui fait bouger ses lunettes. Chacun de nous sait très bien qu'il est rare de pouvoir rester toute l'année à côté de son meilleur ami. Pourtant, j'étais plein d'espoir et comme Damien, j'ai fait beaucoup d'efforts pour ne pas me faire remarquer depuis notre rentrée. Nerveusement, je cherche dans ma trousse ma paire de ciseaux. Certaines personnes ont besoin de mordiller un capuchon de stylo, d'autres de dessiner. Moi, je passe mes nerfs en mimant de découper ou en faisant tourner mes ciseaux autour de mon doigt, comme un cow-boy le fait avec son révolver.

Madame Delta règle le rétroprojecteur situé au centre de la classe. Elle pince ses fines lèvres et fait claquer sa langue en posant la feuille transparente qui scellera mon destin. Dans sa tenue stricte, toujours tirée à quatre épingles, elle arbore un air sévère qui lui donne la réputation d'être une enseignante tyrannique.

Je croise les doigts en y réfléchissant plus profondément, elle n'a pas grand chose à nous reprocher. Damien et moi ne nous sommes jamais fait remarquer. N'étant des élèves ni modèles, ni indisciplinés, peut-être nous laissera-t-elle à côté.Au fond de moi, j'émets un deuxième vœu que je ne formulerai jamais à voix haute. À défaut de Damien, je veux bien me contenter de Margaux. Je pense très souvent à elle sans pour autant avoir osé l'approcher. Si le hasard pouvait jouer en ma faveur et me permettre de la côtoyer de plus près, je ne m'en plaindrai pas. En plus d'être belle, Margaux a cette approche pragmatique que les autres adolescentes n'ont pas. Toujours souriante et volontaire, elle est appréciée de tous ceux de notre âge mais également des plus vieux. Moi, ce que j'aime particulièrement, c'est son sourire. Il éclaire mes journées et bien entendu mes nuits. Et pour couronner le tout, Margaux jette très souvent des regards songeurs dans ma direction qui me laissent à penser qu'elle ressent la même attirance que moi.

— Un peu de silence, s'il vous plaît ! hurle mon professeur, les mains sur les hanches.

Aussitôt les élèves se concentrent sur l'écran allumé. Chacun cherche son nom avec une pointe d'inquiétude, avant de laisser pour certains exploser leur joie et pour d'autres, leur colère. Dans le brouhaha collectif, je n'ai toujours pas repéré où je me situe. Je cogne nerveusement la pointe de mes ciseaux sur le bureau en lisant la projection. Damien me tape sur l'épaule pour m'indiquer qu'il se retrouve à côté de Charline. Quand bingo, je découvre enfin que Margaux sera ma voisine ! Mon cœur s'emballe tellement que je n'ose pas me tourner vers elle. Je sais qu'elle est actuellement deux bureaux derrière moi et je l'entends chuchoter pour partager son ressenti avec ses amies.

— Taisez-vous, maintenant ! ordonne sèchement Madame Delta en dévisageant chacun d'entre nous comme si elle allait nous sauter à la gorge.

Quand elle s'énerve, elle ressemble à un chien enragé et j'avoue qu'elle me fait peur.

— Ramassez vos affaires, nous allons procéder aux changements de places dans le calme et seulement quand je le dirai monsieur Aymand, s'il vous plaît !

Madame Delta fait signe à Flavien de se rasseoir. Il est compté parmi les plus turbulents. En suivant avec son crayon sur l'écran lumineux du rétro, elle nous appelle à tour de rôle pour que nous déménagions. Je suis à la fois triste de quitter Damien et impatient de découvrir un peu plus la personnalité de la jolie Margaux. Je finis de rassembler devant moi mon sac avec les quelques livres et cahiers que j'avais dans mon bureau. Puis je me lève en entendant mon nom pour me positionner à l'endroit indiqué par mon professeur. Quelques secondes plus tard, Margaux me rejoint la mine boudeuse. Je peux comprendre qu'elle soit contrariée de quitter sa copine. Je ne lui tiens donc pas rigueur de son attitude jusqu'à ce qu'elle se penche vers moi pour me faire une grimace méprisante.

Ma réaction est immédiate : je me tourne vers l'enseignante en ignorant totalement ma voisine. Je suis déçu de son comportement mais je jure au fond de moi de faire tout mon possible pour qu'elle m'apprécie. Je me cale bien de mon côté en respectant la limite imaginaire du milieu du bureau afin qu'elle n'ait rien à me reprocher et surtout j'évite tout regard dans sa direction jusqu'à la fin du cours. En se levant, elle se recoiffe fièrement devant ses deux amies qui l'attendent. Puis elle tire sur sa jupe qui est remontée quand elle a levé les bras et fait sa queue de cheval. Je ne bouge pas du bureau, faisant mine de lire un message sur mon portable. Elle en profite pour me toiser et s'adresser à moi d'un ton arrogant :

— Bon écoute Baudry, que les choses soient bien claires entre nous ! Premièrement, tu ne me parles pas. Deuxièmement, tu ne me touches pas. Troisièmement, tu ne me regardes pas. Et pour info, je n'ai pas eu le choix d'être à côté de toi en cours, autant dire que si ça avait été le cas, jamais je ne t'aurais choisi.

Je déglutis en cherchant où je pourrais fuir pour ne pas entendre son insupportable déclaration. Pourtant, je demeure immobile, incapable d'esquisser le moindre mouvement face à la violence et la gratuité de son attaque. Ses deux copines me fixent en pouffant de rire dans le dos de Margaux. Tous leurs yeux sur moi m'intimident. Je ne sais pas comment répondre. Je panique. Une furieuse envie de lui arracher la langue m'envahit. Ne plus entendre ce qu'elle vocifère, c'est tout ce que je demande. Mais je ne réagis pas, tellement je suis paralysé par la honte. Je plonge nerveusement mes mains dans mon sac, mimant de chercher quelque chose mais je ne sais pas quoi. Arguant d'un air supérieur, un grand sourire aux lèvres, elle continue :

— Non mais c'est vrai quoi ! Tu t'es vu avec tes boutons plein la gueule ? Sérieux, tu es moche, répugnant, tu pues le renfermé, c'est un véritable supplice pour moi d'avoir à passer toutes ces heures à côté de toi ! Alors, n'en rajoute pas, s'il te plaît !

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