Écouter Paris

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Josette est à l'heure, comme d'habitude. Il est toujours 8h30 précise au moment où elle arrive sur son banc favori, sur le Champ de Mars, à quelques pas de la fabuleuse Tour Eiffel. Comme tous les matins, elle est accompagnée de son fidèle cocker, Mojo, et elle porte des vêtements discrets ainsi que son pendentif, cachant la photo de son regrétté mari, Raymond.

En s'installant, elle pose toujours sa canne sur sa gauche, son sac à main sur sa droite, et elle en extirpe la même boîte métallique qu'elle utilise depuis des années pour nourrir les oiseaux qu'elle croise des graines qu'elle achète dans l'animalerie près de chez elle. Mais tout ceci n'est qu'une partie du rituel matinal de Josette. Sa principale activité n'est pas de sympathiser avec les volatiles, mais de profiter de tout ce qu'elle entend.

Elle a toujours aimé voyager, Josette. Et son ancien travail d'hôtesse de l'air avait parfaitement comblé son envie de partir aux quatre coins du monde, sans compter que Raymond était pilote de ligne. Ils avaient fait le choix de ne pas avoir d'enfants, mais aussi de ne pas avoir de regrets, au grand dam de leurs parents à l'époque.

Mais aujourd'hui Josette est seule, âgée, et elle aurait bien du mal à supporter de rester des heures assise dans un avion pour explorer le monde. Alors elle va au Champ de Mars tous les jours, elle se pose, et tend l'oreille, bien que cette dernière soit dotée d'un appareil auditif pour l'aider a comprendre ce qui l'entoure.

Elle profite des quelques chants d'oiseaux qui lui parviennent parfois d'un arbre voisin, elle s'amuse à deviner à quel véhicule correspond quel bruit de klaxon, elle porte parfois son attention sur les bruits des tondeuses contrôlées par les agents d'entretien. Cependant, ce qui la captive le plus, ce sont les gens, et ce qu'ils disent.

Un jeune homme en costume de bureau passe, téléphone à la main. Il a un accent du sud de la France. La vieille femme se dit qu'il doit venir de Marseille ou de sa région. Il semble pressé et marche rapidement, expliquant à la personne à l'autre bout du fil qu'il fait au plus vite pour arriver à l'heure à son rendez-vous. Josette lance quelques graines et espère qu'il arrivera à temps.

Des joggeurs, deux hommes d'une quarantaine d'années, arrivent en riant. Ils parlent anglais, mais leur conversation reste compréhensible pour Josette.

- Here we are, finally !

Un bel accent britannique retentit dans ses appareils auditifs.

- Hello Eiffel Tower ! répond l'autre.

Ils s'arrêtent à quelques mètres de la vieille femme. Le plus grand d'entre eux sort son téléphone portable pendant que le second récupère un bâton dans son sac à dos. Josette met quelques temps à réaliser qu'il s'agit d'une de ces "perche à selfies" qu'elle voit de plus en plus. Les deux hommes se rapprochent, prennent une photo en s'embrassant, rangent ensuite leurs affaires et boivent un coup en admirant la dame de fer. Ils s'échauffent rapidement les muscles et reprennent leur course.

- We must go to the canal Saint Martin now. lance une voix qui s'éloigne.

Bien qu'elle ait deux fois leur âge, Josette ne peux s'empêcher de les trouver beaux. Ses yeux suivent les deux silhouettes en train de partir quand une voix s'adresse à elle.

- Sorry ?

Elle se retourne vers une jeune femme à la peau mâte et au long cheveux noirs, accompagnée d'un petit garçon aux même traits lui tenant la main. Automatiquement, elle sourit.

- Yes ?

- Habla español ?

- Si, puedo ayudarle ?

- Gracias !

La jeune femme s'assoit et met le petit sur ses genoux. Elle sort un plan de Paris datant probablement de quelques années, expliquant qu'elle souhaite connaître les plus belles rues a voir autour de la Tour Eiffel pour faire découvrir la ville a son fils, avant de revenir dans les environs l'après-midi.

Josette s'accorde quelques secondes de réflexion pour trouver des idées et traduire ce qu'elle doit répondre. Aprés avoir proposé quelques idées à la jeune femme, cette dernière l'autorise à dessiner un parcours sur sa carte. Elle se relève, la remercie mainte fois et commence a marcher en adressant un "Vamonos Luis" au petit garçon, qui lui salue Josette de la main.

Elle lui répond de la même manière, sourit, et relance quelques miettes aux nouveaux oiseaux arrivés entre temps. Pendant qu'elle observe les volatiles se régaler tout en tapotant doucement la tête de son vieux chien endormi, Josette regarde le sommet de la Tour Eiffel. Un avion passe haut dans le ciel. Elle se demande vers où il va.

Le temps passe, de plus en plus de monde arrive sur le Champs de Mars. Un couple de Japonais s'assoit sur un banc voisin en consultant un livre, un groupe de touristes indiens est guidé par un jeune homme souriant parlant dans un micro, une adolescente passe en chantonnant une chanson de Daniel Balavoine qu'elle écoute probablement sur son téléphone, trois jeunes Belges se régalent de croissants croutillants en discutant joyeusement. Mojo ronfle. Les oiseaux piaillent.

Josette est silencieuse au milieu de toute cette agitation urbaine. Tout les bruits qu'elle perçoit, toutes les voix qu'elle entend, tout les accents qu'elle devine, lui rappellent à quel point elle aime Paris.

C'est une ville qui la fait voyager tout en restant immobile.

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