Data

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Aujourd'hui, j'ai découvert une nouvelle fonctionnalité sur Facebook. J'ai lu un article qui mentionnait la possibilité de télécharger la totalité de nos données partagées sur le réseau social. Ils parlaient de cet aspect vertigineux, de cette impression de découvert et cela m'a rendu curieux, alors j'ai voulu tenter l'expérience.

La procédure était simple. J'ai été tout d'abord étonné de voir que ce n'était pas immédiat. Je me souviens qu'il y avait quelques années, on pouvait encore visiter les vieilles dates sur nos pages, simplement en cliquant sur un petit onglet. Cette fonction était aussi disponible pour tous les visiteurs de notre page personnelle, si tant était que l'on rendait notre profil public. Mais non : pour télécharger mes données, il fallait que j'aille dans mes paramètres, que je clique sur "télécharger mes données" et un fichier m'a été créé dans l'heure suivante.

Il a fallu une heure pour rassembler un fichier de plus de 600 mégaoctets résumant l'entièreté de ma vie virtuelle.

Le tout m'a été envoyé sobrement dans un petit dossier .rar et j'ai pu consulter divers dossiers. J'ai commencé volontairement par ceux qui me semblaient être les moins conséquents. J'ai toujours été de nature un peu réservée, alors je n'ai pas été surpris de voir que sur le bon millier d'invitations à des évènements, je n'ai participé qu'à une petite cinquantaine en dix ans.

Puis j'ai continué en consultant le dossier friends. Rien de très étonnant : j'ai recroisé de nombreux noms que je connaissais, mais il y avait une autre partie qui attira mon attention. Il s'agit des "invitations rejetées". Je ne suis pas du genre à briller en société, alors cela me marqua d'autant plus quand je vis qu'il y avait plusieurs dizaines, voire un peu plus de deux cents requêtes lancées en dix ans. Parmi elles, il y avait essentiellement des noms étrangers, mais aussi ceux de mes bourreaux de l'école. Toutes les filles qui m'avaient brimé quand j'étais au collège. Ce n'était pas une requête d'amitié : c'était de la curiosité. Elles voulaient savoir si j'étais encore le gringalet à la morve au nez de l'époque.

J'ai ensuite vu mon profil, accumulant la totalité de mes informations personnelles. Je n'y ai noté qu'une seule relation. C'était douloureux de revoir mon moi d'il y a dix ans et de me rendre compte que je n'avais jamais vraiment tourné la page. Elle, après moi, a rencontré d'autres personnes. J'ai parcouru rapidement les choses que "j'aime" et je suis passé au dossier suivant.

En fait, je réalisais peu à peu que ce que je croyais appartenir au passé n'était finalement jamais vraiment mort sur ce genre de support. Et à mesure que je découvrais les dossiers et les nouvelles informations, je sentais qu'un malaise s'installait. Outre le rappel de la femme que j'aimais, je me rends compte que je postais des choses idiotes, inintéressantes, des niaiseries qui témoignait de mon immaturité d'il y a dix ans. Je suis de plus en plus embarrassé à l'idée qu'on puisse retrouver cette facette de moi, même si dans un sens, elle a existé en chacun de nous.

Je découvre de vieilles photos. Je m'attendais à en voir beaucoup plus : il y a pas mal d'années, j'étais entouré d'amis qui prenaient constamment des photos pour toutes les occasions, mais je ne trouve que celles que j'ai postées et celles où j'ai été marqué. Je suis moyennement soulagé : encore une fois, j'ai pu publier des âneries, rien de grave, mais elles remontent à si loin… Et il y en a certaines dont je ne me souviens pas même un petit peu.

Le pire est arrivé lorsque j'ai ouvert la messagerie. Beaucoup plus praticable, puisque ne nécessitant aucun temps de chargement, j'ai pu découvrir une liste exhaustive de toutes mes communications avec mes amis depuis ces dix dernières années.

J'ai redécouvert nos messages d'amour avec mon ex, nos photos coquines, puis nos disputes et notre rupture virtuelle.

J'ai trouvé des personnes qui avaient changé de pseudonyme et qui étaient pourtant des amis proches, à qui j'avais confié de terribles secrets.

J'ai trouvé de vieilles rencontres embarrassantes qui n'ont jamais donné suite : "On s'est rencontré l'autre soir, j'aimerais bien qu'on se reparle un de ces quatre."

De vieilles conversations innocentes, partagées avec des gens qui sont devenus des ennemis.

Et une autre.

Et une autre.

Et une autre.

Jusqu'à ce que je consulte mes dossiers venant de personnes désormais désinscrites du site, et que je rencontre à nouveau un Utilisateur de Facebook. Un Utilisateur dont je semblais bien proche, qui comportait de nombreuses photos à en croire le dossier qui y était joint.

Ce qu'il y avait d'étrange, c'est qu'à aucun moment, je ne prononçais son nom ou son prénom. Et ces messages parlaient de choses intimes, de sexe, d'amour, de secrets que je gardais pour moi et que mon premier amour ne savait pas elle-même.

"T'es qui, toi ?" Je me répète. "T'es qui, toi ?"

Novembre 2015… Je n'ai rencontré personne à ce moment-là. Personne dont je sois si proche pour partager autant de choses ! Et à lire tous ces secrets, je remarque qu'on a échangé presque tous les jours.

Je continue, les semaines et les mois passent. 2016, 2017… Mais ce n'est plus possible, aucunement. Elle me parle de rencontre, de "ce qu'on a fait", mais j'ai changé de pays ! J'ai déménagé au Canada depuis des mois, et elle me parle comme si l'on continuait de nous voir, de partager ces discussions dont je n'ai aucun souvenir.

Et toutes ces photos… Toutes ces photos… Il n'y a que moi. Moi riant, moi mangeant, moi dormant. Dormant.

Je continue de parcourir les messages, et je me vois encore de plus en plus.

2018, janvier, février, mars, avril, mais, juin… juillet…

Elle m'a pris en photo lorsque je déménageais, lorsque je mangeais avec mes colocataires, mais je remarque qu'à aucun moment, je ne croise l'objectif.

Je continue.

Là, c'était la semaine dernière, au boulot. Ce boulot en institution financière où les visiteurs sont interdits.

Puis là, c'est moi, caressant mon chat.

Et là je dors encore.

Et là, c'est hier, je mangeais une poutine avec deux de mes colocataires. La photo est prise de ma chambre.

Et là.

Il y a seulement une heure.

Moi, de dos, nu comme à mon habitude, lorsque je suis seul.

Non, c'était il y a dix minutes.

"Tu es mignon lorsque tu es concentré."

Ma messagerie sonne tout à coup.

Je lis qu'une photo m'a été envoyée.

Regarde-moi un peu, gros geek.

J'entends un mouvement derrière moi. Je me retourne.

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