-Contact-

8 minutes de lecture

 Lorsque Kini se réveille, son corps, son esprit, son existence, ne sont que souffrance. Elle avale une grande goulée d’air et se met à tousser, éclaboussant son module, rempli d’eau glaciale. Le sas s’ouvre et elle est accueillit par un robot. « Bonjour mademoiselle Shika. Vos signes vitaux sont très encourageants. » Elle se plie en deux et éructe encore un moment. Le robot lui tend une couverture chaude : « Vous venez de sortir d’hibernation, vous devez réchauffer votre corps.

-Sans blague ? » Dit-elle en claquant des dents. La machine réagit en répondant :

-Cette unité vous prie de bien vouloir l’excuser, elle n’essayait pas de faire de l’humour. » Tremblant, Kini attrape le drap et s’enroule dedans. Autour d’elle, d’autre passagers sont en train de sortir de leur long sommeil. Trente ans… ils venaient de dormir pendant trente années et ils n’avaient pas pris une ride.

Ils sont à bord de L’ATC-Exarque vaisseau d’exploration voguant à travers le vide spatial, avec à son bord un équipage de sept hommes et femmes. Sa destination : la planète Setania, dans le système Dreavari. Un monde vierge de toute présence humaine. Mandaté par la compagnie Voidustries, il s’agit de la deuxième mission envoyée par la corporation multimilliardaire. Kini se souvient encore du jour où elle a été démarchée. Il y a à peine deux mois… Non ! Trente ans et deux mois… Réalise-t-elle.

 Invitée dans un restaurant gastronomique, elle avait tenté de se faire belle en enfilant un tailleur et une jupe d'uniforme de l’armée de la Fédération. Coiffant ses cheveux noirs en les lissant et en se maquillant un peu. Le représentant de Voidustries avait mis les petits plats dans les grands. Le repas était fantastique, ainsi que le vin. Puis il avait attaqué le vif du sujet. Il voulait la débaucher de l’armée pour qu’elle supervise la sécurité d’une mission d’exploration. La paye était mirobolante, l’équivalent d’une vie de salaire, puisqu’elle allait partir pour presque soixante-et-un an de mission, en comptant le temps de trajet. Le représentant avait fait ses devoirs, il savait que Kini était orpheline et n’avait presque pas de proches, donc rien à perdre à partir aussi longtemps. Elle l’avait remercié pour le repas, lui avait promis une réponse, et trois jours après s’était décidée à quitter l’armée. Elle avait rencontré ses hommes, les avait testés, et approuvé leur affectation. Après un briefing complet sur le déroulement de la mission, tous les passagers avaient subi un entraînement physique afin d’être au meilleur de leur forme avant l’hibernation.

 Après une seconde, Kini réalise que le représentant qu’elle avait rencontré devait désormais être proche de la retraite… Quelle idée d’avoir entamé ce voyage… Quand elle regarde les autres sortir de leur modules, elle ne peut s’empêcher de se demander si elle a aussi mauvaise mine qu’eux. Pâles, maigres et des yeux malades. Elle ne peut réprimer un frisson, le robot à ses côtés lui propose un gobelet : « C’est une solution contenant les apports nécessaires à votre corps. Buvez s’il vous plaît. » La tasse est froide, mais le corps de Kini l’est encore plus. La mixture n’a pas été chauffée pour éviter un choc thermique, elle l’avale avec difficulté. Son estomac endormi et inactif depuis trente ans se retourne et la force à se plier en deux. Le robot l’aide à se redresser en disant : « Respirer doucement, frictionnez votre torse et votre corps va se réchauffer progressivement. Si vous ne vous sentez pas bien, la baie médicale peut vous aider à sortir d’hypothermie. » Elle est tentée d’accepter d’entrer dans la boîte, mais finit par refuser. Elle veut montrer qu’elle est forte et qualifiée pour le poste de chef de la sécurité. Durant des heures, les membres de l’équipage grelottent en effectuant la procédure de dégel. Réhydratation et réveil musculaire. Après quoi ils dorment durant au moins huit heures dans un lit chauffant, réglé pour augmenter en température, petit à petit. Kini s’endort en se maudissant, à l’idée de devoir recommencer ce procédé dans à peine quelques mois.

Deux jours plus tard, son corps est toujours engourdi, mais elle parvient à reprendre des exercices sportifs dans une certains mesure. Elle est convoquée par le directeur Pearce, avec le reste de l’équipage. Sept personnes autour d’une table holographique, l’administrateur en charge de la mission est un homme d’une trentaine d’années. Il a toujours l’air affecté par le contrecoup de l’hibernation, mais il se tient debout et annonce : « Mesdames et messieurs, nous avons reçu les rapports de la précédente mission. » Il affiche des données sur un écran au mur : « Nous avons pu en récupérer une partie seulement, les fichiers sont incomplets, mais avec l’assistance de IAN, notre Intelligence Artificielle Numérique, je suis parvenu à comprendre ce qui a entravé les robots nous précédant. » Il fait apparaître une photo de vigne rouge : « Cette plante semble proliférer à la surface de Setania, à une vitesse hors du commun. Elle se glisse partout et bloque les machines après un certains temps. Il existe cependant une petite zone sur laquelle ce végétal ne pousse pas. Notre base a été déplacée là-bas par mesure de sécurité, et... » Il désigne une carte de la planète : « ...nous atterrirons ici. Nous partirons à pied avec les robots qui porteront le matériel. Nous devrions y être en moins d’une heure. » Il regarde l’équipe et demande : « Vous avez des questions ? » Aucune réponse : « Dans ce cas, je vous laisse vaquer à vos occupations. Nous devrions arriver d’ici demain. »

 Par la suite, tout se déroule sans problème. L’arrivée dans le système de Dreavari. L’atterrissage sur Setania, monde magnifique, une terre blanche, une végétation rouge et un ciel jaune. Un lieue étrange, attendant d’être exploré. L’équipage prépare une partie du transfert des ressources vers la base et se met en route. Ils progressent sur un plateau de pierre, sous un ciel sans nuage. Le trajet s’effectue là aussi sans difficulté. Mais en arrivant aux installations préfabriquées, un des robots en charge de la construction vient à leur rencontre. Il s’adresse au directeur Pearce : « Bonjour ! Cette unité a été chargée de vous accueillir. » Afin de ne pas permettre aux intelligences artificielles de développer de conscience, il leur était interdit de parler d’elles comme s’il s’agissait d’êtres vivants. « Ça a été chargé de vous prévenir que la construction de la base est achevée à 93 % » Les membres de l’équipe poussent tous une exclamation de surprise. Les travaux avaient été entamés, trois mois avant leur arrivée, le bâtiment devrait être prêt depuis bien longtemps. La machine explique : « Le sol s’est effondré sous une partie de la structure, ça renforce les fondations avant de pouvoir autoriser l’accès à une partie de la base. » Pearce s’exclame :

-Laquelle ?

-Les communications sont pour l’instant hors-service.

-C’est tout ? Combien de temps avant que ce soit opérationnel ?

-Les projections prévoient deux jours avant ouverture du module de communication. » Voilà qui n’augure rien de bon. Sans cette fonctionnalité, partir en exploration est dangereux. Impossible d’appeler à l’aide en cas de danger. Le directeur Pearce s’approche de Kini et utilise un canal privé pour lui demander : « Qu’en pensez-vous ? » La jeune femme respire un grand coup avant de répondre :

-J’en pense qu’il va falloir retarder les premières expéditions de deux jours. » L’administrateur semble contrarié mais hoche la tête :

-Vous avez raison. Mieux vaut être prudent. » Pendant le reste de la matinée, ils installent leurs affaires, découvrent les locaux, bien qu’ils aient pu en étudier les plans au préalable. Kini se défoule à la salle de sport. Elle est rejoint par ses deux hommes. Stig Jonsrud et Napo Kawhena. Le premier est blond, des yeux bleus et possède une musculature sèche. Le second est une montagne, brun, yeux marrons, peau halée et bras massifs couverts de tatouages. Ils s’entraînent tous les trois en silence pendant un long moment, avant de faire une pause et de discuter des protocoles de sécurité. Ils conviennent ensemble que sortir sans communication est trop dangereux. Stig se permet de serrer les dents en ajoutant : « Les blouses blanches ne vont pas aimer ça. Plus on retarde le début de leurs études, et plus on retarde le retour à la civilisation. » Napo pouffe de rire :

-Ces intellos ne savent pas ce qui est bon pour eux. Si la chef dit qu’on attend. » Il lance un regard à Kini : « On attend. » La militaire hoche la tête :

-Il nous manque trop d’informations pour foncer tête baissée. Soyons patients. » Ils se séparent pour se doucher chacun dans leur quartier, mais rapidement Kini reçoit un message privé du directeur Pearce lui demandant de reconsidérer sa décision. D’abord furieuse, elle continue de lire et découvre la proposition de l’administrateur : autoriser des sorties autour de la base, dans un périmètre restreint. Elle réfléchit un moment avant d’accéder à sa demande en accordant le droit à l’équipage de quitter la station à condition d’en faire la demande préalable et d’être escorté par au moins un agent de sécurité. Elle envoie sa réponse et espère avoir répondu aux attente du directeur Pearce. Quelques minutes après, elle reçoit confirmation que c’est le cas, et déjà les premières demandes affluent. Yakov Vitelievich requiert son assistance pour placer une foreuse à quelques pas de la base, l’après-midi même. Elle accepte et continue de vérifier les caméras de sécurité jusqu’au déjeuner. Elle va ensuite manger au réfectoire où les robots leur servent de la nourriture sans saveur, conservée sous vide et congelée depuis plus de trente ans. L’après-midi est donc une distraction bienvenue lorsqu’elle enfile son scaphandre de combat et se joint au docteur Vitelievich. Il manipule sa foreuse mobile à l’aide d’un boîtier de commande et l’installe à trente mètres de la base. Elle porte un fusil d'assaut, modèle standard du surplus de la Fédération. Tandis qe Yakov s’occupe de son travail, Kini observe les alentours. Setalia est un drôle d’endroit. Elle se fige lorsque son regard croise celui d’un être vivant. Dans les fourrés rouges à la limite du plateau rocheux blanc sur lequel ils se trouvent, une créature anthropomorphique. Sa chair transparente laisse apercevoir des muscles bleus. Des mains munies de six doigts, un visage sans attributs en dehors de ces iris. Gigantesques, sans fond, azur, comme l’aspirant en dehors de son corps. Elle sursaute lorsque le scientifique l’appelle : « Mademoiselle Shika, j’ai terminé ! » Elle retrouve ses esprits et cligne des yeux. Lorsqu’elle cherche la créature, il n’y a plus rien.

Yakov lui demande si tout va bien, elle hoche la tête. A-t-elle eu une hallucination ? Elle veut vérifier les enregistrements de son scaphandre avant d’alerter le reste de l’équipe. Ils rentrent donc ensemble, elle télécharge la surveillance de sa combinaison, recherche le moment où elle a vu la créature et… rien. Son objectif reste fixé sur le buisson où elle a aperçu la chose peu avant, mais il n’y a rien. C’était donc bien un tour de son esprit… Elle se frotte le visage en soupirant, elle va devoir demander à IAN si l’hibernation prolongée pouvait provoquer ce genre de symptômes. En attendant, elle ne parvient pas à oublier ces yeux bleus...

Annotations

Vous aimez lire Le "LeLombric" Lubrique ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0