1 - "La Vérité est ailleurs"

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Le grand disque argenté dans le ciel l'appelait, chaque soir, pour être contemplé de ses petits yeux doux et rêveurs. Chaque soir, l'enfant répondait présent, il admirait la beauté à l'état pure, tous les soirs sans exceptions, malade, souffrant, triste, heureux, en bonne santé, jamais, non jamais, il ne résistait à cet appel primitif, cette recherche constante d'une seule et unique vérité, d'une constante mathématique, d'un paterne, d'un plan dans l'univers, d'espoir d'une vie après la mort, planqué au plus profond de ce qui constitue l'espèce humaine, parce qu'il n'en avait pas la force, d'une part, et parce que cela n'aurait aucun sens, cela serait irrationnel.

Chaque soir, sur l'herbe mouillée, il s'allongeait silencieusement et levait sa tête vers le grand ciel bleu, buvant l'ambroisie des dieux, il festoyait à leurs côtés sans toutefois jamais vraiment n'être là. Il ne faisait alors que se laisser flotter, profitant de chaque seconde qu'il pouvait obtenir, avalant chaque goutte de la douce liqueur de vérité, il s'allongeait alors, mémorisant chaque point lumineux là-haut dans le ciel. Les coordonnées se gravaient peu à peu dans son esprit ambitieux, l'encre ne partirait jamais et il pourrait toute sa courte vie réciter le nom de chaque étoile de l'univers connu, toutes les planètes, il les connaissait toutes, mourant d'asphyxie lente mais douloureuse lorsque son esprit ne vagabondait pas entre mondes imaginaires, aventures extraordinaires et voyages initiatiques dans son inconscient, il fuyait un monde qu'il jugeait laid, rêvait que là-haut, il y avait quelque chose de mieux, qu'un jour, peut-être, où le Soleil est à son zénith, qu'en cherchant assez loin, peut-être qu'il trouverait le remède miracle pour tous les mots du monde, une douce vérité.

Son père le rejoignit alors. Tous les dimanches, il avait l'habitude de fumer une cigarette en admirant le ciel, et l'enfant se demandait ce qui pouvait bien lui passer par la tête. Alors que le soir était calme, le vieil homme pris une longue taffe et ouvrit la bouche, ces mots là étaient gravés dans son esprit autant que Vénus. L'air grave et philosophe laissait alors place à une réplique sarcastique, sortie tout droit de son désespoir le plus noir, du fond de sa bouteille d'alcool but discrètement avant de rentrer à la maison. A chaque fois, ils riaient, et cela devenait plus intense chaque semaine, ce rire leur prenait à la gorge, il les tenait en haleine, tous deux hurlaient d'un rire cachant une impuissance extrême, un sentiment de n'être plus rien, de ne mesurer qu'un mètre quatre vingt : « On devrait y aller un jour. Ce serait bien, hein ? »

Cette peur de ce qu'il ne connaissait pas, l'enfant la connaissait. Il avait décidé que ne rien savoir était une faiblesse qu'il devait éliminer. Dans le noir, une fois la porte fermée, les branches paraissaient sorcières et le vent paraissait fantôme, chaque recoin de son lieu de vie, il le connaissait, s'il le devait, il pouvait s'y déplacer les yeux fermés. De jour, c'était un terrain de jeu, où les murs étaient abattus par son armée invisible, où les limites de l'imaginaire étaient repoussées, il était sûr de tout, sûr de lui et de ses capacités, rien ne lui faisait peur, et lorsqu'il avait peur, il l'utilisait comme super-pouvoir. Une fois le Soleil couché, tout changeait, la nature reprenait le contrôle, l'enfant audacieux laissait place aux terreurs nocturnes, sa couette servait alors à délimiter l'espace entre le connu et l'inconnu. Cette peur de l'innomé, de tout ce qui pourrait arriver, ne résultait que de son pessimisme illogique, et cette peur devint sa plus grande alliée une fois qu'il comprit. Tout ce qui peut arriver de mal va arriver. Pourquoi cela ne serait pas pareil pour les choses bien ? En ce moment, son esprit brûlait de la passion d'un enfant de cinq ans…il n'y avait plus de combustible. Tout ce qui était à apprendre, il l'avait en tête, cette passion mourrait lentement jour après jour. Alors vint se poser une question qui était elle-même sa propre réponse : Qu'est-ce qu'il reste à découvrir ? Plus jamais il n'attendrait, plus jamais sa passion ne mourrait, il la ferait brûler du feu le plus intense, même si cela devait le mener aux confins du réel, entre la vie et la mort, peut-être que cela en valait la peine. Il décida alors de mener une expédition, il n'emmènerait que les braves des braves, la crème de la crème, les hommes de confiance : Captain Teddy, White Bear, Waldo, Hot Dog, Jake et la fatale Kara. Leur mission serait simple : conquérir autant d'espace que possible et revenir vivant. Ce fut la première fois, la première fois que l'audace arrivait la nuit. Il alla d'un petit pas vers l'armoire, et un grand pas fut accompli. Ses mains glissaient vers les poignées de la grande boite, des décennies d'enfants effrayés pouvaient alors comprendre, étaient libres. L'exaltation la plus forte de sa vie s'installa dans son cœur, chaque battement était pour lui une décharge électrique, lui rappelant de rester éveillé, de ne pas avoir peur. Ses mains tremblaient, son corps entier était tétanisé face à l'ampleur de la tâche. Au plus mal, il pensait abandonner puis se dit que cela en vaudrait la peine, que cela serait un nouveau défi. Les portes grinçaient lorsqu'il les ouvraient, ce grincement était semblable au cri d'un animal apeuré, grandiose et très mort, elles s’entrouvraient pour laisser l'intérieur être observé. Il existe une expérience, l'expérience du chat de Schrödinger. Un chat est placé dans une boîte, on lui donne et de la nourriture empoisonnée, et de la nourriture saine puis on referme la boîte. Une fois celle-ci fermée, la physique quantique édicte une loi : Le chat est mort et vivant. Puisqu'on ne sait pas ce qu'il y a dedans, ce n'est qu'en ouvrant la boîte qu'on fige la réalité. L'enfant, avant de se coucher, avait l'habitude de se demander ce qu'il y avait dans l'armoire, et un jour qu'ils étaient dans la cuisine, une crêpe à la main, il prit son courage à deux mains et demanda : « Qu'est-ce qu'il y a dans la boîte ? » Toutefois, la réponse était évidente et son père disait toujours : « Absolument tout ». Il désirait savoir de tout son esprit, « absolument tout » n'était pas une réponse convenable, il lui brûlait de savoir. L'armoire était maintenant ouverte. Le chat était vivant. Une pièce de deux euros était cachée entre deux draps, un mot avait été laissé à son intention : « Marche vers les étoiles »

Ce jour marqua le tournant le plus significatif et digne d'intérêt de sa vie, influença la suite de ses mouvements, une promesse qu'il ne pouvait briser avait été faite. Il s'était promis d'aller dans l'espace avant sa mort, de repousser les limites du connu, de découvrir la vérité, de donner un sens à sa vie, ainsi qu'à celle de tous les autres, même si cela devait être la dernière chose qu'il fit, il garda cette promesse dans son âme, elle définit sa personnalité future, chacun de ses choix de vie, toutes ses décisions, même hâtives n'allaient que dans un sens : le ciel.

Cette peur de l'inconnu, il l'avait dépassé, décidant que ce n'était pas rationnel, le chat n'est pas mort et vivant, il était de son devoir de connaître le statut du félin, que ce qui pouvait être découvert devait l'être, peu importe le prix, qu'il ne se contenterait pas de ce qu'il savait déjà, mais qu'il repousserait les limites du réel et de l'imaginaire : « La vérité est ailleurs »

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