Et les nuages pleuraient aussi

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Un couloir froid. Un couloir froid, voilà à quoi ressemble mon quotidien depuis que tu es malade. La peinture et vieille et décrépite et il règne dans ce long corridor une odeur de mort. Les visages sont tous fermés et les regards fuyants. Un silence effrayant règne dans ce lieu mortifère et seul de rares sanglots viennent troubler l’apparent calme. Tu me dis que tu vis au pays du silence. Moi je crois que tu vis au pays des morts.

Cela fait maintenant cinq ans que chaque jour je viens te voir. Tu es enfermé dans un enfer qui nous entrave tous. Ma vie s’est arrêtée à l’instant même où tu as franchi les portes de cet enfer pour la première fois. Tu me disais que tout irait bien, que ce ne serait bientôt plus qu’un mauvais souvenir. Me mentais-tu ? Tu m’avais promis que tu sortirais vite mais tu n’as plus jamais revu le monde extérieur. Tu restes enchaîné à ce lit et tu disparais peu à peu. Tu disais que tu resterais avec moi pour toujours. Me mentais-tu ? Tu n’es plus que l’ombre de toi-même. Tu ne vis plus désormais que dans mes souvenirs. Ton sourire s’est tari et tes bras ne m’ont pas serré depuis bien trop longtemps. Te retrouverais-je un jour ? Toi que j’aime et qui s’en va. Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort. Tu n’as pas cessé de me répéter ça jour après jour, visite après visite, heure après heure. Ce n’était rien d’autre que d’un mensonge. Ce qui ne t’as pas tué, t’as rendu plus malade encore. Tes blessures, tes maladies, tes plaies ont peu à peu changé ton corps en lambeaux. Envolé ton identité, ton apparence. Tu n’es plus qu’un corps attendant sa dernière heure. De quoi ces années passées ici t’ont-elles rendu plus fort ?

Ta chambre est à l’image du couloir. Froide, impersonnelle. Mes jambes manquent de me lâcher chaque fois que je passe la porte. Je crains toujours de te retrouver, sans vie. Tu me souris quand j’entre mais je ne vois que les ronds noirs qui obscurcissent ton regard. Je ne peux m’empêcher de trembler à la vue de ton corps squelettique. Depuis plusieurs mois déjà, tu n’as plus la force de porter ta main à mon visage. Je crains de te voir te briser à chaque mouvement. Tu es entré en enfer et tu t’es retrouvé prisonnier de ton propre corps. Plus aucun mot n’a franchi tes lèvres depuis un an déjà. Ton regard s’est peu à peu éteint et a perdu l’éclat de feu qui autrefois rendait tes yeux si uniques.

Je suis assis, comme toujours, sur ce fauteuil qui se dresse en face de ton lit. Tu dors, comme toujours. Tu sembles presque serein. Le sommeil est devenu ton plus grand allié. Chaque fois que tu souffres trop, on t’administre ces médicaments qui t’engourdissent l’esprit. Tu fuis. Tu fuis cette réalité douloureuse. Tu fuis ton corps et ses faiblesses. Tu me fuis moi qui suis incapable de te suivre dans ces rêveries salvatrices. Où vas-tu ? M’entends-tu ? Je l’ignore. Je sais que tu n’es plus avec moi et à chaque fois c’est comme si tu mourrais. Et quand je penses que tout est fini, tu rouvres tes yeux mornes. Tu tournes péniblement ta tête dans ma direction et je vois tes lèvres s’étirer très faiblement. Tu me reviens toujours. Mais à chacun de tes réveils, j’ai l’impression que tu laisses des parties de toi. Même éveillé, ton âme s’éloigne à mesure que les jours passent. Incapable de te rendre ton sourire, je me lève et sors de la chambre. Je sais que je fuis moi aussi. Mais je ne supporterai pas de faire autrement. Endormi je crains pour ta vie. Eveillé je crains pour ton esprit. C’est à ce moment là que sur mes joues dévalent des torrents salés. Je n’ai pas pleuré devant toi. Pas une seule fois. Pas même quand tu m’as annoncé que tu partais. J’ai pleuré en secret, dans ton ombre. J’ai pleuré, seul, le soir dans mon lit. J’ai pleuré dans ce couloir. Mais tu n’as pas vu la moindre des larmes que j’ai versées pour toi. Je craignais bien trop que ces flots de larmes emportent le peu de toi qu’il reste. J’avais bien trop peur que ma tristesse détruise les derniers fragments que ce que tu étais. Alors chaque fois que l’émotion menaçait de me submerger et de noyer mes yeux, je partais.

Au début tu me disais que j’étais ta parenthèse enchantée, le soleil qui illuminait ta journée. Mais aujourd’hui ? Qu’en est-t-il ? Nos jours sont sombres. Les nuages ont recouvert cet astre que tu disais voir chaque fois que je te rendais visite. Des nuages noirs se sont amoncelés et je suis bien incapable de me rappeler de la sensation des rayons du soleil sur ma peau. Mon monde est devenu aussi froid que les limbes qui te retiennent si loin de moi. Mon cœur aussi s’est glacé et je crains que jamais rien ne puisse le réchauffer. Mon corps est fait de glace. Toi aussi maintenant, tes bras ont été dépouillés de la douce chaleur qui les habitait et qui me donnait envie de m’y blottir. Tu étais mon asile, mon refuge et tu n’es plus aujourd’hui qu’une forteresse glacée dont les murs menacent de s’effondrer à tout instant. Retrouverais-je un jour l’abri de tes bras ? Ou devrais-je y renoncer à tout jamais ? Tu m’as vu faire mes premiers pas. Tu étais là quand j’ai dit mes premiers mots. Tu m’as connu bien avant que je ne me connaisse moi-même. Tu appartiens à mon histoire et j’ai du apprendre à vivre avec ce chapitre si terrible de notre vie. Tu marchais à mes côtés et maintenant où es-Tu ?

Cette visite ne ressemble à aucune je le sais bien. Cette fois tu ne me verras pas. Cette fois je n’entendrais pas ce sifflement s’échapper de ta poitrine. Ta main s’est définitivement figée. Ton corps ressemble aux statues dans les musées. Si proche mais pourtant si loin. Tu es fait de la même pierre froide qu’elles et rien de ce que je pourrais faire ne changeras cela. Où pars-tu ? Auras-tu froid ? Auras-tu faim ? Tu pars et je voudrais pouvoir te suivre. Tu pars et je suis seul. Tu m’avais promis de rester toujours avec moi. Etait-ce un mensonge ? Le bruit des machines trouble le silence qui règne. J’ai l’impression que ma poitrine va imploser. J’ai le souffle coupé. Mes jambes tremblent. Je m’effondre sur le sol. Je ne peux pas vivre sans toi. Tu m’abandonnes et mon monde s’effondre. Je suis prostré au pied de ton lit. Je suis vaincu par la douleur. La voix du médecin ne m’atteint. Je voudrais tant voir ta poitrine se soulever à nouveau. Tes joues retrouver leur carmin. Lais c’est impossible. Tu es fait de marbre pour l’éternité. Je sens que quelqu’un tente de m’éloigner de toi. Je me débats, m’accroche à tes draps. Sur mes joues se sont remis à couler des torrents de larmes mais je ne parviens pas à les retenir.

Mon monde est froid. Aussi froid que le couloir qui t’a retenu loin de moi pendant des années. Je n’entends pas les voix des gens qui me serrent dans les bras. Tu es proche de moi. Quelques mètres et une barrière de bois nous séparent. Je ne peux pas voir ton visage. Je suis glacé. Mes larmes n’ont plus coulées depuis ce jour funeste où tu m’as laissé. Je suis comme mort au fond de moi. Je ne suis plus que cendres et glace. La tempête de ta mort a emporté les derniers vestiges de ce que j’étais. Je ne suis plus qu’un automate. J’ai abandonné le contrôle de mon corps. Je suis un marin incapable de tenir la barre de son navire. Je me laisse diriger par des mains compatissantes. Mais elles n’ont sur moi pas plus d’effet qu’un pansement sur une jambe de bois. Ses bras étrangers me poussent dehors. Tu nous as suivis dans ton lit tout de bois. On murmure à mon oreille que c’est le moment pour moi de te dire adieu. Je refuse. Je refuse de te dire adieu. Je refuse de te laisser partir. Je refuse que tu m’abandonnes. Je suis incapable de dire au revoir. Je sens qu’on me pousse malgré moi vers la fosse. J’ai l’impression de me tenir face à l’entrée du Tartare. Je tente de résister à la poussée, je ne veux pas te voir au fond de cet abîme. Te savoir sur les bords du Styx me révolte. Pourtant, je finis par m’avouer vaincu et je plonge mon regard dans le gouffre noir où tu reposes désormais. Des fleurs te sont jetées. La récompense de l’artiste. C’est ton dernier salut, ton adieu à la scène du théâtre de la vie. A mesure que la terre te recouvre, je reprends possession de moi. Je ressens la chaleur de la main dans mon dos. Je vois les visages baignés de larmes. J’entends les sanglots étouffés. Et je m’en rends compte maintenant, les larmes dévalent mes joues et transforment mon visage en rivières. Et les nuages pleuraient aussi.

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