Chapitre 1 - Le Bain raté

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 — Les enfants ? Nous avons quelque chose à vous dire ! annonça madame Langeard.

 — Nous devons aller faire une course ! précisa son époux. C'est pour le repas… Nous ne devrions pas en avoir pour longtemps. Alors on compte sur vous pour être sage et vous laver, ça marche ? Si jamais il y a un problème, appelez-nous. Ou allez voir les voisins…

 — Pas de souci, répliqua Mathilde.

 Elle leva les yeux un instant de son portable pour adresser un sourire réconfortant à ses parents. Rassurés, ils sortirent de l'appartement sans plus tarder.

 Le regard de leur aînée dévia ensuite vers la fenêtre. La nuit, d’autant plus longue qu’ils étaient à la mi-novembre, tombait déjà. Dire qu’il n’était que cinq heures trente du soir…

 Elle se tourna ensuite vers le reste de la fratrie, qui jouait avec les deux cochons d'Inde. Les cheveux bruns d’Hector, son petit frère de six ans, se dressaient en épis sur sa tête ronde. Il portait un pantalon et un tee-shirt décoré d’un chien. Quand à la benjamine, Héléna, elle n’avait guère plus d'un an. Ses cheveux étaient d'un blond très clair, ses yeux bleus, et elle était vêtue d’un body mauve.

 Leur grande sœur leur ordonna d’aller se laver.

 — Vous avez entendu les parents ? D'ailleurs, Totor, c'est à ton tour de laver Héléna. Je l'ai fait hier.

 Une grimace de dégoût plissa comiquement son nez. Il grogna :

 — C'est pas juste ! La douche, c'est bête, ennuyeux et nul. Pourquoi on doit se laver tous les jours ? C'est vrai, quoi ! Ça sert à rien… Et de toute façon, on se salit toujours. On fait rien que gaspiller de l’eau ! Et puis Nana non plus, elle aime pas la douche. Elle arrête pas de me faire des grimaces !

 — Peut-être que tu lui mets du savon dans les yeux, gros malin !

 — Non. Elle en fait même quand je fais rien.

 — Alors, raconte-lui une histoire quand tu la laves ! Ça l'amusera peut-être.

 — Puisque t'es si bien, tu veux pas la laver toi ?

 — Non ! Je l'ai déjà fait hier…

 — Et tu vas faire quoi ? Tu vas passer ton temps à faire des messages pour tes copines et à penser à Clément-il-est-trop-beau ? Le voisin du premier étage qui est dans ta classe ?

 Mathilde devint rouge comme une tomate :

 — Arrête, Totor ! Je ne suis pas amoureuse de Clément ! Et maintenant, va laver Nana ! Et plus vite que ça ! Sinon… Je le dis aux parents !

 Le bébé gigotant dans ses bras, le garçonnet tourna les talons… Sans oublier de faire des bruits de succions moqueurs à l'attention de son aînée. Celle-ci soupira, tombant lourdement dans le canapé. La vérité ? Elle avait effectivement le béguin pour son voisin de palier… Mais elle n'était pas la seule à être tombée sous son charme : Léocadie, Faustine et Fernande lui faisaient une sévère concurrence…

 De l’autre côté de la cloison, Hector parlait tout seul. Un instant décontenancée, elle se remémora rapidement qu’il baignait Héléna… Et qu’elle lui avait conseillé de lui raconter une histoire. Elle l'écouta d’une oreille distraite :

 — Cha… cha… chapitre un : Voi… ci le petit… Ja… meusse… Henri Trotter à l'âge de qua… tre ans. Jus… ce que… là, c'eutait…

 Soudain, Mathilde réalisa que son petit frère était en train de raconter James et la grosse pêche. Mais… Il lisait ? Pourquoi ? Qu’est-ce qu’il avait encore inventé ? Elle sauta du canapé et déboula dans la salle de bain.

 — Ferme la porte ! hurla le petit garçon. Tu vas geler Nana !

 — Crie pas, Totor ! Je suis pas sourde. Et, dis, je peux savoir ce que tu fais ? Le but, c'est de décrasser Héléna ! Pas de lui raconter des histoires !

 — Mais… Tu m'avais dit de lui raconter des histoires, pendant le bain !

 — Mais justement, Totor ! Un bain ! Tu lui fais un bain ! Lave-la !

 Le petit garçon se mit à pleurer.

 — Bouhou… Méchante ! Menteuse ! C'est pas vrai ! Bouhou…

 Mathilde dut lutter pour ne pas se laisser submerger par la colère et la fatigue. Elle inspira une grande goulée d’air, avant de l’expirer en comptant jusqu’à dix… C’était bon. Elle allait déjà mieux. Elle tenta donc d’apaiser son frère :

 — Bon ! Calme-toi, arrête de pleurer. Ce que je voulais dire, c'est que tu peux lui raconter une histoire que tu inventes…

 — Non. J'ai pas d'imagination.

 — Mais non d'une pipe, Totor ! Raconte-lui les trois petits cochons ! Ou alors, Blanche-Neige et les sept nains, Cendrillon, le Vilain Petit Canard et… Mais… Elle est passée où, en fait, Nana ?

 Maintenant qu’elle y pensait, sa petite sœur était étrangement calme. Calme, silencieuse, invisible… À croire qu’elle n’était pas là.

 — J'ai rien fait ! se défendit Hector. J'l'avais juste mise dans sa baignoire, et je laissais couler l'eau en lui racontant Jameusse et la grosse pêche !

 Sa grande soeur l'interrompit en poussant un véritable rugissement. Elle se précipita vers la baignoire où, Héléna, la tête dans l'eau, retenue par son siège-bébé, agitait ses petits bras potelés.

 — Totor ! Au secours ! Tu noies ta petite sœur, espèce de crétin !

 Pendant que le garçonnet clamait son innocence, Mathilde s'empressa de détacher sa petite soeur et de la prendre dans ses bras pour l’emballer dans une serviette. Mais rien à faire : le bébé prenait une couleur violacée, guère rassurante, et cessait de bouger.

 — La serre pas trop ! brailla Hector. Tu vas l'étrangler !

 — Arrête de hurler ! Je fais attention ! Et regarde ce que tu fais ! C'est une catastrophe ! Imagine qu'Héléna s'étouffe ou se noie ! On fait quoi ?

 — Appelle papa et maman !

 — Non ! Allons plutôt chercher les voisins ! Papa et maman, de là où ils sont, ils peuvent rien faire !

 Ils sortirent de l’appartement en claquant la porte.

 — Vite, Totor, allons voir les voisins de l'étage du dessus !

 La fratrie arriva devant la porte d’un couple de retraité. Mathilde, angoissée, appuya sur la sonnette. Un son strident retentit… Mais pas de réponse.

 — Ils ne répondent pas… Ils n'ont peut-être pas entendu. Tu crois qu'ils sont sourds ?

 — Laisse-moi faire ! lui ordonna son frère d'un air suffisant.

 Il donna un grand coup de pied dans la porte en hurlant. Sous le choc, la poignée tomba par terre. Horrifiée, Mathilde l'attrapa par le col en lui plaquant sa main sur sa bouche :

 — Mais tu es complètement givré, Totor ! Si tu cries encore une fois comme ça, je… Je t'assomme !

 Elle eut à peine le temps de remettre la poignée en place que la porte s’ouvrit à nouveau, ruinant tous ses efforts. Elle avait été projetée d’un coup de pied par un vieux monsieur, vêtu d’une robe de chambre de velours rouge. Un fusil pointé sur eux, il s’égosilla :

 — Z’avez-ti pas fini de gueuler comme des putois, les babouins ! Et quoi c'est-y qu’vous faites, bande de saligauds, vandales, coquins ?

 — Arrête de braire, Bernard ! fit une voix dans son dos. J'entends plus la télé ! C’est quoi ?

 — Non, rien ! répondit Mathilde, terrorisée, en prenant son petit frère sous le bras pour s’enfuir à l'étage supérieur. Au revoir, bonne soirée, bonjour chez vous, Joyeux Noël !

 — Ah ! Ces sales gamins, Janine ! maugréa le vieil homme à l'intention de son épouse, qui tricotait en regardant la télé. Rien qui n'amuse plus ces graines de bagne que d'embêter les vieilles personnes sans défense !

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