La Colère Tragique

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"J'ai été en colère une seule fois, Brighella. Une fois seulement, cela a suffit, cela m'a mené là où j'en suis maintenant! Ou devrais-je dire là où je vais maintenant? Ils ne veulent pas que je t'emmène avec moi, Brighella. Ni Harlequin, d'ailleurs... Ils veulent que je sois seule, car c'est en  me confinant là où nulle communication ne me sera proposée que je pourrais apparemment palier à mes problèmes de communication. Une fois seulement ais-je communiqué par la colère plutôt qu'autre chose! Dieu, que c'est injuste! Mais c'est vrai, enfin, n'est-ce pas injuste? Il est juste en tout cas que tu ne puisse me répondre, Brighella. Tu est mon journal, je t'ai nommé ainsi en digne successeur d'Harlequin, mon précédent journal (et je songe à nommer le suivant Pantalone quand tu arrivera à ton terme). Sans doute vas-tu être embarqué avec moi, mais nous ne pourrons nous voir. Ils te retiendront en otage, et moi en captivité; ils chercheront en toi la source à mes problèmes de communication, je présume. C'est terrible, mon ami, c'est tout à fait terrible... Je sais qu'ils chercheront, via tes paroles qui sont en fait les miennes, sans doute (sans doute) une explication. Je ne sais si eux-même savent, vois-tu, si ils savent vraiment ce qu'ils cherchent eux-même... En toi, en moi, dans tout les cas, je doute que toute cette soi-disant chirurgie cervicale soit effectuée de bon coeur. Mais il faut bien de quoi rentabiliser le très Saint Institut où l'on m'emmène, je suppose... 

J'ai déjà une idée de ce qui se fera, de ce qui se dira dans ce Paradis où je vais monter. Il doit se cacher derrière un ciel de pluie, car quand je gratterai les surfaces blanches qui m'entoureront et probablement absorberons jusqu'à toute idée des autres couleurs existantes que j'ai un jour pu avoir, il y aura du gris. Ce sera cocasse en un sens! Oh, je ne devrais vraiment pas en rire (je n'aurais vraiment pas de quoi en rire d'ici peu), mais je trouve cela subtilement ironique que le diamant rutilant qui m'est promis soit aussi poussiéreux! Je serai sans doute fatiguée de l'éclat sélénique qui me sera projeté sous toutes les formes et tous les travers inimaginables (travers, c'est très probablement un mot que j'entendrai beaucoup au Paradis, d'ailleurs...) ; mais je crois que jamais je ne pourrais me lasser de la poussière, car la poussière sera un merveilleux rappel qu'il existe au Paradis autre chose que cette blancheur aveuglante! Que qui que ce soit qui le puisse bénisse la poussière! L'on ne me laissera probablement pas étayer cette théorie avec la couleur rouge, sans doute me faudra-t-il m'en tenir au gris-noirâtre de la poussière. Je me demande combien de temps pourrais-je me satisfaire uniquement de cela sans que la colère ne me revienne.

Comme tu le sais, Brighella, je n'ai été en colère qu'une seule fois! Je le répète (et de toute façon, la répétition deviendra d'ici peu une de mes spécialité là-haut, au Paradis) : UNE SEULE FOIS! Enfin, crier maintenant n'y changera rien. C'est déjà fait, le mal est fait, je vais me purger de ce drôle de crime au Paradis. Brighella, saurais-tu prier pour mon âme? Il est stupide de te demander cela, car ton seul nom renvoie à l'image même de la stupidité telle qu'elle était si joyeusement moquée par nos amis de la Comedia dell'arte dès le XVIème siècle! Il est d'ailleurs très probable que je t'ai nommé de la sorte suite à une de ces colères internes... Faut-il m'excuser sans savoir si un jour je serais pardonnée; mais y a-t-il manière à pardonner les non-coupables? Il faut que l'on m'explique de quoi je suis coupable, car je n'ai vraiment pas demandé cette ascension bien spéciale, crois-moi! Oh, mon pauvre Brighella, qu'il est vrai que je peux être mauvaise, en particulier avec Moi-Même quand la colère m'étreint! Colère tragique! Si tu dus être rebaptisé un jour, peut-être aurais-je pu te renommer 'Colère Tragique', Brighella! Quoique, Harlequin aurait lui aussi bien porté ce nom, à cela près que j'aurais, pour lui, changer le 'Colère' en 'Mélancolie'. N'est-ce pas un joli mot, 'mélancolie', en dépit de sa triste définition? Je trouve que si. En plus, il rime bien, ce qui est un régal tout trouvé pour les poètes tristes et fâchés! (L'ironie est que je crois commencer à dresser un portrait de ma psychée...! Ha! Ha! Non, vraiment, il y a de quoi rire, alors je ris; penses-tu!)

Quelle fût donc cette tragédie digne d'une adaptation théâtrale qui me mena là où j'en suis actuellement, qui va mener, hé bien... Là où je vais être? Permet-moi de t'expliquer, Brighella, car c'est pour le coup une vraie tragicomédie! (D'où l'allusion au théâtre, vois comme j'ai l'esprit vif.) En ce qui me concerne, j'ai vraiment cru être morte une fois sous l'emprise de la colère. Et comme ç'aurait été préférable, bon sang, pour sûr que ç'aurait été préférable; pauvre de moi...!!! Ohlala... Je dois me concentrer très férocement pour que tout ceci puisse s'écrire de manière lisible et compréhensible... Je sais bien que cela est synonyme de creuser ma tombe divine, puisque toi aussi, tu va être emmené au Paradis avec moi. Mais j'imagine que s'il y a un après (quoique le Paradis étant ce qu'il est, il y a de quoi douter!), peut-être un jour serais-je en mesure de nous remercier tous deux pour avoir contribué à cet écrit, à cette mémoire d'une époque qui, fatalement, finira par être révolue...

Il aurait été préférable que je meure, Brighella. C'est de là qu'à germé ma colère. Il faut croire, vois-tu, que je suis une sorte de terreau fertile à toutes ces choses négatives qui donnent naissance au bout de plusieurs années d'entretien, à cette colère toute tragique. Le seul détail problématique est que aujourd'hui, à l'instant même ou ces lignes sont écrites de ma petite main blanche et veineuse (littéralement, ma peau a récemment pâlit en de telles mesures que mes veines sont tout à fait visibles à travers!), je ne saurais vraiment expliquer si cette 'Colère Tragique' -car les majuscules lui donnent une sorte d'importance dans l'évolution de mon être ou le cadre de mon existence, je crois- est née du fait que je demeura vivante en ne voulant plus l'être, ou que je voulu ne plus demeurer vivante alors qu'il était plus poli que je le sois... Et je crois que cela me met encore en colère dès que j'y repense! Mais doucement, j'essaye de me contenir... Sais-tu, Brighella, que j'ai fait des efforts? Longtemps ais-je essayé, mais, comme dirait un certain 'Mr J' , il suffit d'une seule mauvaise journée, vrai? Il faut croire que 'Mauvaise Journée' est chez moi synonyme de 'Colère Tragique' ; à cette exception près que cette colère là fût, vraiment, d'une nature si tragique que, une fois seulement, je n'ai pu la contenir. La contenance est devenue colère, et si le monde entier joue la comédie (Totus Mundus Agit Histrionem, comme dirait un certain autre), il faut croire que ma Catharsis pourrait s'articuler en la présence du Paradis dans ma vie, en ce qu'il s'y fera et dira. Mais, je crois au contraire être en meilleure compagnie de mes Passions... 

J'ai voulu mourir, aussi triste ou pathétique cela puisse paraître à l'écriture comme à la lecture. Et oui, Brighella, c'est ainsi. Je me demande, d'ailleurs, si le fait d'enfouir ce désir pourtant très vivace, et plus ou moins constamment alimenté en moi durant si longtemps n'a fait qu'attiser le Tragique aboutissement de cette Colère, qui le fût tout autant (tragique). Je suppose d'ailleurs que l'avouer a une portée cathartique, mais je ne pourrais en témoigner avec certitude qu'une fois que j'aurais analysé ce que le Paradis aura pour moi. J'ai d'ailleurs trouvé adéquat (et attention, c'est là qu'il faut rire, car je deviens ridicule dans mes propos!) de me comparer en certaines mesures à ces héroïnes Shakespeariennes sur lesquelles j'aime tant à écrire mes 'macabres vers'! (C'est-y pas beau, ce petit nom que je donne moi-même à ma poésie? Allez, tout de même, il faut reconnaître que c'est d'un pathétique! Allons, quoi, je n'en voudrais à personne, pas toi ni même les Anges du Paradis de rire de cela, parce que franchement...!) Juliette n'est peut-être pas la plus appropriée, c'est vrai, et mes espérances en amour sont de toute façon trop basses pour que je puisse pleinement me fondre en ses tendres complexions. Juliette est-elle entrée dans une Colère Tragique? Dieu merci pour elle, je crois qu'elle est morte avant, mais la dernière fois que j'ai lu 'Roméo et Juliette' était avant toute cette Colère Tragique, alors... Amusant fait, Brighella (des fois Brighella, j'aimerais que tu puisse me parler; mais nous savons depuis le début de cette entrée que j'ai des problèmes de communication, alors sans doute n'aurais-je jamais eût grand chose d'intéressant à dire, voilà pourquoi est-il sans doute mieux que je l'écrive) : peut-être une fois ou deux ais-je prétendue être Ophelia. Cela ne collait que difficilement cela dit, car Ophelia fût toute entière consummée par sa Mélancolie Tragique avant même de pouvoir en arriver au stade de la Colère. Pauvre fille, je lui souhaite au fond de mon coeur percé de ronces (les macabres vers, disais-je...!) que cela fusse pour son mieux. Endurer la Mélancolie est déjà une épreuve d'une difficulté toute désignée, et la Colère et ses conséquences n'en sont que pires! Oui, j'ai voulu mourir, la noyade me paraissait même être l'entreprise la plus romantique et poétique à cet accomplissement morbide. Puisque j'en suis venue par la suite, en ce qui me concerne, à expérimenter la Colère, alors peut-être tenais-je davantage d'une Ophéliaque que d'Ophelia tout court. Cela dit, pourquoi encore gâcher de l'encre sur ce questionnement insoluble? Le Paradis saura, et j'en suis pour le coup tout à fait certaine, tirer des conclusions à n'en plus finir sur ce que je viens d'écrire. Et encore une fois, Brighella, tu est du voyage. Toi et Harlequin êtes tant des souvenirs que des pièces à conviction inestimables de mes Mélancolies et mes Colères Tragiques. Vous êtes un peu comme mes branches de romarin, et tu sais, Brighella, que le romarin est ma plante préférée tout comme le lys est ma fleur favorite.

Le lys, il est bien difficile de lui associer une quelconque image de colère, ne trouves-tu pas? C'est une si tendre fleur! Oh, combien de macabre vers ais-je seulement rédigé sur ces Touts Charmants? Au Paradis, je suppose que les quelques lys que je pourrais trouver, à supposer une chance incroyable (donc n'espérons pas trop...) seraient recouverts d'une très, oui, très épaisse couche de poussière. Assurément, cela sera d'un tristesse tout à fait désolante. 

Enfin, Brighella, j'ai été en colère une fois, trop de fois cela a-t-il déjà été dit. Mais! N'ais-je pas le droit de clamer pour ma défense?! De réclamer les droits et l'aide qui me sont dus quand à ce qu'il va m'être fait et dit?! J'écris mélodramatiquement, héhé... Je suis une Drama-Queen, héhé... Une Drama-Queen qui a non pas subit, non pas reçu, mais (et c'est le pire) expérimenté la Colère Tragique. Oh, mais pourquoi, vraiment, pourquoi les gens, je dis LES GENS, LES INDIVIDUS, LE MONDE, LA GROUILLANTE POPULACE réagissent-ils toujours immédiatement aux moindres infimes signes de colère alors qu'il faudrait parfois leur placer la mélancolie à la loupe pour qu'ils puissent en dénicher un semblant d'apperçu? Car ça, pour sûr, la Mélancolie, je l'aie eût; et grandiose, mon petit Brighella! C'est un peu puéril de m'adresser à toi comme à une personne, mais bon... Trop tard, je présume. La Mélancolie Tragique a muté précipitament en Colère Tragique, trop tard là aussi. Alors tant pis. Le Paradis est pour bientôt, alors j'écris. Il n'y a pas de quoi écrire au Paradis. Et s'il y a de quoi, les crayons seront probablement albes et poussiéreux, alors profitons de la couleur de cette encre merveilleusement...bon marché. Sais-tu ce qui est tout autant bon marché et qui me sera accordé en de très généreuses quantités au Paradis (suite à toute la tragédie de cette colère, bien évidemment)? Du lithium! Et, si je n'ai vraiment pas de chance, ce drôle de palydrome du nom de Xanax! La Tragédie va vite avoir des attraits de Tragicomédie avec ce à quoi je vais être réduite, c'est moi qui te le dit!

Enfin, Brighella, semblerait-il que j'en vienne à cours de venin, car c'est l'heure. Et comme l'heure c'est l'heure, comme nous nous amusons à la dire en citant des références plus ou moins obscures ou pas du tout (dis-je? Dis-je.); faut-il que je pose ma plume. Cela m'attriste un peu, vrai, mon petit Brighella. Car quand bien même le Paradis (et c'est quoi qu'on en dise un nom très bizarrement trouvé) nous attende, nous serons dans des chambres, et je crois même des sections séparées! Mais je l'ai déjà dit, je le répète; je crois d'ailleurs avoir un attrait tout particulier pour les répétitions quelques soient les littératures auxquelles je m'exerce. Il faut croire que ta rédaction ne fait pas exception, mon pauvre Brighella. Et quelle étrange peine ce doit être que de me subir! Je plains déjà Harlequin pour avoir enduré toutes mes Mélancolies Tragiques, mais toi... Non seulement tu fût témoin de davantage de Mélancolies Tragiques, mais tout autant fusse-tu celui qui eût à subir mes premières véritables colères, jusqu'à ce que nous n'en arrivions A CETTE FABULEUSE COLÈRE TRAGIQUE! Oh, oui, fabuleuse...

Alors c'est ainsi, il me faut y aller. Il nous faut y aller. Je ne puis plus rien écrire sur ton joli papier à ligne jauni par le temps, et froissé de larmes. Oh, bon, c'est triste, mais c'est ainsi. Je dois y aller. Et tu t'en vas aussi. Petit con! Tu vas me manquer, salopard auquel je me suis trop attachée alors que, tout de même, quoi; tu n'est qu'un journal! C'est vraiment, vraiment bête! Brighella, je pleure encore par ta faute! Hahaha! Oh vraiment, mais de quoi ais-je l'air maintenant? Allez, c'est-y-pas que mon maquillage coule! Bon! Très bien, soit! Héhé... La Drama-Queen aura donc l'air de... Comment s'apellait la fille dans 'Girl, Interrupted' jouée par Angelina Jolie, déjà? Ou bien la blondine dans 'Sucker Punch' sur laquelle j'ai fantasmé fût un temps? Je suis sûre que j'aurais de faux airs d'une de ces deux-là, en arrivant, les ruisseaux de maquillage larmoyé (est-ce le bon verbe? Plus le temps d'y penser...) maculant mes joues blanchâtres. Ou bien aurais-je l'air d'une Opheliaque en bonne et due forme?! Hé, nous verrons-bien, je suppose. Au revoir, Brighella, mon cher Brighella. C'en est fini de toi et moi, de notre complicité pour un long, je pense, très long moment. Alors au revoir, adieu peut-être : adieu, adieu mon Brighella, adieu, adieu mon Brighella. Me souhaitera-tu bonne nuit? Oui, je sais que tu ne peux parler faute à ta nature, mais ce serait le plus beau cadeau que l'on puisse me faire (excepté, à ce qui se dit, mon ticket direct et peut-être sans retour pour le Paradis). Allons? Oh! Mais vois comme je pleure encore! Haha! Oh, bien : bonne nuit, Brighella, bonne nuit à moi, bonne nuit à toi, oh, bonne nuit à moi; ne doutons pas que cette nuit puisse être éternelle!"

FIN

Là où mène la Colère Tragique

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