L'OMBRE DU PANDA (7/7)

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Il avait laissé la porte ouverte. Pourtant, celle-ci se referma brutalement au visage de son paternel, en furie. La clé tourna d'elle-même dans la serrure.

— Simon, arrête ! Tu vas l’énerver encore plus ! supplia Lucas à voix basse, crispé sur sa couette.

— Lucas, tu vas ouvrir cette foutue porte sinon…

Ce dernier tremblait comme une feuille, accablé par un dilemme : dire la vérité au risque de nourrir la rage de son père et de passer pour un fou, ou dévérouiller et subir la sentence sans piper mot.

— Qu’est-ce que je dois faire ? sanglota-t-il, cherchant en vain un compromis.

Premiers chocs dans la porte. Le pêne résistait. Le bois, en revanche, n’était pas d’une qualité exceptionnelle. Un poing le traverserait sans trop d’effort.

Lucas trancha, se rua vers le verrou afin de libérer l’accès. Un visage diabolique et rougeoyant se dressa devant lui.

— Je…

— Tais-toi ! Plus jamais tu me fermes la porte au nez comme ça, tu m’entends ? beugla son père en poussant Lucas en arrière avant d'armer sa paume, une fois à l'intérieur de la pièce.

La porte claqua derrière lui. De nouveau verrouillée. Cette fois, l'entité invisible brisa la clé, constituant père et fils prisonniers de la chambre.

— Mais qu’est-ce… hoqueta Christophe.

Au même moment, les doigts de la main levée furent rabattus en arrière à tel point que la peau se déchira. Tendons et muscles apparents, le père braillait comme jamais, de concert avec son fils. Le sang teintait la moquette. Alertée par les cris, sa mère atteignit la porte en toute hâte, s'acharna dessus :

— Qu’est-ce qu’il se passe ? Ouvre ! Pourquoi t’as fermé la porte ? demanda-t-elle, à son tour, paniquée.

Rien à faire. La porte tenait bon. Christophe donna l'alerte :

— Appelle les seco… !

Détresse avortée par une violente rotation de tête. Un craquement précéda la lourde chute du père. Lucas ne parvenait plus à articuler le moindre mot, esclave de ses propres pleurs et de ses interminables cris. De son côté, Élise attrapa son téléphone portable dans sa poche, envisageant le pire derrière la porte. L’appareil lui fut arraché des mains, lévita un court instant avant d'être réduit en miettes devant ses yeux interdits. Aussi simplement qu'une vulgaire cannette.

Élise courut vers les escaliers, dans l’espoir d’utiliser le téléphone fixe du salon. Mais un obstacle impalpable la fit trébucher en avant, emportée par la vitesse de son pas. Malgré sa tentative de réception, elle se cogna à plusieurs reprises visage et crâne contre les boiseries murales et le carrelage du rez-de-chaussée.

Du tohu-bohu ambiant, il ne restait désormais que la tourmente de Lucas, tétanisé par le rictus funèbre de son père, couché sur le ventre, tête sur le côté. Enfin, l'adolescent parvint à hacher bruyamment quelques mots :

— Pourquoi t’as fait ça ? Je t’ai rien demandé, moi ! Casse-toi, putain ! Je veux plus jamais entendre parler de tooooi !

Alors que Lucas maintenait la note, il sentit une main s’immiscer entre ses dents, forçant sur l'articulation de ses mâchoires, puis s’enfoncer au niveau de son pharynx. Quelques dents cédèrent. Son teint vira du pourpre au bleu violet. Le dernier survivant s’effondra sur son lit.

Un silence absolu régnait dans la maison, si l’on occultait les secondes égrenées par les pendules du rez-de-chaussée. Les jours passèrent. Les proches de la famille, les enseignants et les voisins détectèrent un changement inhabituel dans les habitudes de cette famille. Le courrier n'eut même pas le temps de s'accumuler dans la boîte aux lettres. Les pompiers se rendirent sur place, alertés, et brisèrent la vitre de la porte arrière afin d'entrer. Peu de temps après, la police les rejoignit. L'obstacle médico-légal posé, le procureur requit, en toute logique, l'autopsie de chacun des corps. À l'issue, les légistes mirent en exergue dans leur rapport les évidences habituelles d’un triple homicide inexpliqué. Nuque brisée, chute mortelle et asphyxie mécanique. Un dossier de plus sur une pile déjà bien fournie.

Pour la sixième fois en quatre ans, le collège referma ses portes. L’enquête piétinait même si nombre d’éléments se recoupaient inlassablement : la liste des nombreuses victimes ne comprenaient que des adolescents du même collège, leurs proches voire des personnes ayant été en contact de près ou de loin avec eux. Jamais d’ADN retrouvé. Bien sûr, tout le monde savait que ces meurtres avaient commencé peu de temps après la mort de Simon. D’ailleurs, des fleurs continuaient d’être déposées à l’endroit où sa dépouille avait été découverte, ce dont le concerné n’avait cure. Tout ce qui lui importait, c’était d'éradiquer la violence commise à l'encontre des enfants et la victimisation d'autres collégiens. Mais ce qu'il exécrait par-dessus tout, c'était le rejet et l'ingratitude de ceux qu'il protégeait.

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