Ces années furent heureuses. Mais si je ne me souviens que de peu de choses, c’est peut-être parce que je n’étais pas là, Seigneur. En un certain sens, je me suis absenté de ma vie. J’étudiais la Bible, l’enseignement du Dalaï-Lama sur la parole de Jésus, et je me suis penché sur une vision plus Orthodoxe de la vie. J’ai lu les homélies de notre Pape François, essayé de décrypter le sens de chaque parabole, de chaque prophétie, de chaque miracle ?...

L’attente du miracle, à laquelle je m’abandonnais souvent quand surgissaient des difficultés, n’était pas un signe de la vigueur de ma foi, mais de sa fragilité. Le miracle qui se réalise n’est qu’un désir humain exaucé. Mais il ne faut pas mépriser Dieu au point de le rendre complice de nos rêves et de nos ambitions. Dieu Est le monde lui-même, il Est l’histoire, il Est le temps. Dieu n’a pas besoin de se révéler pour exister. Dans l’Evangile de Jean, il est écrit : puisque tu m’as vu, tu as cru ; mais bienheureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru (Jean 20, 29). Alors, peut-on affirmer que Dieu se manifesterait par son absence ? Et que je ne croirais qu’à partir de cet instant ?

Ces versets, simples et terribles creusent dans mon âme. L’Evangile de Jean finit de façon incroyable. On n’y prête pas attention. Mais il finit sur le disciple – celui que le Christ aimait – qui rapporte une prophétie le concernant. On ne s’y attend pas, mais l’évangéliste Jean est un homme, et même si c’est un saint, son histoire personnelle importe pour l’humanité. Quand le Christ apparaît pour la dernière fois aux apôtres, il appelle Pierre au martyre. Et Pierre le suit, mais il s’aperçoit que vient à leur suite le disciple que le maître aime plus que tous les autres, celui qui pendant la Cène pose sa tête sur son épaule, c’est-à-dire Jean. Alors Pierre étonné lui demande ce qu’il adviendra de Jean le bien-aimé. Et le Christ répond à Pierre : Si je veux qu’il demeure jusqu’à ce que je vienne, que t’importe ? Toi, suis-moi. Là-dessus, le bruit courut parmi les frères que ce disciple ne mourrait point. Cependant Jésus n'avait pas dit à Pierre qu'il ne mourrait point ; mais : Si je veux qu'il demeure jusqu'à ce que je vienne, que t'importe ? (Jean 21, 20/23)

En somme, la prophétie annonce que Jean, le disciple que le Christ aimait, ne mourra pas. Il ne subira pas le martyre. Le Christ lui confiera Marie, il lui sera donné de vivre longtemps. La phrase est un peu déconcertante et je l’interprèterais ainsi : tu vivras tant que Je ne serai pas revenu.

J’ai lu et relu ce verset. Je me suis creusé la cervelle. J’ai demandé des explications à tous ceux qui pouvaient m’éclairer. Mais personne n’a réussi à me convaincre que le disciple qu’Il aimait ne désigne pas ainsi son Evangile. Jean dit qu’Il ne le fera pas mourir tant qu’il n’aura pas porté témoignage, c’est-à-dire tant qu’il n’aura pas écrit son livre.

Tu ne mourras pas tant que Je ne serai pas revenu. Moi aussi, suis-je un disciple que tu aimes, Seigneur ? Parce que tu m’aimes, Seigneur, tu me l’as prouvé. Si je suis né avec une miette de talent, c’est toi qui l’as voulu. Tout ce que j’ai fait, je l’ai fait grâce à toi. Le mal aussi, ma faute aussi, tu les as voulus. Donc moi non plus je ne mourrai pas tant que Tu ne seras pas revenu. Je finirai mon œuvre. Mais de quel œuvre parle-t-on ?

Alors je puis suggérer avec délice que ce que nous sommes est un don de Dieu ; ce que nous devenons est un don à Dieu.