Pour un souvenir de toi

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La pluie gouttait doucement contre la vitre de la chambre, perlant sur les rebords en bois avant de tomber contre le bord. Le jeune homme regardait cette pluie qui tombait depuis des heures maintenant. Il avait toujours aimé ça, d'aussi loin qu’il s’en souvienne. Enfant, il jouait dans les flaques avec son meilleur ami et lorsqu’ils rentraient trempés après avoir couru des heures dans le jardin, sa grand-mère maternelle leur faisait un bon chocolat chaud avec de la guimauve. Voilà des années qu’il n’avait pas pu sentir une goutte de pluie sur son visage. Des années qu’il était enfermé dans cette chambre impersonnelle. Du moins, c’était l’impression qu’il avait. Il ne fallait plus qu’il sorte, il risquait de prendre froid. Qu’il ne bouge plus, il risquait de se fatiguer, même lire ! Il ne pouvait même pas lire ! Si sa mère entrait dans la chambre et le découvrait avec un livre… Elle se mettait à lui parler comme à un enfant de trois ans qui aurait fait une bêtise. Ce qui avait le don d’agacer Hélios au plus haut point. Il s’était seulement fait hospitaliser pour une dépression, ce n’était pas la mer à boire ! Des gens étaient beaucoup plus malades que lui ! Il appela une infirmière. Il fallait qu’il sorte de cette chambre.

Quelques instants plus tard,  l'infirmière arriva et lui demanda ce qu’il voulait.

- C’est possible de sortir ? demanda-t-il.

- Vous avez-vu le temps ? demanda l’infirmière en lui faisant les gros yeux, mais si vous voulez voir du monde je peux vous emmener dans la salle commune.

Hélios soupira discrètement, tous les mêmes. Ils l’empêchaient de sortir.

- Va pour la salle commune alors, dit-il.

L’infirmière l’aida à se lever, il avait encore du mal à se tenir debout, il avait été malade pendant des semaines avant que sa famille ne le prenne vraiment au sérieux lorsqu’il disait être mal dans sa peau. Il s’était gavé de divers médicaments et avait frôlé la mort de peu. Du coup, il se sentait faible et tant que cela serait ainsi… Il préférait rester à l’hôpital. L’infirmière le conduisit jusqu’à la salle commune où différentes personnes étaient là. Toutes malades pour la plupart, elles riaient pourtant ensemble. Comme si tout allait bien dans le meilleur des mondes.

- Salut Hélios ! lança une voix masculine en s’approchant de lui.

- Bonjour Stan, répondit le jeune homme avec un sourire.

- Je vais le prendre Marine, dit l'autre homme en partant avec Hélios avant que l’infirmière ne puisse dire quoi que ce soit. Alors comment tu te sens aujourd’hui ? demanda-t-il à l’attention d’Hélios.

- Enfermé et je déteste ça et toi ?

- On fait aller.

- Le traitement est dur ?

- Moins pire que pour d’autres, je suis en rémission tu le sais.

Hélios haussa les épaules. Il connaissait Stan depuis peu de temps, mais le jeune homme avait pris une place énorme dans sa vie et lorsqu’il voyait dans quel état de faiblesse le laissaient ses chimiothérapies… Il ne le croyait pas quand ce dernier lui disait qu’il n’avait plus rien à craindre. Il avait ce drôle de sentiment que quelque chose de grave allait lui arriver et l’enlever à lui. Il regarda par la fenêtre et soupira. Il aurait tellement aimé sortir de cette foutue chaise roulante et aller courir ! Comme si Stan avait deviné ces pensées, ils prirent soudain la direction de la porte menant sur le petit bout de cour intérieure.

- Qu’est-ce que tu fais ? lui demanda alors Hélios en fronçant les sourcils.

- On va prendre l’air Adonis.

- Ne m’appelle pas comme ça ! bougonna le jeune homme alors qu’un sourire immense déchirait ses lèvres.

- Je t’appelle comme je veux, répondit-il avec un rire en poussant discrètement la porte et les faisant sortir.

Une fois dehors, les deux garçons prirent une intense respiration. Hélios ferma les yeux et écouta la pluie tomber doucement autour d’eux en levant son visage vers le ciel. Cela lui avait manqué… Des mois qu’il n’était pas sorti. Avant d’entrer à l’hôpital, il était tellement mal qu’il n’arrivait même plus à suivre ses cours pour aller à la fac, il avait mis ça sur le brusque décès d’un de ses proches, se disant que c’était son deuil… Mais c’était plus que cela. Il le savait maintenant. Il avait du mal à assumer qui il était. Assumer qu’il aimait les hommes : il était gay. Cela lui avait pris des semaines après être entré à l’hôpital pour admettre ça devant un psy. Lorsqu’il l’avait admis… Il était cependant trop tard, il avait tenté de mettre fin à ses jours. Il lui avait fallu des semaines encore pour comprendre pourquoi Stan et lui étaient si proches. Enfin, Stan le lui avait fait comprendre à sa manière. Il rouvrit les yeux et vit Stan qui le regardait amusé.

- Tu aimes vraiment la pluie toi…

- Oui. Je te l’ai dit j’adore ça.

- Mhmm plus que moi ? demanda-t-il joueur.

- Peut-être…

- Comment ça ? s’offusqua le jeune homme en approchant son visage du blond face à lui.

Hélios rougit soudain et voulut se reculer mais coincé dans son fauteuil, il ne pouvait pas aller bien loin et fut incapable d’échapper au baiser que lui donna Stan. Il perdit tous ses moyens comme à chaque fois. Stan se recula finalement un sourire triomphant sur les lèvres.

-  Je t’ai eu.

- Facile de m’avoir quand je suis cloué dans un fauteuil, bougonna Hélios sans pouvoir cependant s’empêcher de sourire.

Certes, il avait du mal à accepter son homosexualité, peut-être à cause de son contexte familial, de la société dans laquelle il avait grandi… Mais avec Stan tout lui paraissait beaucoup plus simple. Ils restèrent un moment dehors avant que Stan ne décide finalement à rentrer, il ne se sentait pas très bien et s’assit dans un des sofas.

- Tu es sûr que tu ne veux pas d’infirmière ?

- Non ! dit-il plus fort qu’il ne l’aurait voulu, désolé… Non, je… C’est juste le contrecoup des derniers examens. Je vais aller m’allonger ça ira mieux plus tard…

- Je te raccompagne, dit simplement Hélios en empoignant les roues de son fauteuil et suivant Stan qui se levait difficilement.

- Si tu veux, soupira le brun en levant les yeux au ciel. Il avait vite compris que le jeune homme était têtu et lorsqu’il avait une idée en tête… Impossible de la lui enlever !

Hélios raccompagna Stan jusque sa chambre avant de finalement retourner dans la sienne. Il s’endormit assez rapidement après avoir diner.

 

Le lendemain, lorsqu’Hélios se réveilla, une infirmière entra peu de temps après et s’approcha de lui sans faire trop de bruit. Etant dans le noir, il ne voyait pas son expression, cependant… Lorsqu’elle posa une main sur son épaule… Il sut que quelque chose n’allait pas.

- Je suis réveillé, dit-il.

- Je suis désolé Hélios… dit l’infirmière, Stan…

- Ne me dites pas qu’il est mort… souffla alors le jeune homme d’une voix affolée.

- Non mais… Il a fait une rechute, nous avons dû l’emmener en urgence en salle de soin…

-  Je peux le voir ?

-  Oui, il vous réclame, c’est pour cela que je suis là.

 

Ni une ni deux, avec l’aide de l’infirmière il se traîna jusqu’à la chambre du jeune homme le cœur battant. Il ne pouvait pas le perdre, pas maintenant, pas alors qu’il commençait seulement à s’accepter. Accepter l’idée qu’ils étaient un couple ! Accepter le fait qu’autour d’eux les gens les trouvaient mignons et non pas monstrueux. En arrivant dans la chambre de son petit-ami, Hélios sentit son cœur se serrer. Stan était relié à une machine qui l’aidait à respirer, il leva la main un pâle sourire sur les lèvres.

- Hey… dit le brun avec difficulté.

- Ne parle pas…, dit Hélios en s’approchant du lit, tandis que l’infirmière quittait discrètement la pièce.

- Si… Il faut que je te dise.

- Ne te fatigue pas…

- C’est toi qui me dis ça ? souffla Stan en retenant un rire, il secoua doucement la tête, je vais mourir Hélios.

- Quoi ? dit le jeune homme en se figeant. Il avait mal entendu, ce n’était pas possible. Il ne pouvait pas mourir !

- Je vais mourir. Enfin, c’est fort probable. Je suis trop touché, ce n’est plus seulement mes poumons et mon foie… C’est monté au cerveau… et ça se propage.

Hélios ne répondit pas, ses craintes se confirmaient. Il trouvait étrange que les médecins continuent de le garder là s’il était en rémission, il aurait dû rentrer chez lui. Ou le jeune homme ne lui avait pas dit toute la vérité… Ou les médecins s’étaient trompés.

- Tu m’as menti quand tu disais être en rémission pas vrai ? finit-il par demander.

- Ils m’en n’ont parlé mais… Ne l’avaient pas officiellement déclaré. Je suis désolé Hélios.

- C’est moi qui suis désolé…

Il vit Stan froncer les sourcils en inspirant et dit le coupant dans son élan.

- Je comprends si tu veux qu’on… Arrête avant que…

- Je n’ai jamais dit ça. Je ne vais pas être un connard et te laisser tomber alors que tu as besoin de moi. Ce… Ce n’est pas parce que j’ai du mal à m’accepter, que je veux arrêter.

- Je croyais que…

- Non. Je ne veux pas. Je commence à peine à m’y faire. On va se battre ensemble pour que tu guérisses.

- Il y a peu d’espoir Hélios.

- Peu m’importe, un brin me suffira.

 

Et ils se battirent, ensemble. Ce fut dur, douloureux parfois. Il fallait une greffe de foie à Stan et la tumeur qui se déployait rapidement dans son cerveau, jouait sur sa personnalité, la rendant changeante. Parfois il ne reconnaissait même pas Hélios. Parfois, il le reconnaissait mais l’accablait de reproches comme s’il essayait de le faire fuir. Et à chaque fois Hélios revenait et lorsqu’il voyait le sourire sur le visage de Stan lorsque sa tumeur le laissait en paix, cela renforçait les convictions d’Hélios. Tous les reproches que Stan lui lançait… Il se les était déjà faites, il les avait reçus de lui-même. Certes cela faisait mal d’entendre l’homme qu’on aimait l’insulter, lui hurler de partir qu’il ne l’aimait pas. Jamais. Mais lorsqu’il revenait une fois la crise passée, qu’il trouvait Stan en larmes et lui demandant pardon. Il savait qu’ils y arriveraient. C’est à cette époque qu’il se mit à faire des photos. Il avait peur, toujours son mauvais pressentiment que quelque chose de grave allait se produire, qu’ils allaient être séparés. Et puis un jour… Hélios ne vint pas.

Stan s’en inquiéta, il avait pourtant une bonne nouvelle à lui annoncer : les chimios avaient fait leur effet, la tumeur sur son cerveau était maintenant de la taille d’un petit abricot. On allait pouvoir l’opérer, mais aussi... Il avait trouvé un donneur pour son foie ! Il allait être opéré un peu plus tard dans la journée. Les médecins défilèrent, les traitements de sa journée, l’opération puis, la nuit et le lendemain et Hélios ne venait toujours pas. Lorsqu’il posait des questions, les infirmières évitaient de lui répondre, et ainsi jusqu’au jour de son opération pour retirer ce qu'il restait de la tumeur. Il subit tout cela toujours sans Hélios. Lorsqu’il fut enfin autorisé à sortir… Ce fut pour trouver sa chambre vide : le lit était fait, plus aucun livre du jeune homme n’était là, il alla dans la salle commune et ne le trouva pas. Ce fut l’une des résidentes qui le lui apprit : Hélios était parti. Il mit un temps à comprendre avant de finalement se laisser tomber sur le canapé. La jeune femme dans son habit bleu d’interne s’approcha de lui.

- Comment ? demanda-t-il d’une voix atone.

- Si cela peut vous réconfortez, cela s’est passé après qu’il vous ait donné une partie de son foie.

-  Vous voulez dire que…

-  Oui, c’était lui le donneur, c’est pour ça qu’il n’était pas venu le jour de votre opération pour la greffe, il était lui-même en train d’être préparé.

- Mais qu’est-ce qui l’a tué ?

- Je n’ai pas le droit de vous en parler.

- Je suis…, il s’arrêta, se reprenant, j'étais son petit-ami.

- Je sais… Je peux juste vous dire qu’il n’a pas souffert.

- S’il vous plaît…, la supplia-t-il.

- Il a fait un arrêt cardiaque après qu’on est prélevé le foie… Le cœur n’est pas reparti.

Stan fondit en larmes. Lui qui avait toujours cru qu’il partirait, lui qui avait eu un cancer qui avait eu une propagation forte, qui ne pensait pas survivre survivait et c’était Hélios. Son Hélios qui partait. L’infirmière resta un long moment avec lui avant de lui dire que la mère d’Hélios avait demandé à le voir lorsqu’il irait mieux. Stan accepta de la voir.

 

Une dizaine de jours plus tard, ils enterraient Hélios. La cérémonie fut simple mais forte en émotion. Il avait été aimé par ses proches, sa famille et les quelques amis qui avaient été conviés. Stan fut invité à dire quelques mots, mais il se prit les pinceaux dans ses notes, fondant en larme devant l’assistance finissant par raconter une partie de leur quotidien au sein de l’hôpital, des rires qu’ils avaient partagés, des courses en fauteuils qu’ils avaient faites. Des baisers volés dans les couloirs. A la fin de la cérémonie, la sœur d’Hélios, Thalie vint le voir.

- Il… Il m’a envoyé ça quelques jours avant sa mort, me demandant de l’imprimer… C’est pour vous.

- Merci… murmura Stan en prenant le papier. Il le lirait plus tard, dans l’intimité de sa chambre.

 

Mon cher Stan,

 

La vie est parfois bien cruelle. Je sens depuis quelques temps que quelque chose va se produire, qu’on sera séparé. C’est étrange comme on a conscience de ce qui nous entoure lorsque notre fin est proche. Tes sourires, ton rire, le regard amoureux que tu me portes lorsque tu crois que je ne te vois pas. Et puis les gouttes de pluie. Il pleut encore lorsque je t’écris ses mots, et toi tu dors paisiblement. Elle, ta tumeur, t’a fait parler bien cruellement aujourd’hui… Mais je sais que bientôt, tu iras mieux et on sera ensemble jusqu’à la mort. Tu porteras pour toujours en toi une partie de moi, peu importe qui de nous deux partira en premier. Mais… Saches que je t’aime. Je n’aurai pas l’occasion de te le dire demain avant notre opération mais je t’aime. Tu m’as permis de sortir de cette spirale de destruction dans laquelle j’étais entré, tu m’as aidé à m’accepter bien plus vite et plus facilement que ce que j’aurais cru possible.

Merci. Merci pour tout.

 

Te amo, Ad vitam eternam.

 

H. ton Adonis

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