Chapitre 52 - Recherche sur la maison Rossi

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L’hôtel était magnifique. Au prix de la nuit, difficile d'en être autrement. Établi entre l’aquarium et le musée maritime, l'établissement avait la particularité d’être sur pilotis. Toutes les chambres avaient donc une vue soit sur le port, soit sur la marina. Une terrasse sur la droite, côté muséum, accueillait les tables du restaurant où il faisait sûrement bon de traîner en fin de soirée ou bien de déjeuner le matin avant que le soleil ne vienne vous griller comme une chipolata sur un barbecue.

« Je ne vous propose pas de dîner ensemble, fit Joly.

— Non, répondit Jennifer en secouant la tête. Jevais demander qu’on me monte le dîner dans ma chambre. Vous n’y perdez rien : je n'aurais pas été de bonne compagnie.

— Parce que vous pouvez l’être ? » la charria-t-il.

Jennifer sourit. Elle lui avait envoyé quelques piques tout au long de la journée. L’ironie de Joly était de bonne guerre. L’écrivain avait tendance à l’agacer avec son air désinvolte gravé sur son visage et dans sa voix. Elle avait l’impression d’être accompagnée d’un gars jamais vraiment sorti de son adolescence. Peut-être par peur des autres ou de s’engager. Elle en était épuisée.

« Je vous souhaite une bonne soirée.

— A vous aussi et à demain. »

*

La vue sur la marina au petit matin était splendide. Jennifer en profita pour ouvrir la fenêtre afin de se remplir les poumons d’air frais. Elle se prépara et rejoignit Joly au bar du restaurant sur les coups de neuf heures.

« Vous avez une meilleure mine qu’hier. Beaucoup moins, papier mâché.

— Papier quoi ? fit Jennifer qui ne connaissait pas l’expression

— Oubliez, fit-il pour éviter d’épiloguer. Il va falloir que nous fassions vite, nous avons rendez-vous à dix heures chez Rossi.

— Houlà, ne vous stressez pas, c’est à peine à un quart d’heure à pied d’ici.

— Vous êtes sûr ?

— Sérieusement, vous n’avez pas regardé ? Ni hier soir, ni ce matin ?

— Non.

— Bref. Ne vous inquiétez pas, j’ai largement le temps de me prendre une grande tasse de café accompagné d’un bon croissant. »

Laurent acquiesça et s’assit à la table. Il héla une serveuse pour commander le petit déjeuner. Jennifer avait pris son ordinateur portable et semblait absorbée par la lecture d’un document. Laurent n'arrivait pas à en lire le contenu car un reflet sur l’écran l’en empêchait.

« Vous avez trouvé du nouveau ?

— Non, je me suis juste renseignée sur l’histoire de la maison Rossi.

— Et ?

— Je ne connaissais pas cette maison. Il semble bien qu’on ait affaire à une entreprise qui trouve plus ou moins ses racines un peu avant le Risorgimento.

— Le quoi ?

— L’unification italienne.

— Ah oui.

— Vous ne voyez pas de quoi je parle ? insista Jennifer en plissant les yeux.

— A vrai dire, non.

— Ce n’est pas vrai. Il va falloir que vous m’expliquiez un jour, comment vous pouvez écrire un roman sans avoir de solides connaissances concernant le contexte de la période.

— Je ne sais pas. Peut-être que ce n’est pas l’objet du livre. Et vous, vous êtes certaine de votre contexte ?

— Plus ou moins. Je ne suis pas spécialiste mais après quelques recherches… Bref.

— Et du coup pour notre famille Rossi ?

— J’ai l’impression que les ancêtres de Giovanni étaient plutôt des malins. Giovanni n’était pas en reste. Pourtant le contexte politique est loin du long fleuve tranquille. Ce n’est pas très clair mais on doit pouvoir relier notre Giovanni à l’une des familles patriciennes de Gênes, mais après la révolution française, certains ont vu le vent tourner bien avant les autres. »

Jennifer fit glisser sa souris et double-cliqua sur un fichier.

« Voilà, c’est là. Je suis tombé sur ce site. A priori, c’est un gars qui s’intéresse à la parfumerie et surtout à son histoire. »

Laurent s’approcha de Jennifer pour tenter de lire ledit document. C’était la première fois qu’il s’aventurait à être si proche d’elle et cela le troubla quelque peu. Jennifer sentit que Laurent avait décroché de la discussion.

« Ce que je raconte ne vous intéresse pas ?

— Heu, pardon. Si, si, bien sûr. »

Jennifer reprit :

« L’auteur parle de la famille Rossi, ici. C’est la première mention qui en est faite. Léonard Rossi, grand-père de Giovanni, racontait à qui le voulait avoir eu des amourettes fructueuses avec Livia Pallavicino, qui fut par la suite l’épouse de Andrea de Ferrari, père de celui qui donnera un nouvel élan au développement de la ville de Gênes. Bien que rien ne l’attesta factuellement, le fait que personne ne le contesta à l’époque, en fit une quasi-certitude qui ne fut plus remise en cause par la suite. Il est certain que cet élément de légitimité qui permit au père de Giovanni de développer ses affaires et c’est aussi de par le côté flou de celui-ci que son fils s’en défit lorsque le contexte politique le demanda.

— Hum. En clair, c’est un gars qui retournait sa veste en fonction du sens du vent… Pas très glorieux.

— Ou perspicace et prêt à tout pour réussir, le contredit Jennifer.

— Je ne suis guère étonné que vous le tourniez ainsi.

— Un message subliminal ?

— Pas très subliminal en fait. Cela me paraît logique que vous tentiez de trouver une explication dans ce genre. Cela correspond a priori à votre manière de penser. »

Jennifer regarda Laurent en coin . Elle ne savait pas trop comment prendre la remarque. Laurent dut percevoir le petit malaise et s’empressa de poursuivre.

« Après c’est malin de sa part. S’il n’avait pas procédé de la sorte, il n’aurait pas pu être le mécène qu’ il a été pour notre Battaglini.

— Et vous n’auriez pas pu profiter de l’aubaine pour bâtir votre succès. La morale est quelque chose de très relatif. » fit Jennifer en prenant un ton faussement lassé et résigné.

Laurent préféra ne pas enchaîner. Il ne savait pas trop où pouvait l’emmener cette petite joute verbale. Il ne voyait guère ce qu’il y avait à gagner à avoir le dernier mot. Ce qui était évident, c’est que Jennifer n’avait pas de filtre. Elle semblait toujours prête à remettre le couvert juste pour le plaisir, une sorte de nécessité impérieuse pour prouver un “je-ne-sais-quoi”.

« Et tout cela nous apprend-t-il quelque chose à propos de Battaglini ? Ou du tableau ? relança l’écrivain.

— Malheureusement non. En tout cas, pas pour l’instant. Cela dit, j’essaie de cerner le personnage pour arriver à savoir comment il a été amené à découvrir Battaglini. Dans votre roman, ça n’est pas évoqué. Je ne sais si c’est parce que vous n’avez pas cherché ou vous n'avez pas trouvé. A moins que ceci n’ait pas eu d’importance à vos yeux.

— Honnêtement, ce Giovanni m’intéressait surtout pour le ticket d’entrée qu’il représentait à l’époque pour servir de tremplin vers la célébrité à Battaglini. D’où il venait et où il allait, n’avait guère d’intérêt. Une fois identifié le gotha local et international auprès duquel il a introduit l’artiste en quoi ? Moins d’un an ? C’est tout ce qu’il me fallait pour tricoter mon histoire. J’ai fait plus de recherches sur les rencontres de Battaglini. C’était là où j’avais besoin de matière. Le reste, si ça restait flou, ce n’était pas nécessairement une mauvaise chose. »

Jennifer hocha la tête dubitative. Elle commençait à comprendre un peu plus les choses avec Laurent. Dans sa tête, elle s’attachait à la dimension vaguement biographique du roman. De toute évidence, pour Laurent, celle-ci n’était vraiment qu’un prétexte.

« Vous avez sûrement raison. »

Laurent regarda sa montre.

« Un quart d’heure à pied, vous avez dit ? »

Jennifer acquiesça.

« Il faut qu’on décolle maintenant alors. »

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