Chapitre 33 - Wyatt Hall

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Le voyage se déroula sans encombre, si ce n’est un voisin de siège dont les ronflements faillirent faire disjoncter Shany. Heureusement, le vol ne durait qu’une heure et demie jusqu'à l’aéroport international de Burlington. Lorsqu’elle passa le portique, elle repéra tout de suite son père et lui fit un grand signe. Quand celui-ci tourna les yeux vers elle, elle sentit comme un flottement avant qu’il n’esquisse un sourire. Avait-il eu du mal à la reconnaître ?

Shany trouva que son père avait pris un petit coup de vieux. Ce n’était pas flagrant mais ses traits étaient encore un peu plus secs et sa peau un peu plus ridée qu’auparavant.

« Comment s’est passé ton trajet ?

— A part que j’aurais bien étouffé le type assis à côté de moi, avec ses ronflements, oui. Et toi, comment vas-tu ? fit Shany en embrassant son père sur la joue.

— Couci couça. Il n’y a plus grand-chose qui change à mon âge.

— Tu n’es pas encore à la retraite.

— C’est vrai, tu as raison. Mais bon, tu sais, le magasin fonctionne bien et ça tourne même quand je ferme les yeux, alors… »

Shany regarda son père. Bien qu’il ait soixante ans et que sa silhouette soit plus sèche qu’elle n’avait été, il restait un bel homme qui aurait pu en faire craquer plus d’une. Peut-être était-ce le cas. Cela dit, dès qu’il commençait à parler, il suintait la résignation et le fatalisme. Le repoussoir à femmes était peut-être là. Cela irritait Shany au plus haut point.

« Allez, viens. J’aimerais que nous soyons rentrés assez tôt. Je n’ai pas encore fini de préparer le repas.

— Nous aurions pu aller au restaurant ou nous faire livrer.

— Hors de question. Nous ne nous voyons plus très souvent et je préfère que tu manges à la maison. Un estomac bien rempli avec de bonnes choses, c’est déjà les cinquante pourcents du chemin parcouru pour partager un bon moment en famille . »

Shany suivit son père et ne put s’empêcher de sourire. Elle avait oublié que dans le monde de son paternel, la nourriture occupait une place essentielle. Tout, absolument tout, découlait d'elle. Inutile d’essayer de le contredire sur le sujet, c’était peine perdue.

*

Dans la voiture, le silence s’installa. Shany se demanda quel sujet abordé. Son père s’attendait-il à ce qu'elle entame la discussion ? Elle en était là quand son père prit la parole :

« Comment ça se passe tes études ? Tu ne vas pas rester là-bas ? Tu vas rentrer du coup, non ? »

Shany sourit jaune. Évidemment que sa rupture avec Mathieu était remontée aux oreilles du paternel. Aussi étrange que cela pouvait paraître, il n’avait jamais vraiment accepté qu’elle décide de partir. L’étrangeté pour Shany tenait à ce qu’elle saisissait assez mal la différence entre envoyer sa cadette vivre chez sa soeur aînée en laissant à son gendre le soin d'élever sa gosse ou que celle-ci s’en aille vivre avec son petit-ami avec lequel elle partageait sa vie depuis plus de deux ans. Honnêtement, son père n’avait rien dit : ni pour l’encourager, ni pour l’en dissuader. Pourquoi ? Elle n'en connaissait pas trop la raison. Cela avait-il à voir avec un sentiment de légitimité perdue ? Ou bien était-ce simplement la seule manière dont son père envisageait leur relation ? Elle-même ne savait pas très bien si cela l’arrangeait ou la dérangeait.

« Je ne sais pas, finit par répondre Shany. Je ne me projette pas si loin. La première chose, c’est terminer mon doctorat et après je verrai. L’épisode “Mathieu” est encore trop récent pour que je puisse prendre du recul sur ce qui s’est passé. C’est à la fois simple et compliqué. Quand bien même, je ne suis pour rien dans ce qui s’est passé, je me pose encore des questions sur ma culpabilité là-dedans et au mieux, sur mon aveuglement potentiel.

— Ouais. Je ne connais pas les détails. De ce que m’a dit Patrick, je n’ai pas l’impression que tu aies quoique ce soit à te reprocher. La vie, c’est comme ça parfois. Y a des choses qui te tombent sur le coin du nez et t’as pourtant rien fait pour ça. Je ne vais pas te donner d’exemple. Tu sais bien de quoi je parle. Mais je comprends. »

Shany voyait très bien de quoi parlait son père.

« Je comprendrais que tu ne veuilles pas en parler mais comment as-tu découvert le pot aux roses ? C’est lui qui te l’a dit ? »

Shany hésita. Bien sûr, elle n’avait guère envie d’en parler mais elle comprenait que son père se pose des questions. Depuis toujours c’était ainsi, il voulait tout savoir.

« Je l’ai découvert en allant à son appartement à l’improviste. »

Shany laissa un silence car elle ne savait pas trop comment en dire plus. Elle se souvenait parfaitement du visage complètement paniqué et désappointé de Mathieu. Il avait bien essayé d’inventer une explication fumeuse pour expliquer la présence de son amie d’enfance dans sa chambre en petite tenue. Mais elle n’avait aucunement l’intention de se retrouver complice d’un mensonge, elle avait donc balancé la vérité, sans ménager Shany. Y avait-il vraiment quelque chose à dire ou à argumenter ? Pour Shany tout avait été plié en l’espace d’une minute. Elle avait tourné les talons et elle était partie en silence en se contenant pour éviter d’éclater en sanglots.

Elle raconta l’histoire à son père sans s’éterniser sur les détails.

« Depuis, tu ne lui as plus adressé la parole ?

— C’est cela. Pourquoi ? Tu crois que j’aurais dû ?

— Pas du tout, mais c’est plutôt de son côté à lui que je m’étonne. Il n’a jamais essayé de reprendre contact ?

— Non. Mais de toute manière je ne vois pas bien ce qu’il aurait à dire.

— Je ne sais pas. Au moins te faire des excuses.

— Honnêtement, des excuses ? C’est le cadet de mes soucis. Ce qui me mine le plus, c’est moi-même. Je n’ai jamais été facilement abordable et je ne crois que cela s’améliorera avec cet épisode-là.

— Ce n’est pas anormal mais ce n’est pas irréversible non plus. Pour ce que ça vaut, je te connais un peu et je sais que tu sauras rebondir. Tes études absorbent tout ton temps, sans compter ta présence auprès de Clara. Une fois que tu seras diplômée, tu auras le loisir de réfléchir à tes souhaits pour ton futur. »

Shany s’apprêta à répondre mais ils arrivèrent devant la maison. Elle aperçut la silhouette de sa mère à travers la fenêtre du salon. Son sang se glaça. Le malaise qu’elle avait tant redouté était là et elle savait qu’il ne se dissiperait pas.

Elle n’eut pas le temps d’approfondir cette pensée car qui déboula comme un fou avec ses longues oreilles ? Jumper ! Appelé ainsi car il sautait partout : sur les meubles, dehors parmi les parterres floraux qu’il labourait de ses pattes. Wyatt en était désespéré et avait dû dresser son chien. Ceci dit, il était le plus magnifique des cadeaux offerts par ses filles qui savaient qu’il adorait les chiens de race bloodhound.

Le chien reconnut Shany et se précipita vers elle avec tant d’entrain qu’elle faillit tomber à la renverse en sortant de la voiture.

— Oooh, Jumper, te voilà !

Le canidé se jeta sur elle.

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