Chapitre 25 - La complice malgré elle

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Shany partit à pied jusqu’à la station de métro de Time Square. De là, elle n’avait qu’à remonter jusqu’à Columbia University. Il n’y avait guère de monde à cette heure. Un quart d'heure plus tard, elle entra dans le Saint Luke’s Roosevelt Hospital et monta directement au service pédiatrique. Elle se rendit dans le bureau des infirmières.

« Bonjour ! fit-elle suffisamment fort pour que les trois personnes présentes, deux femmes et un homme, tournent leurs regards vers elle.

— Bonjour, vous désirez quelque chose ?

— Est-ce que vous sauriez si Monica travaille aujourd’hui.

— Monica ?

— Euh oui, ça fait des années que je la connais depuis que Clara fait des séjours ici, mais je ne connais pas son nom de famille. J’espère que vous n’avez pas une vingtaine de Monica différentes.

— Clara…

— Cunningham.

— Ah oui je vois…

— Je suis sa tante…

— D’accord, pour Monica, je vous rassure, nous n’en avons qu’une. Monica Cooper. Et elle ne sera là que demain. C’est son jour de repos aujourd’hui.

— Ah zut… Bon tant pis. De toute façon, je vais être là toute la semaine et la semaine d’après donc je devrais pouvoir la croiser. J’aurais préféré la voir aujourd’hui mais bon.

— Bah, il n’y a rien de sûr mais si vous restez dans les parages à midi, essayez d’aller au Jin Ramen sur Broadway. Je sais que Monica y va souvent en pause du midi depuis qu’elle a repris les cours à l’université.

— Oh, ça y est, elle s’y est remise. C’est cool, ça. J’irai y faire un tour et si je la croise tant mieux, sinon tant pis. Merci pour le tuyau ! »

*

Plutôt contente d’elle, Shany se rendit dans la chambre de Clara. Cette dernière était sous la douche et eut une petite frayeur quand elle ouvrit la porte de la salle de bain.

« Cela fait des mois que je n’ai plus de visites si tôt le matin. Tu aurais pu me prévenir.

— Bah, hier, je t’ai dit que je passerai aujourd’hui. Donc me voilà ! »

Clara fit la moue et tira la langue. Elle enfila des vêtements.

« Je vais aller à la salle de sport. Tu m’accompagnes ?

— Y a une salle de sport ? Ça a beaucoup changé depuis que je suis partie.

— C’est surtout moi qui ai été transférée dans ce nouveau bloc. Un secteur protégé pour remplacer la chambre stérile. Ils ont isolé une partie de l'hôpital, pour les enfants comme moi. Une salle dédiée à la rencontre des enfants a peu à peu été aménagée pour faire de l'exercice physique. Certains parents ont apporté du matériel. Aujourd'hui, on a une belle salle de sports. Nous n’avons pas de stade en plein air dans notre bocal stérile mais bon, il faut quand même qu’on ne se ramollisse pas.

— Vous êtes beaucoup ?

— Vingt chambres, je crois. Je ne connais pas tous les enfants mais je dois être la locataire la plus ancienne. »

Shany accompagna Clara. Elle n’avait rien prévu à part rester un maximum de temps avec sa nièce. Cependant elle n’oubliait pas son objectif de la journée : aller trouver Monica et la convaincre de lui donner les résultats médicaux de Clara. Elle pensait à toute l’argumentation dont elle pourrait faire usage et elle n’était pas très attentive dans sa conversation avec Clara.

Sa nièce le remarqua.

« Qu’est-ce que tu as ? Tu dois aller quelque part ? Tu regardes ta montre toutes les cinq minutes comme si une bombe allait exploser quelque part.

— Non, non, fit Shany, enfin… Si… Je devrais m’absenter vers midi… J’ai une sorte de rendez-vous.

— Une sorte de rendez-vous, c’est bizarre comme concept.

— Disons que je dois voir quelqu’un et que ce “quelqu’un” ne le sait pas.

— Ah ! fit Clara en rétrécissant ses yeux avec un petit sourire. Un nouvel amoureux ? Comment ça se fait que je ne sois pas au courant ?

— Peut-être parce que ce n’est pas un nouvel amoureux. Non. C’est pour le boulot.

— Et alors ? C’est top secret ? Ayé t’es devenue une sorte d’espionne ? FBI ? CIA ? T’es un agent double ? Tu t’es fait recruter par les services secrets français ?

— Houlà… Ne t’emballe pas. »

Shany détourna les yeux un instant pour tenter d’imaginer une réponse. Elle ne pouvait pas dire la vérité à Clara. En même temps, elle ne voulait pas lui mentir non plus. Et puis… Une idée lui vint.

« En fait… Je ne voulais pas t’en parler parce que c’est lié à la maladie.

— Mmm… Okay… Et ?

— Voilà, je voulais poser une question à Monica…

— Ma Monica ? Mon infirmière de l’éternel ? fit Clara en gloussant.

— Oui, je voulais la voir mais elle est en congés. C'est une demande un peu particulière.

— Sérieusement, Shan.. Accouche ! Parce que là, j’hésite entre me mettre à flipper et partir dans un fou-rire…

— Ok, ok, ok… Pour mon mémoire, il y a une partie qui va concerner l’état, la méthodologie de recherche de principe actif sur les maladies orphelines, comme la tienne et je voulais illustrer ce que j’ai imaginé comme démarche, recoupement, etc avec des données… Et si possible, de vraies données… Comme les tiennes. »

Shany baissa les yeux tandis que Clara s'exclama :

« Pourquoi tu vas demander ça à Monica ? Demande-moi ça à moi ? C’est moi la première concernée… C’est moi qui vais le lui demander. Elle ne peut pas me refuser l’accès à mon propre dossier médical. Même si honnêtement, je préférerai ne pas lire tous les délires de tous les toubibs que j’ai croisés… Ça va me rendre… Malade… Enfin… Tu vois ce que je veux dire… »

Shany essaya de prendre un air étonné. En y réfléchissant, il n'était pas étonnant que Clara réagisse ainsi... cette option se révélait tellement plus simple. Pourquoi cela ne lui avait-il pas effleuré l’esprit ? Il ne fallait cependant pas que Jennifer ou Patrick le sachent. Même s'ils pouvaient envisager la situation de la même manière que Clara, il était possible qu'ils s'y opposent parce qu'il s'agissait des données de santé de leur fille.

« Tu as raison. C’est bête de ma part. En revanche, tu n’en causes pas aux parents ?

— Les miens, tu veux dire ? »

Shany secoua la tête pour acquiescer. Elle avait dit “aux parents” comme si Jenny et Patrick avaient été les siens. Abus de langage ou lapsus révélateur ? Shany préféra ne pas s’attarder sur la question et enchaîna.

« Je ne suis pas sûre qu’ils soient à cent pourcents pour ma démarche. Et les mois passent vite… Si je me retrouve sans données, pour terminer mon mémoire, ça va être super compliqué.

— Je comprends, fit Clara, alors motus et bouche cousue… Promis ! »

Sa nièce lui fit signe qu’elle allait se débarbouiller dans la salle de bain.

*

Shany s’éclipsa une demi-heure un peu avant midi pour aller chercher de quoi manger. Quand elle revint, Clara fit un peu la tête car elle avait espéré que Shany prît à manger pour deux.

« Tu aurais dû me le dire… Je ne savais pas si tu y étais autorisée… En plus c’est vrai qu’on n’en a pas parlé depuis que je suis revenue. Mais bon… Ne fais pas la tête, on va partager. »

Le regard de Clara étincela. Elle mit de côté son air renfrogné pour le remplacer par celui d’une morfale aux yeux gloutons. Le repas ne dura pas très longtemps, car les plats bien que généreux dans leurs portions ne tinrent pas l'appétit de deux personnes.

« Hum… Pas mauvais, mais je sens que je vais avoir faim dans l’après-midi, fit Clara

— Tu as le droit aux pâtisseries ?

— Oui.

— Bon, j’irai t’en chercher quelques-unes alors pour le goûter. »

Après cela, elles continuèrent à discuter. Shany raconta son week-end de Noël car Clara était intriguée par la région Bretagne. Elle s’était documentée mais rien ne valait les descriptions de sa tante.

« Tu sais, je t’ai maudite quand tu es partie. En vérité, je t’en veux encore même si je suis contente pour toi d’un autre côté.

— Pourquoi ? Parce que je me suis fait rouler dans la farine par mon petit ami ? Parce que je me retrouve dans un pays inconnu, à devoir passer un examen dans une langue qui n’est pas ma langue natale ?

— Non, ce n’est pas ça. Enfin, tu devrais aussi le réaliser toi-même, c’est quand même génial de voyager et de voir des endroits qui n’ont rien à avoir avec ceux que tu connais. Je ne sais pas… J’aimerais bien, moi… Pouvoir faire pareil. »

Shany ne put s’empêcher de se pincer les lèvres. Évidemment que Clara avait envie de voyager. On a toujours envie de ce dont on est privé.

« Et bien… Je te promets pas ça pour tout de suite. Mais dès que j’ai passé mon doctorat, j’organise ça. Je sens que ce sera super compliqué mais je m’en fous. Si j’ai mon diplôme alors tout me sera permis ! »

Clara sourit. Ses yeux brillaient d'espoir en entendant la promesse de sa tante, même si le reste de son visage exprimait une résignation un peu triste.

*

Après s'être régalée des pâtisseries ramenées par sa tante, Clara retrouva son enthousiasme et son énergie. Elle lui proposa de jouer aux cartes tout en lui racontant les potins de l'hôpital. Shany ne put s'empêcher de rire, car même si Clara ne s'en rendait pas compte, elle était visiblement au courant des petits détails de la vie de chaque personnel soignant, des patients et même de leurs familles.

« Tu devrais écrire un roman ! Ou bien transforme-toi en maître-chanteur car sans rire, tu dois pouvoir te faire des sous en monnayant les informations que tu as.

— Erf, je ne suis pas comme ça. Mais c’est vrai que parfois, je me dis que les gens sont tordus et font n’importe quoi. Le pire étant celles qui se disent “amoureuses”. Ce sont les pires. A croire que “amour” rime avec pétage de plomb ou réduction de la lucidité…

— Je ne vois pas pourquoi ça t’étonne. Quoique. Peut-être que tu n’as jamais été amoureuse…

— Hum…. Pourvu que je ne le sois jamais, je suis déjà à moitié folle ! »

*

« Il va falloir que j'y aille, jeune fille… fit Shany après avoir regardé l'heure sur ton téléphone.

— Déjà ? »

Shany se leva et alla regarder dans le couloir. Une infirmière était tout au bout du couloir et de là où elle était, elle entendit qu'elle était en train d'inviter tous les visiteurs à lever le camp. Elle revint dans la chambre et lança à Clara :

« Je confirme, je viens d'entendre l'infirmière. Elle a déjà commencé l'évacuation. »

En voyant la mine déconfite de sa nièce, elle s'empressa de continuer.

« Je tâcherai de repasser.

— Quand ?

— Demain matin… vers onze heures. Sur ce, je décolle. »

Elle s'approcha de sa nièce et l'embrassa sur le front.

« Et en attendant, tu ne fais pas de bêtises, hein ? »

Clara lui lança un regard en coin.

« De ce côté-là, les risques sont assez limités à moins que je ne développe des superpouvoirs…

— Mmm... On ne sait jamais. » fit Shany en l'embrassant une dernière fois sur le bout du nez.

« Allez, je file et promis, je repasse demain. »

Shany ramassa ses affaires et après avoir fait un dernier signe de la main à Clara, elle s'éclipsa de la chambre avant que l'infirmière n'arrivât.

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