Chapitre 21 - Retour chez Jodie

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L’avion atterrit vers midi à l’aéroport JFK. L'hôtesse de l’air réveilla Shany qui dormait à poings fermés. Elle se pressa pour sortir de l’avion et se rendre au carrousel à bagages afin de récupérer la valise.

A la sortie de l’aéroport, en attendant dans la file pour un taxi, Shany passa un coup de fil à Patrick.

« Hello, comment vas-tu ?

— Ça peut aller. Je mange un sandwich sur le pouce car j’attends une livraison d’une minute à l’autre. Et toi, t’es arrivée à New York ? Le voyage a été bon ?

— Oui, j’ai quasiment dormi tout du long. Je fais vite, c’est juste pour te dire que je file pour déposer mes affaires à l’appart et prendre le double des clés. Ensuite, j’irai voir Clara. Tu me rejoins là-bas ?

— Oui mais ne m’attendez pas trop tôt. C’est le trente-et-un et c’est la folie au magasin comme d’habitude… Je ne te fais pas un dessin. Tu crèches où ?

— Je viens de te le dire, fit remarquer Shany, un peu irritée. C’est mon ancienne coloc qui s’est sacrifiée. La nouvelle est partie voir sa famille pour les fêtes. Donc on va se retrouver dans l’appart toutes les deux, comme il y a six mois en gros. Cela va nous faire bizarre. De ton côté, des nouvelles de Jenny ? Elle nous rejoint quand ?

— Ah Jenny… Bah c’est Jenny, jamais là où l’on voudrait qu’elle soit. Elle ne nous rejoindra pas ce soir, je crois. Je l'ai eue plus tôt ce matin, elle était au Myanmar à Rangoon. Elle rentre dans trois jours. J’essaie de ne pas trop y penser sinon, je risque de m’énerver. C’est ta sœur, pur jus. »

Rien de nouveau, oui et non. Là, c’était Noël quand même, pensa Shany. Elle comprenait bien ce que son beau-frère pouvait ressentir. Non seulement pour lui mais aussi pour Clara. Shany dut abréger la conversation pour monter dans son taxi.

« 15 West 44th Street, s’il vous plait. »

*

Midtown East en pleine journée était une sorte de fourmilière, quartier d’affaires oblige. On ne retrouvait cette ambiance nulle part ailleurs. On n'en retenait de New York la plupart du temps que les gratte-ciels et les noms de quartiers les plus marquants, Harlem ou le Bronx. Pourtant cette ville était tellement plus. Shany le savait bien puisqu'elle y avait habité la moitié de sa vie depuis ses douze ans.

Était-ce parce qu’elle n’était qu’une gamine mais tout lui avait paru extraordinaire. Les lumières, l’agitation, l’extrême opulence qui côtoyait le dénuement complet au milieu d’un amoncellement de gens, d’immeubles, de bruits et de bouches de métro. Tout était immense, démesuré sans qu’on puisse réellement y donner une raison. C'était ça, la magie.

« Nous sommes arrivés, Madame. » fit le chauffeur du taxi en la tirant de ses pensées.

Shany jeta un œil au travers de la vitre, histoire de contrôler qu’elle reconnaissait bien la rue, puis sortit après avoir réglé la course. Le chauffeur ne prit même pas la peine de sortir de son véhicule pour lui ouvrir le coffre et sortir ses bagages. Elle dut faire la manœuvre toute seule et vit qu’en plus, l’homme paraissait s’impatienter. Heureusement qu’elle ne lui avait laissé aucun pourboire, pensa-t-elle.

Shany attendit Jodie une vingtaine de minutes sur le trottoir devant l’immeuble où se trouvait l’appartement à l’ombre d’un grand échafaudage. Son ancienne colocataire était en retard. Shany dut bouger en permanence ses bagages de place. Le trottoir était sévèrement rétréci là où elle faisait le pied de grue et les passants râlaient passablement du fait qu’elle occupait une bonne partie de l’espace de circulation. Jodie arriva en courant. Elle était vendeuse dans une boutique de développement photo argentique, sûrement l’une des dernières dans New York.

« T’imagine même pas ce que les gens sont capables de payer… Des fois, j’ai l’impression de travailler sur de la technologie du moyen-âge quand je les écoute parler. Je suis, genre, en train de restaurer un vitrail pour eux, tu vois ? Mais bon… Allez viens, on monte, ça caille ici. »

La grande blonde s’engouffra dans le hall d’immeuble, Shany sur ses talons. Jodie s’était fait une nouvelle teinture et son amie, sans trop le laisser paraître, fut un peu surprise du changement de look. D’évidence, Jodie était dans une phase de “normalisation” bien que ce ne fut pas du tout son genre. D’ordinaire, son amie cultivait, non sans une petite pointe de fierté, un certain décalage avec tout ce qui faisait tendance. Y avait-il un garçon dans l’histoire ? Il y aurait nécessité de faire l’enquête un peu plus tard, se dit Shany.

« Il va falloir grimper les cinq étages par les escaliers. Donne-moi un des tes sacs, aujourd’hui, tu tombes le mauvais jour, l’ascenseur est en panne. L’appartement, tu le connais, je ne vais pas te faire le tour du proprio. J’ai fait du mieux que je pouvais pour mettre de côté les affaires de ma coloc. Bah oui, c’est ça New-York aujourd’hui, impossible de se payer un loyer toute seule même avec un vrai boulot à plein temps. Bon, je ne suis que vendeuse donc je ne vaux pas un salaire décent. Maintenant, faut taper sur un clavier, faire des ronds et des carrés sur un ordinateur qui fait le boulot à ta place pour être payé plusieurs milliers de dollars. Bref, ne prends pas la grosse tête mais tu ne peux pas savoir combien je regrette que tu sois partie terminer tes études là-bas. La nouvelle n’est pas déplaisante mais pas intéressante. Aucun sujet de conversation ne l’intéresse, pratiquement aucune vie sociale à part une amie au look gothique aussi déprimante que le nombre de mots qu’elle connaît.

— En tout cas, je vois que toi, tu n’as pas changé. Tu parles toujours autant et aussi vite.

— Bah tu me connais, je suis la seule fille sur terre qui n’a pas besoin de prendre de la coke pour être speed. »

Shany ne put s’empêcher de sourire. Elle se rendit compte que la complicité de Jodie lui manquait.

« C’est quoi ton programme pour la fin d'après-midi ? demanda Jodie.

— Je vais aller voir Clara à l'hôpital. C’est mon objectif principal de la journée.

— Tu en es toujours là ? Ne te méprends pas, je trouve que c’est bien que tu t’occupes de ta nièce malade. Mais je te l’ai déjà dit, elle prend une place trop importante et j’aimerais que tu contrebalances les choses. C’est pourquoi j’avais trouvé bien que tu suives Mathieu sur Paris.

— Ouais, bah c’est loin d’avoir été la meilleure décision que j’ai prise.

— Oui, je le reconnais. Seulement c'était une décision que tu avais prise pour toi-même au moins. Après tu ne peux pas lire dans le marc de café pour deviner si l’un ou l’autre va devenir un salaud ou pas. »

Shany était agacée d'évoquer l’histoire de Mathieu mais Jodie était une vraie amie et elle savait que la préoccupation qu’elle avait à son propos était réelle. En plus, elle n’avait pas tout à fait tort. Depuis leur premier mois de cohabitation, Jodie avait tenu ce discours. La théorie de Jodie était qu’on ne pouvait rien faire de bien pour les autres si on ne s’occupait pas bien de soi en premier. La logique était :

« Comment veux-tu épauler quelqu’un si tes propres fondations ne sont pas solides ? »

Basique mais efficace et plein de bon sens comme son amie.

« Voilà tes clés, fit Jodie en lui tendant un trousseau.

— Je ne sais pas à quelle heure tu rentres ce soir. Ne m’attends pas, je passe le réveillon avec des amis et avec un peu de chance, je ne rentrerai pas de la nuit.

— Oh, je vois, tu as une cible ?

— Pas vraiment, quoique, peut-être… Je ne suis pas sûre. Disons que je me suis préparée pour être ouverte à toute proposition potable… Je ne veux pas rater une occasion parce que je n’aurais pas maté mon caractère de ronchon.

— Quelle lucidité ! Qui m’a kidnappé la vraie Jodie ? Tu es une sorte de clone reconditionnée de mon amie ?

— Ne rigole pas ! Je vieillis tout simplement. Beurk !

— C’est cela, oui ! » fit Shany en riant et en secouant la tête.

Elles entrèrent dans l’appartement. Shany retrouva non sans une certaine nostalgie un lieu qu’elle considérait comme sa maison. Jodie n’avait pas fait la révolution après son départ au mois d’août dernier. L’agencement des meubles dans les pièces principales était resté en grande partie à l’identique.

« Tiens, tu as tourné un peu le canapé du salon ? fit-elle remarquer.

— Ben dis donc, t’as l'œil. Ce n’est pas pour des raisons esthétiques, c’est juste qu’avec les travaux de l’immeuble en face, ils ont mis, une sorte de grande baie vitrée et avec le soleil, en fin d’après-midi, il y a un jeu de miroirs. J’avais un big spot lumineux en plein milieu de l’écran de la télé. »

Shany sourit car avec le ton que prenait Jodie, on aurait dit qu’elle se justifiait alors qu’elle n’en avait aucune obligation.

« Que devient ta sœur au fait ? »

Shany prit le temps de réfléchir avant de répondre. Elle ne voulait pas faire une réponse trop laconique car en toute bonne foi, elle n’avait plus vraiment de nouvelles de Jennifer.

« Honnêtement, je ne sais pas vraiment. Enfin je sais qu’elle est quelque part en Asie, au Myanmar…

— Ah ? Ça craint en ce moment là-bas… Enfin je crois. Ils en parlent un peu aux infos. J’y comprends rien sauf que c’est pas glop.

— Bah comment te dire cela ? Si tout allait bien dans la région, Jenny n’y serait pas… Son boulot est d’aller sur le terrain quand il y a du grabuge quelque part sur la planète.

— Effectivement… J’oublie tout le temps son métier. Ça fait longtemps que tu ne l’as pas vue ? »

Shany compta les mois sur ses doigts.

« Un peu plus de cinq mois.

— Quand même…. Tu l’as eu au téléphone au moins ?

— La dernière fois c’était début novembre. En général, c’est plutôt Clara ou Patrick qui me donnent de ses nouvelles. Ma frangine a toujours été une espèce de Casper.

— T'es dure. Elle t’a accueillie ici pendant un certain temps tout de même.

— Dans la réalité, c’était surtout Patrick. J’ai plus de… Comment dire ?... De reconnaissance ? D’admiration envers lui.

— Hum… Tu ne portes pas à ta frangine une grande estime.

— Si… Côté boulot, pas de problème… Côté famille… C’est compliqué. Je ne peux pas dire qu’elle se comporte mal… Franchement, ce n’est pas le cas. Mais elle vit tellement dans un monde parallèle que cela a tendance à t’énerver. Elle est usante par la distance qu’elle met dans les choses. Ce n’est pas de la froideur car elle reste très affective… Mais on a toujours l’impression qu’elle ne comprend pas ce qui fait la base des relations humaines. Faut vivre avec pour le comprendre… Enfin, vivre avec le fait qu'elle est là sans être là. Patrick devrait avoir une médaille… Pour Clara et moi c’est différent, c’est sa mère et c’est ma sœur, ce n’est pas comme si on avait le choix !

— Je comprends… Enfin, je crois, fit Jodie en regardant la pendule. Je ne veux pas te presser, ni te paraître impolie mais je vais devoir filer. J’ai mon boulot qui m’attend et il faut aussi que je me prenne un truc à manger.

— Pas de souci. File. On se revoit demain ?

— Mmm, peut-être, peut-être pas. Va savoir ce qu’il va se passer ce soir !

— D’accord. Alors passe une bonne soirée de la Saint-Sylvestre.

— Et à l’année prochaine ! Je kiffe à chaque fois de dire ça.

— C’est ça. » fit Shany en roulant des yeux pendant que Jodie disparaissait par la porte d’entrée.

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