Chapitre 15 - La fuite

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Aye prit Jennifer par la main pour la guider. Ils ne sortirent pas par la véranda mais par une trappe aménagée dans une des chambres. Cela permettait de descendre au rez-de-chaussée puis de sortir par l’arrière de la maison. Ils s’engouffrèrent dans le sous-bois. Au loin, on commençait à entendre des cris. Il n’y avait qu’une cinquantaine de mètres qui les séparaient. Aye était plutôt habile pour se faufiler entre les branches et les fougères mais il devait faire une pause tous les trente mètres pour vérifier que Jennifer suivait. Cette dernière se débrouillait plutôt bien mais elle n’arrivait pas à éviter que certaines plantes s’accrochent à elle et cela la ralentissait.

Elle ne se rendait pas vraiment compte dans quelle direction ils allaient. Ils n’empruntaient pas du tout le même chemin qu’à l’aller. Au bout d’une dizaine de minutes au pas de course, Aye fit signe à Jennifer de s’arrêter et de se plaquer derrière l’arbre le plus proche. Il lui intima l’ordre de se taire tout en pointant du doigt, la direction d’où venait le danger. De là où elle était, Jennifer ne voyait rien et elle tendit donc l’oreille pour essayer de cerner ce qu’il se passait.

Le souci était que plus elle se concentrait, plus elle percevait les battements de son propre cœur au lieu des sons extérieurs. Elle regarda dans la direction et demanda en mimant ses mots, s’il voyait quelque chose. Mais celui ne lui répondit pas directement sauf en lui indiquant une direction à prendre quand il lui donnerait le signal. Ce qui vint deux minutes après. Jenny se lança. A priori, le plan était de s’enfoncer le plus profondément possible dans les bois. Après avoir avancé de trois cents ou quatre cents mètres, elle fut tentée de stopper mais elle entendit subitement des tirs. Son sang ne fit qu’un tour et elle continua de s’enfoncer dans la végétation encore et encore. Elle s’était mise à courir même si les plantes qui s’accrochaient à ses vêtements rendait difficile sa progression. Elle jeta un œil rapidement derrière elle et vit qu’Aye la suivait à distance. Il lui sembla que ce dernier était moins souple dans ses mouvements et au bout d’une dizaine de minutes, il était clair qu’il y avait quelque chose. Elle décida de s’arrêter et de faire signe à Aye de s’approcher.

« Je pense qu’on les a semés. » fit-elle.

Elle inspecta Aye et son regard tomba sur une tache rouge sur son bras gauche.

« Purée, t’as été touché ? Pourquoi tu n’as rien dit ?

– Ce n’était pas vraiment le moment.

– Ouais mais fais voir. »

La blessure n’était pas très grave. La balle avait frôlé le bras et avait fait une profonde entaille sur le flanc du biceps. Ce n’était pas beau, ça saignait encore beaucoup. Il suffisait de stopper l’hémorragie puis de réaliser un pansement de fortune dans un premier temps.

« Après il faudra recoudre. Je crains de ne pas pouvoir le faire là.

– Vous savez faire ça ?

– Bien sûr. Ce n’est pas la première fois que je me fais tirer dessus. C’est pas ce que je préfère faire de ma vie mais si cela peut en sauver une ou au moins la soigner, je le fais. Tu as une idée de là où on peut aller ?

– Oui, il y a une ferme dans trois kilomètres. Je crois que les gens là-bas pourront nous cacher en attendant de trouver une solution plus sûre. Cette ferme n’est pas sur les cartes car elle est cachée par les arbres au niveau de la pseudo clairière où elle est. Les gens là-bas ne descendent quasiment jamais au village. Je pense qu’on ne peut plus rejoindre l’autre ferme où l’on a laissé notre voiture.

– Sans voiture. Cela ne va pas être simple pour rentrer.

– C’est certain. L’essentiel reste de ne pas se faire prendre. »

Jennifer hocha la tête et sortit de quoi faire un pansement de fortune autour du bras d’Aye. Une fois, terminé, ils reprirent leur marche silencieusement.

Aye avait un sens de l’orientation extraordinaire. Jennifer était consciente du fait qu’il faisait un fixeur hors pair. Il lui fallait reconnaître qu’elle connaissait très peu de personnes capables de garder un sang-froid et une lucidité à toute épreuve même après avoir été blessé, Aye en faisait partie. Ils finirent par arriver à l’habitation concernée. Il n’était pas étonnant qu’elle ne figurât sur aucune carte. Une clairière était construite, il y avait de grands arbres et leurs ramures masquaient le ciel, il était impossible de la localiser en survolant la forêt.

Un enfant jouait devant la maison, il s’interrompit lorsqu’il les vit. Aye lui dit quelques mots et le visage de l’enfant se détendit. Il lui répondit puis disparut dans la maison. Un homme d’une quarantaine d’années apparut dans l’encadrement de la porte et interpella Aye.

« Il nous propose de nous cacher dans leur cave pour la nuit.

– Pourquoi nous aide-t-il ?

– Parce qu’il n'aime pas les soldats. »

Ils suivirent l’homme et descendirent à la cave par l’escalier. Aye salua l’homme avant qu’il ne les laisse.

« Assieds-toi. » fit Jennifer à Aye en orientant la lampe dans la direction de l’endroit où elle voulait qu’il pose ses fesses.

« Je dois nettoyer ta plaie et la recoudre. »

Aye semblait un peu réticent à obtempérer, l’expression de son visage reflétait la considération qu’il avait pour elle. Il s’assit et regarda Jennifer préparer le matériel dont elle avait besoin pour suture.

« Vous vous baladez toujours avec votre trousse de secours ?

– Tu sais, je crois que tu peux me tutoyer maintenant. Et oui, j’avais une amie qui disait que la trousse de secours lorsqu’on partait sur le terrain, c’était un peu comme les préservatifs. Vaut mieux en avoir et ne pas s’en servir que l’inverse. »

Aye sourit. Jennifer nettoya la plaie avec un mouchoir imbibé d’alcool. Le bras d’Aye était fin mais particulièrement musculeux et veineux.

« Ne t’inquiète pas, ça va continuer un peu à te lancer mais vaut mieux cela plutôt que de risquer l’infection. »

Une fois la plaie nettoyée, Jennifer vit qu’elle était plus large que ce qu’elle avait pensé dans un premier temps.

« Cela va te faire une sacrée cicatrice. Tiens, prends ce bout de tissu et serre-le entre tes dents. Je vais essayer de faire vite. Ça risque de piquer un peu quand je vais recoudre. »

Aye hocha la tête et mit le morceau de tissu entre ses dents.

« C’est parti. » fit Jennifer.

Il lui fallut une dizaine de minutes pour faire la chose de la manière la plus propre possible. Elle n’était clairement pas une professionnelle mais elle avait pris la précaution d’interroger les infirmières de sa fille pour apprendre les choses à éviter.

« Bon… Je ne veux pas me lancer des fleurs, je pense que j’ai réussi mon coup, la cicatrice devrait être légère.

– Merci, fit Aye en regardant son bras. Je dois reconnaître que vous… que tu es douée. Merci beaucoup de ton attention et de ton soin. Ce n’est pas si courant que cela chez les gens que je conduis sur le terrain. »

Aye tenta de se relever mais Jennifer le retint.

« S’il te plaît, essaie de ne pas rouvrir la plaie. Alors évite de t’appuyer sur ce bras. »

Aye obéit même s’il lui était compliqué d’opérer à la manœuvre sans son bras. Jennifer prit la lampe et s’en servit pour faire le tour de la pièce.

« Le confort sera plutôt spartiate mais on devra s’en contenter. » fit-elle.

La pièce devait faire quatre mètres sur deux avec quelques caisses posées le long du mur et qui leur avait servi de siège. Pour s’allonger, il y avait une sorte de tapis très fin et plutôt raide. Impossible de se mettre côte à côte, il fallait nécessairement que l’un reste assis pour que l’autre puisse réellement se coucher de tout son long.

*

Jennifer s’assit et continua de fixer le mur. Les lèvres pincées, son expression ne laissait aucun doute sur les interrogations qui tournaient dans sa tête.

« Qu’allons-nous faire ? » demanda Jennifer.

« Pour l’instant, je ne sais pas. Le plus sage pour le moment est de faire profil bas. » répondit Aye.

« Y a-t-il moyen de trouver un téléphone ou une antenne relais mobile quelque part dans le coin ?

– Je pense qu’il doit y avoir une antenne à quelques kilomètres. Vous avez… Tu as pris quel opérateur ?

– J’ai pris une SIM de chaque…

– Les quatre ?

– Oui. C'est toujours moins cher qu’un téléphone satellite…. Même si dans un pays comme la Birmanie vu la couverture du réseau, c’est une prise de risque considérable.

– C’est bien d’en être consciente. » fit Aye en souriant.

« On va passer la nuit ici, demain, nous partirons de bonne heure pour parcourir les quatre ou cinq kilomètres qui nous séparent de l’antenne. Tu passeras ton appel. Ensuite, nous reviendrons ici. Tu veux appeler qui ?

– Je vais appeler un ami qui va s’occuper de nous organiser le voyage retour.

– C’est-à-dire ?

– Tu verras. Moins tu en sais, mieux ce sera.

– Tu as de drôles d’amis.

– Tu n’as pas tort. Mais parfois ils peuvent être utiles pour me tirer de ce genre de situation.

– Je peux te poser une autre question ?

– Bien sûr, vu qu’on est parti pour passer la nuit ici, autant en profiter pour parler. Sinon cela risque d’être un peu monotone.

– Comment as-tu connu ces gens ?

– Cela te surprend ? C’est ça ? »

Aye hocha la tête.

« Don't judge a book by its cover, fit Jennifer. Je suis allée au Cambodge, il y a deux ans. C’est à cette occasion que j’ai rencontré ces gens. J’étais à Phnom Penh pour faire un reportage sur le trafic sexuel. C’était compliqué et plutôt dangereux. Lors d’une interview dans un bar avec une jeune fille et de l’irruption de son mac, un homme s’est interposé. Il m’a permis de m’en sortir. Je n’avais pas compris sur le coup pourquoi il l’avait fait. Il n’empêche que nous nous sommes bien entendus. Ce n’est qu’ensuite que j’ai fini par me douter que ce gars n’était pas clair. Il me l’a confié avant que je ne reparte aux Etats-Unis. Probablement pensait-il que cela pouvait être un élément de séduction. J'ai compris que cet homme faisait partie d’une organisation paramilitaire privée.

– Un mercenaire ?

– C’est cela. Il m’a raconté pas mal de choses et il semblait en être fier. Je ne comprenais pas comment il pouvait l’être. Par la suite, j’ai réalisé que c’était parce que je n’arrivais pas à me mettre à sa place. Je refusais de regarder le monde avec ses yeux à lui. Bon bref, c’est comme ça que j’ai gardé contact. Je pense qu’il pourra nous aider. »

Aye ne dit rien. Il lui paraissait évident que le « bon bref » était une manière de s'esquiver et de ne pas dire toute la vérité. A priori, elle ne voulait pas en parler. Il tourna la tête pour cacher sa réaction. L’attitude de Jennifer était particulièrement déstabilisante. Sous bien des aspects, elle était une femme adulte capable de raisonner et de prendre des décisions matures. Pourtant, il restait des domaines où elle continuait à avoir des réactions dignes d’une pudeur adolescente. S’il était honnête avec lui-même, c’était une chose qui avait tendance à le séduire.

Une voix venue du rez-de-chaussée le tira de sa réflexion. Les soldats arrivaient, il fallait se cacher au cas où ils les découvrent. Aye remarqua alors qu’il y avait une sorte de renfoncement au niveau du mur du fond qui au bénéfice d’un effet de trompe-l'œil permettait de se camoufler. Aye fit signe à Jennifer de s’y diriger.

« Les soldats arrivent. Pas un mot. »

Les bruits de pas à l’étage et les échanges de paroles plus ou moins étouffées étaient angoissants. L’attente parut une éternité. Plusieurs fois, Aye crut que les militaires allaient découvrir l’accès à la cave. De toute évidence, leur hôte s’était organisé pour la dissimuler. Des bribes de conversations qu’il avait interceptées, il avait pu découvrir le talent de comédien de l’hôte. Ou bien, le militaire qu’il entendait glapir des ordres toutes les trente secondes était complètement idiot. Au bout de dix minutes, Aye se décida à mettre sa main sur l’épaule de Jennifer et lui faire un signe de la tête pour lui dire que tout allait bien. Il venait de réaliser que pour elle, sans comprendre la langue, cela devait être dix fois plus effrayant. A sa grande surprise, Jennifer semblait rester stoïque. Décidément, cette jeune femme sortait du lot. Lui, n’avait jamais rencontré de femmes avec un tel caractère.

Le remue-ménage des soldats dura une bonne demi-heure, puis Aye entendit ce qui devait être le chef de l’escouade rappeler ses hommes pour partir. Enfin, le silence revint. Après quelques minutes, la voix qui avait prévenu de l’arrivée des militaires se fit de nouveau entendre pour confirmer qu’ils étaient définitivement partis.

« Je vais m’allonger un peu, fit Aye. Mon bras me lance un peu. Je pense qu’un peu de repos me fera du bien. Réveille-moi dans trois heures. Ou avant si nécessaire. »

Aye roula en boule sa veste pour s’en servir de traversin. Il s’allongea, ferma les yeux et plongea aussitôt dans un sommeil profond sans rêve.

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