Chapitre 7 - Réveillon de noël breton : partie 1

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Shany jeta un œil sur sa montre. Il était déjà seize heures et donc temps qu’elle rentre si elle ne voulait pas rouler de nuit. Elle revint sur ses pas, non sans loucher quelques fois encore sur les stands, des fois qu’elle ait manqué quelque autre produit fabuleux. Lorsqu’elle arriva au niveau de la rue où elle avait laissé son vélo, elle enfourcha la bicyclette et d’un tour de pédale franc, assuré et se lança sur le chemin du retour. Elle ne mit au final qu’une grosse demi-heure pour arriver en vue de la maison des Kerembellec.

« Ohé ! Y'a quelqu’un ? » fit-elle, une fois dans le couloir de l’entrée.

La voix de Paula retentit dans la maisonnée.

« Oui, je suis en haut, je suis en train d’emballer les cadeaux. T’as trouvé ton bonheur ? T’as des paquets à faire ? Rejoins-moi.

— Oui j’arrive tout de suite. Et oui, j’ai réussi à faire empaqueter une partie mais pas tout. »

Lorsqu’elle arriva dans la chambre de Paula, elle ne put s’empêcher d’écarquiller les yeux. Shany savait que Paula n’excellait pas dans les travaux manuels mais là, elle ne s’attendait pas au spectacle qui s’offrait à ses yeux.

« Euh, tu emballes quoi là ? Tes cadeaux ou bien toi ? Ça doit te coûter cher en papier cadeau chaque année si tu fais ça tous les Noëls.

— Ça va… Je sais que je ne suis pas une pro. Au moins avec moi, la phase de déballage représente un petit challenge.

— Bah, honnêtement, je ne suis même pas sûre que le destinataire de ton cadeau puisse arriver à l’ouvrir.

— Ahaha… Bon, garde tes déplaisantes remarques pour toi et donne-moi plutôt un coup de main. Tiens, c’est quoi ce machin, c’est une bouteille pour mini-bar ? C’est pour qui ?

— Ah… non, forcément, tu repères le seul objet qui n’est pas un cadeau.

— On ne te donne pas assez à boire ici ?

— C’est pas de l’alcool, c’est un remède.

— Un remède ? Par quel drôle de gugus t’es-tu encore fait arnaquer ?

— Pourquoi veux-tu que ce soit un gugus ? Tu as un de ces vocabulaires, parfois ! C’est un remède à base de plantes, ça n’a rien d’une arnaque.

— C’est un remède à base de plantes et c’est pas une arnaque… Qu’est-ce qu’il faut pas entendre ! Tu sais que tu n’en finiras jamais de m’étonner avec ça ? Je ne comprends pas que toi qui fait des études scientifiques pour devenir chercheuse, qui de plus, a acquis dans son cursus de sacrées connaissances en pharmacologie, tu tombes dans le piège du premier vendeur qui passe. Rassure-moi, il ne t’a pas vendu un philtre d’amour non plus, le gars ?

— Arrête. Justement, au contraire, c’est bien parce que j’en connais un rayon sur tout cela que cela ne me paraît pas si extraordinaire qu’on puisse se concocter des remèdes à base de plantes… Finalement, c’est aussi en grande partie ce que l’on fait aujourd’hui… La seule différence c’est qu’on le fait avec de la chimie et en concentrant les principes actifs. Hormis ces détails, je ne vois pas bien la différence de démarche.

— Bah, c’est ça justement le problème… La concentration… Avec des doses hyper faibles comment veux-tu que cela puisse avoir un effet quelconque ?

— C’est bien un raisonnement moderne ça… Plus y en a, mieux c’est… et impossible d’imaginer qu’on puisse faire mieux avec moins et en faisant agir un autre élément primordial dans un traitement : l’état de l’esprit.

— Mouais mais on n’a jamais rien prouvé à propos de tout ça.

— Peut-être, c’est une affirmation discutable. Cela dit pour l’instant, on ne peut pas pour autant rejeter l’hypothèse. Ce qui est assez marrant, c’est qu’on reconnaît qu’il existe un effet placebo. Je ne vois pas de raison d’interdire de concevoir qu’on puisse en combinaison d’un bon état d’esprit et moins de substance obtenir des résultats tangibles. Ce qui fait la difficulté, c’est que travailler la psychologie des gens pour les mettre dans une bonne disposition alors que nous sommes dans une époque qui fait tout pour la clouer au pilori, est un défi proche de l’impossible. Le truc, c’est que la méthodologie est devenue le refuge du cancre ou de l’incompétent pour évacuer l’analyse instinctive, l’intelligence intuitive. Mais dans un monde qui pousse la concurrence comme une valeur, il n’est pas très étonnant de voir les médiocres qui sont une majorité essayer de tirer le référentiel commun sur des concepts basiques qu’ils sont capables de maîtriser au détriment de ceux qui sont un peu plus complexes mais ne leur sont pas intelligibles.

— C’est très dédaigneux ce que tu dis.

— Non, c’est juste un constat. Pas un jugement.

— Tu dis médiocre… Cela a des faux-airs de jugement.

— Remplace médiocre par moyen alors… C’est le sens originel du mot. »

Paula leva légèrement les yeux au ciel. Elle ne savait jamais si c’était de la mauvaise foi de la part de Shany ou bien si c’était un effet de bord d’un problème de maîtrise de la langue. Ou bien, était-ce réellement ce qu’elle pensait. Paula soupira et attrapa le papier cadeau pour emballer l’objet suivant.

*

Paula avait à peine terminé d’emballer le dernier cadeau que le carillon de l’entrée se fit entendre.

« Tu peux aller ouvrir ? Moi je vais poser tout ça au pied du sapin et je te rejoins. » demanda Paula.

Shany hocha la tête et descendit l’escalier. Elle manœuvra le verrou de la porte d’entrée et ouvrit.

« Bonjour ! » fit-elle.

La réponse se fit un peu attendre car il fallut quelques secondes au couple qui attendait dans l’encadrement pour se remettre d’une légère surprise.

« Oh, bonjour, bien sûr, désolé, nous sommes juste un peu surpris. Nous nous attendions à Firmin ou à Paula. Vous devez être Shany, la colocataire américaine, c’est ça ?

— Euh oui, c’est cela. Je n’ai pas l’habitude qu’on me présente comme cela. Enfin, entrez dont ! Il commence à faire très froid dehors. »

Le couple était chargé de grands sacs remplis de cadeaux. La femme à la chevelure longue d’un blond très clair presque blanc était plutôt grande et on reconnaissait sans peine la même silhouette de Paula. Hormis les années qui avaient gravé quelques rides par ci par là et taché la peau, il était difficile de ne pas deviner qu’il s’agissait de sa mère. En revanche, en ce qui concernait le père, à part quelques traits de visage, il était assez difficile de retrouver des similitudes que ce soit avec Paula ou bien Firmin. Et cela s’amplifiait côté caractère car autant la mère était ouverte et bavarde, autant le père était un peu plus fuyant et discret.

« Le Père Noël a été généreux cette année. » remarqua Shany en souriant.

« Oh c’est clair. C’est moi qui me suis un peu lâchée cette fois-ci, je plaide coupable. Mais bon, j’adore cela. C’est un peu moins drôle que lorsque Paula et Firmin étaient petits mais ça me rappelle tant de bons souvenirs qu’à chaque fois, j’ai envie de replonger. Oh… Au fait, nous ne nous sommes pas présentés. Je suis Marie-Claire, la mère de Paula et Firmin, et voilà, leur père, Ayden.

— Enchantée. Ayden, j’aime beaucoup, ça sonne un peu américain, je trouve…

— Et pourtant ma chère enfant, c’est bel et bien breton… » fit le père de Paula.

Shany se proposa de les débarrasser de leurs manteaux. Les deux devaient avoir autour d’une cinquantaine d’années et paraissaient tenir la forme. De son côté, ce n’était pas son cas. Shany devait faire des efforts pour réprimer son instinct primaire qui lui dictait à chaque fois de fuir. A force, elle avait fini par dompter ce premier réflexe mais ce n’était que du domptage. Intérieurement, elle refaisait constamment le parcours d’obstacles. Elle ignorait pourquoi elle était comme cela. Rien dans son enfance ne semblait pouvoir l’expliquer. Elle ne pouvait pas non plus se dire que c’était dû à un trait de caractère timide : elle n’était pas timide. Réservée sûrement mais timide non. Elle se posa la question si par hasard, la raison était qu’elle ne s’était pas construite sur ce point précis en prenant le trait de caractère exactement opposé à sa sœur. C'était une hypothèse plausible dans tous les cas.

« Bonjour Papa… Bonjour Maman, vous allez bien ? » fit Paula en arrivant dans le couloir.

« Venez dans le salon, nous serons moins à l’étroit. Tenez, je vous ai acheté des chaussons molletonnés, ça vous évitera d’avoir les pieds gelés. Firmin a mis la chaudière en marche mais pas assez pour réchauffer la tomette. »

Elle embrassa ses deux parents.

« Où est ton frère ?

— Je ne sais pas trop. Il m’a dit qu’il allait chercher un truc qu’il avait oublié pour le repas de ce soir mais… En fait, je n’ai pas vraiment écouté…

— Et du coup, tu ne sais pas vraiment vers quelle heure il rentrera…

— Dans pas longtemps, je suppose. Tu veux que je lui passe un coup de fil ?

— Non pas la peine, il ne faut pas longtemps pour faire l’aller-retour d’ici à Perros-Guirec.

— Ah bah, tiens ! Quand on parle du loup ! » fit Shany en jetant un œil par la fenêtre qui donnait vers le garage.

*

Firmin vint embrasser ses parents avant de filer en cuisine.

« Vous n’avez qu'à commencer à boire un petit apéro. Tata et Tonton sont en route, ils ont récupéré Mamie. Ils devraient arriver d’ici trois quarts d’heure. »

Sur ces paroles, Firmin s’éclipsa en cuisine.

« Bon, je vais m’occuper de vous servir l’apéritif. Pourvu que je trouve où les bouteilles et les verres sont cachés.

— Il me semble que c’est dans le meuble du fond dans l’angle, fit la mère. N’allez pas croire que c’est parce que je suis une ivrogne que je sais cela. C’est surtout que cette maison et tout ce qu’elle contient est dans la famille depuis des années. Il y a même eu une période quand nous étions jeunes où nous habitions ici avec Ayden. C’était il y a longtemps, nous n’étions même pas mariés. On n’avait pas le sou et Sarah, ma sœur qui tenait la maison à l’époque, avait bien voulu nous héberger. Je suis toujours un peu nostalgique de cette époque. On ne se souciait de rien, sauf de nos rêves et quand bien même nous n’avions rien en poche, ce n’était pas si grave que ça, la solidarité entre les gens fonctionnait mieux que maintenant. On trouvait toujours un petit boulot à faire pour ramener de quoi faire nos trois repas par jour. Regarde maintenant… Ce n’est plus possible. Les gens ne savent même pas qui habite en face de chez eux. Alors comment veux-tu qu’ils aient une quelconque empathie ? »

En se dirigeant vers le meuble, Shany ne put s’empêcher de faire un grand sourire. Elle venait de comprendre de qui Paula tenait cette fameuse propension à partir dans des envolées lyriques à propos de tout et de n’importe quoi. Elle ouvrit le meuble.

« Savez-vous ce que vous voulez ou bien voulez-vous que je vous énumère ce qu’il y a dans le bar ?

— Je vais abuser de vous, ma chère, car je n’ai aucune idée de ce que je veux… »

Shany commença à prendre les bouteilles, une par une et annoncer l’alcool qu’elles contenaient. Les premières étaient plutôt conventionnelles mais au bout de la dixième, Shany eut quelques difficultés à lire et prononcer correctement les noms.

« Ne t’embête pas, c’est bon… à partir de la seconde rangée, je pense qu’il n’y a que du Chouchen même si tu vas découvrir qu’il en existe autant que de producteurs ! »

Shany hocha la tête mais continua quand même par curiosité à tourner les bouteilles. La toute dernière retint son attention car elle n’avait même pas d’étiquette. De plus, elle paraissait bouchée de manière très artisanale avec un sceau de cire dont la couleur disait que le millésime de la boisson qui se cachait à l’intérieur n’était pas tout jeune.

Ayden s’approcha de Shany et vit le regard intrigué de Shany.

« Ahah… Vous voudriez bien savoir ce que c’est, n’est-ce pas ? »

Shany hocha la tête.

« C’est vrai que cela m’intrigue. Mais en vérité, tout liquide dans n’importe quel récipient non étiqueté éveille ma curiosité. On va dire que c’est une sorte de déformation professionnelle.

— Vous devez avoir une drôle de profession alors. »

Paula apparut soudainement derrière son père.

« Tu ne peux pas imaginer combien elle est drôle… Je me poile tous les soirs quand je suis à Paris avec elle. Mais bon, trêve de blablas, du coup, tu veux goûter à la boisson mystère ? C’est cela ?

— Sauf si tu me dis que cela va me transformer en une chose étrange et toute moche. »

Paula sourit puis s’inséra entre son père et son amie pour attraper la bouteille mystère.

« Tournée générale ! Qui n’en veut pas ? »

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