Chapitre 3 - En train pour Lannion

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Dès le lendemain et même si c’était dimanche, Paula se chargea de prendre les billets de train pour Lannion, le passage obligé pour Louannec. Si on voulait avoir des prix intéressants, elle avait entendu dire qu’il fallait faire les réservations le plus tôt possible. En réalité, à la période de Noël, cette affirmation tenait de la légende urbaine et pour ne pas doubler le budget transport, elle dû prendre un départ prévu pour le vingt-trois décembre à sept heures cinq de Montparnasse et l’arrivée à Lannion un peu plus de cinq heures plus tard. Cela leur faisait manquer le cours magistral du vendredi matin mais il suffisait de se faire porter pâle. En plus, Shany s’était arrangée avec une camarade pour récupérer le cours par courriel.

Ensuite les jours s’étaient égrenés avec une lenteur ennuyeuse propre à la période des fêtes. Les filles se réjouissaient de passer le week-end loin de Paris et de la souricière que pouvait leur figurer leur appartement.

Il va sans dire que lorsque vint le jeudi soir, ce fut un grand soulagement.

« Enfin ! J’ai cru que cette semaine n’allait jamais se finir. Tu n’aurais pas un pote en physique quantique ou une matière dans le même genre qui pourrait venir m’expliquer comment le temps peut se distordre en fonction de l’intérêt qu’on porte aux événements qui le composent ? Il doit bien y avoir une explication chimico-physique à tout ça. Ce n’est pas mon cerveau qui se complaît tellement dans les trucs barbants qu’il ralentit le temps pour en profiter toujours et encore ? Tu crois que je suis masochiste sans le savoir ? » fit Paula en ouvrant de grands yeux.

Shany pouffa de rire. Paula quand elle partait sur un délire, elle ne pouvait pas s’arrêter.

Quoi qu'il en soit, après ce questionnement existentiel, Paula en revint à des considérations plus pragmatiques et prit la précaution d'appeler son frère Firmin pour qu'il vienne les chercher à la gare. Il était toujours possible de commander un taxi pour arriver à destination mais pourquoi se priver d’un coup de main fraternel. Dès lors qu'elle avait su qu'elles allaient passer le week-end dans la maison du frère de Paula, Shany s’était dit qu’elle aurait préféré un gîte ou une location. Puis elle avait fini par se convaincre qu’un cadre un peu plus familial n'était pas une mauvaise chose, même si cela lui rappelait qu’elle aurait largement préféré passer le réveillon avec ses proches.

C'était surtout qui allait lui manquer. Depuis sa naissance, Shany n’avait jamais passé un Noël sans elle. Clara, c'était la fille de sa sœur, Jennifer et Jennifer, c'était Jennifer : une journaliste reporter qui parcourait la planète dans tous les sens. Sa sœur n'était pas une mauvaise personne mais, autant elle avait une acuité indiscutable dans son domaine professionnel,  autant ce n'était pas le cas pour sa vie personnelle.

Heureusement pour elle, la chance avait voulu qu’elle soit entourée ou qu’elle s’entourât de personnes qui compensaient ses défauts. Trois mois après la naissance de Clara, Jennifer était de nouveau partie par monts et par vaux. Elles s'étaient beaucoup disputées durant cette période. Mais que valait l’avis d’une gamine de onze ans contre l’entêtement d’une jeune femme de vingt-cinq ans avec de l’ambition à revendre ? La réponse était dans la question : rien. En plus, Patrick, le mari de sa sœur, avait fait ce qu’il savait faire le mieux : le dos rond. Face au comportement docile de son beau-frère, Shany avait pris la résolution de prendre soin de sa nièce autant que possible. Malgré la réticence des débuts de la part de Patrick qui ne voyait en elle qu’une gamine de onze ans et ne se voyait pas secondé dans son rôle de père par la petite sœur de sa femme, elle avait petit à petit gagné du galon au point que les gens avaient tendance à croire qu’elle était la grande sœur de Clara. Sans Jennifer dans les parages à l'époque, c'était parfaitement plausible, d’autant plus que Patrick, lui, d’aussi loin qu’elle se souvenait, faisait déjà vieux et pouvait passer pour son père sans problème. Alors, c'était sûr, Clara allait lui manquer et cette veillée de Noël allait être très particulière pour elle.

*

Shany n'avait encore jamais voyagé avec Paula jusque-là. Elles avaient effectué beaucoup d’activités depuis qu’elles avaient emménagé ensemble mais jusqu’à maintenant, toutes étaient localisées plus ou moins en région parisienne. Elles n’avaient donc jamais eu l’occasion de prendre un train grandes lignes toutes les deux. Shany eut l’immense privilège de découvrir qu’il lui fallait user l’acier de ses nerfs pour éviter tout débordement avant de poser ses fesses dans le train.

Paula était une catastrophe ambulante. Impossible pour elle d’anticiper, prévoir et ne rien oublier. Il y avait forcément un truc indispensable qu’elle n’avait pas mis dans son bagage et qu’il fallait s’évertuer à trouver à la dernière minute dans le bazar qu’elle avait mis dans ses affaires. Et elle avait aussi une notion du temps élastique. Il y avait le temps, il n’y avait pas de grève ou d’incident possible dans le métro. En gros, c’était Shany qui dramatisait tout le temps la situation.

Mais bon, passé cet instant, Paula redevenait la meilleure compagne de voyage qu’on puisse imaginer. Elles avaient réussi à obtenir deux places côté fenêtre en face à face. Paula en avait été étonnée car autant cette configuration à quatre places était courante, autant à deux, la plupart des rames ne le proposaient pas.

« Tu préfères être dans le sens de la marche ou bien ? demanda Paula.

— Dans le sens de la marche.

— J’aurais dû m’en douter. Suis-je bête… Comment ai-je pu imaginer un instant que Shany puisse se déplacer dans une direction à l’aveugle ?

— Ce n’est pas vrai. Des fois, je peux me lancer sans savoir ce qui va arriver.

— Bah tiens… Sauf que je ne parle pas de cela. S’agit pas de ne pas savoir ce qui va arriver… Il s’agit de se mettre en situation de ne pas pouvoir anticiper. C’est une nuance de taille, ma chérie. »

Fière d’elle, Paula s’installa confortablement dans son siège après avoir rangé sa valise dans le compartiment à l’entrée de la voiture. Shany découvrait un peu ce qu’était un train. Depuis toute petite, elle était habituée à voyager mais finalement, elle n’en avait jamais pris. Il fallait dire qu’aux Etats-Unis, malgré le fait que la nation s’était historiquement bâtie sur ce moyen de transport, il n’était plus guère privilégié, supplanté par la voiture et l’avion. Elle était plutôt surprise du confort du siège et de l’habitacle.

« C’est surtout que tu as de la chance. Là, on est dans un TGV et pas dans un TER. Et encore ça dépend des régions. En général, c’est rustique mais ça va. Mais parfois, je ne sais si c’était dans le centre ou dans le sud, tu atterris dans des engins à la limite de la bétaillère. » fit Paula.

Shany prit ses dernières paroles avec circonspection. Paula avait parfois tendance à grossir le trait. Shany s’enfonça au fond de son siège face à son amie. Elle voulut fermer les yeux mais Paula n’était pas encline à la laisser dormir. Une fois réveillée, il n’y avait guère d’autre option que d’attendre qu’elle épuise ses batteries. Elles ne cessèrent de discuter durant tout le trajet, si bien qu’elles furent presque étonnées lorsque le chef de train annonça l’entrée en gare de Lannion.

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