Chapitre 1

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« Je voulais simplement te dire que ton visage et ton sourire resteront près de moi sur mon chemin, te dire que c’était pour de vrai, tout ce qu’on s’est dit, tout ce qu’on a fait qu’c’était pas pour de faux, que c’était bien … »

Ma voix se casse et, presque en apnée, je tente d’articuler ces mots qui nous conviennent si bien et que tu disais écrits pour nous, chaque note et chaque mot… Mes yeux se brouillent, ils sont venus tellement nombreux, pour toi, juste pour toi. Je sais que ça t’aurait fait sourire de les voir assis avec des têtes de circonstance et je t’entends me souffler une de ces blagounettes horribles et délicieuses à la fois, une de ces blagounettes qui ne faisaient parfois rire que nous : même humour à deux balles…

Qui étais-tu pour chacun d’eux : un ami, un copain, une connaissance, une relation de travail, un membre de la famille ? Je ne les vois pas : comme souvent il n’y a que toi et moi, dans notre bulle, les autres on s’en fout. Ma voix s’écorche, s’éraille, tu l’aimerais comme ça, un peu à la façon des italiennes … mais j’ai raté une note et tu n’es pas là pour me la faire répéter encore et encore avec un air de malice au coin du regard… Et pour moi, qui étais-tu ? On mesure ce que les autres sont pour nous au vide que leur départ creuse dans notre vie : une main glacée m’a serré le cœur, elle a serré tellement fort que tout mon être a hurlé quand tu es parti, quand tu as lâché ma main, quand la Parque douloureuse a coupé notre fil magique, quand même les pouvoirs de la petite strega n’ont pas suffi, quand le marionnettiste, là-haut, a décidé d’en finir … A la minute où tu as cessé de respirer je l’ai su, comme si on m’arrachait une partie de moi : tu es sorti de ma vie avec la violence avec laquelle tu y étais entré … Je le sais aujourd’hui, j’en suis sûre aujourd’hui, nous étions dans une autre vie les deux parties du même être, ni vraiment différentes, ni vraiment identiques. Pour une fois, la vie, cette garce, ne nous a rien imposé : je t’ai choisi, tu m’as choisie…Mais, elle gagne quand même quand elle ne sait que reprendre ce qu’elle a donné …gagné ? peut-être pas …

Les années passées sans te connaître ont été plus nombreuses que celles où tu m’as accompagnée mais j’ai pourtant l’impression que tu as toujours été là, quelque part, et que le destin n’attendait que ce chemin où nous avons fini par nous croiser. J’ai toujours aimé broder mais sur ma toile, ce fil n’existait pas encore et les points de croix étaient moins douloureux …

La petite Anna, du fond de son grenier l’avait bien compris, on n’écrit jamais mieux, on n’écrit jamais plus honnêtement que pour un destinataire à qui on peut tout dire et qui a toute notre confiance. Elle a été obligée de créer une amie virtuelle, moi j’ai eu la chance de te rencontrer, toi, mon véritable ami, mon âme sœur ; elle n’a pas eu que cette malchance, c’est vrai…

Toi et moi, c’était une rencontre improbable et notre histoire l’a été...

Et pourtant c’était pas gagné … je me souviens encore de cette première rencontre sur le parking de la salle improvisée qui nous accueillait, puisque nous étions un peu orphelins de tout … C’était un soir de septembre et tu es sorti de nulle part. C’est d’ailleurs comme ça que tu es rentré dans ma vie, sans que j’aie compris ce qui arrivait… Tu as collé deux bises à toute la gent féminine présente ; tu as dû donner ton prénom en même temps, mais je ne l’ai pas retenu à ce moment-là : non pas parce qu’il est moche comme tu le dis, mais seulement parce que j’ai vraiment du mal avec ces types version gendre idéal, à l’aise dans n’importe quelle situation. Je n’ai pas été sensible à ton charme mais me suis dit que tu étais le genre à pouvoir vendre un aspirateur en plein désert. Des années plus tard, j’ai retrouvé la même sensation, lors d’une entrevue « professionnelle » avec toi  dans ta façon de te présenter : sourire discret, œil qui frise et façon sucrée de prononcer ton prénom. Là, j’avoue que j’ai kifé, spectatrice de ce petit rôle dans lequel tu excelles…

Très vite pourtant, je t’ai apprécié, admiré aussi… Savoir lire la musique, couvrir si facilement de petites pattes de mouches la feuille blanche sur laquelle naissait des partitions auxquelles je ne comprenais rien malgré tes tentatives pour me faire distinguer en pratique une noire d’une blanche… La seule noire qui me parlait à l’époque était notre chef de chœur…Une note que tu avais du mal à trouver et la flûte que tu glissais parfois dans ta poche (arrière !) nous soufflait l’air oublié : qui t’a surnommé alors « M.Pipeau » ?

Je ne sais plus mais tu es bien capable de l’avoir fait toi-même, comme Cyrano, toujours prêt à te servir toi-même ces traits que j’adore.

Ton humour m’a vite parlé et les blagounettes ont commencé : soft d’abord puis de plus en plus crues jusqu’à en arriver des mois plus tard, à me faire lever les yeux au ciel : ton kif à toi …

Nous étions collés au fond d’une salle de réunion et tu étais déjà près de moi : voix compatibles sans savoir que nos voies le seraient aussi. J’ai longtemps eu du mal à supporter le tabac froid avant de connaître et d’apprécier l’odeur plus sucrée des cigares que tu te mis à fumer plus tard.

Il faisait chaud dans cette pièce et l’espace vital manquait. Est-ce pour cela que tu ne pouvais passer sans toucher celle que tu frôlais ? Sans doute, mais je sais aussi depuis à quel point le contact est, pour toi comme pour moi, important. Un jour, tu m’as expliqué que c’était pour prévenir les autres que tu entrais dans leur bulle : j’ai trouvé cette idée magique et, depuis, je ne peux effleurer quelqu’un de la main en passant sans penser à toi. Au fil des mois et des années, tu l’as fait de moins en moins : était-ce parce que la bulle des autres ne t’intéressait plus ? Etait-ce parce que, pour moi, tu n’avais plus besoin de demander la permission ? Le contact était là, toujours, où que nous soyons, quoi que nous fassions…penso a te

Toujours en équilibre sur un fil invisible, nos maux n’ont cessé de tanguer entre douleur et tendresse. Cachés sous nos masques, nous nous sommes rencontrés : le mien se nommait assurance, stabilité et humour et le tien était celui du charmeur, bien dans sa peau, dont la vie était juste parfaite. Comme il est facile de tromper les autres, ceux qui ne savent pas regarder …

Pour moi, qui étais-tu ? L’amant, oui, mais seulement au sens étymologique du terme : celui qui aime, sans condition, sans juger et qui peut tout pardonner. Ces mots auxquels nous avons donné des sens que nous seuls pouvions leur attribuer, ces mots que nous inventions parce qu’il fallait bien en créer pour nommer des réalités si irréelles … pas le seul de nos paradoxes, pas la seule de nos incohérences… Ma voix résonne étrangement, je ne peux dire que les mots qu’ils attendent, les mots qu’ils peuvent comprendre mais c’est si loin de nous que j’ai presque l’impression de nous trahir. Des histoires d’amitié, certains ont la chance d’en connaître de vraies, une histoire d’amour, on en attend toujours une mais nous, nous avons rêvé une autre histoire, dans le brouillard de nos silences, dans le froid de nos fêlures…


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